Suite à la sécheresse que certaines régions de la Tunisie sont en train de subir et aux prix des concentrés de plus en plus élevés, les éleveurs n’ont cessé de réclamer du son subventionné (ou sédari) pour alimenter leurs animaux. Toutefois la distribution de ce sédari pose de nombreux problèmes présentés dans cet article et auxquels des solutions sont proposées.
Par Ridha Bergaoui *
Le manque de pluie dans certaines régions du centre et du sud du pays a entraîné un déficit au niveau des ressources fourragères et de la végétation des parcours. Afin d’alimenter leurs animaux les éleveurs ont recours aux aliments concentrés industriels. Toutefois, le prix de ces concentrés ne cesse d’augmenter suite à l’accroissement du prix du maïs et du soja importés utilisés dans la fabrication de ces aliments. Ceci a entraîné une détérioration de la rentabilité de l’élevage et a poussé les éleveurs à chercher d’autres alternatives dont le recours au son subventionné appelé également sédari. Celui-ci est malheureusement peu disponible et vendu selon des quotas précis.
Partout dans le pays, les éleveurs ont donc manifesté pour exiger l’approvisionnement des régions et l’augmentation des quotas du son subventionné qui leur sont destinés.
Un aliment destiné à la sauvegarde du cheptel en période de sécheresse
La Tunisie subit régulièrement des périodes de sécheresse qui ont des effets parfois très graves sur l’économie du pays avec une chute importante des ressources hydriques affectant les productions agricoles et la survie du cheptel. Le ministère de l’Agriculture, en concertation avec le reste des départements et surtout le ministère du Commerce, dispose d’une stratégie nationale, destinée à gérer les périodes de sécheresse, pour limiter les dégâts, soutenir les agriculteurs et sauvegarder le patrimoine agricole national.
Parmi les composantes de cette stratégie, la distribution d’aliments destinés au bétail afin d’éviter la perte du cheptel. Orge, son de blé, bouchons de luzerne déshydratée et même du foin ont été importés, lors des années de sécheresse, et distribués aux éleveurs pour suppléer au manque du fourrage local et de la végétation des parcours. Le son, produit par les minoteries à partir de la trituration du blé local ou en transit, est le plus demandé par les éleveurs. Il est vendu à un prix très avantageux, à raison de 12,500 dinars le sac de 50 kg.
Pour éviter les spéculations et la vente du son subventionné dans les circuits parallèles, l’Etat a strictement réglementé la commercialisation de ce produit considéré stratégique par les éleveurs.
Un commerce sous haute surveillance
La distribution et la vente du son sont réglementées par un décret (décret n° 2013-1293 du 27 février 2013, relatif à l’organisation et au contrôle de la distribution du son de blé) qui remplace le décret n° 2001-149 du 19 janvier 2001 relatif au même objet.
Ce décret confie à l’Office des Céréales la tâche de supervision et du suivi de la distribution du son. Une Commission Nationale fixe les quotas mensuels destinés à chaque gouvernorat en fonction des conditions climatiques et des besoins du cheptel. Des commissions régionales veillent à établir les listes des éleveurs et des usines d’aliments concentrés bénéficiaires et des approvisionneurs de la région chargés de la vente du son aux éleveurs. Les usines d’aliments concentrés s’approvisionnent directement des minoteries. La quantité de son affectée à chaque éleveur dépend de l’importance de son cheptel. Les commerçants s’approvisionnent auprès des minoteries. Une commission technique au ministère de l’Agriculture est responsable du suivi de l’opération. Le contrôle de la distribution du son dans les régions est assuré par les équipes régionales multidisciplinaires. Des sanctions sont prévues contre tout contrevenant à la procédure fixée par le décret que ce soit les minotiers ou les approvisionneurs.
Des difficultés récurrentes
Malgré les différents et multitudes contrôles et la réglementation très stricte régissant le commerce du son subventionné, les brigades de contrôle économique ont, à plusieurs reprises, saisi des quantités importantes de sédari destinés à la contrebande au marché noir. Des malversations et de la spéculation sont rapportés fréquemment par les éleveurs et le prix du sédari a plus que triplé ces derniers jours dans les circuits parallèles.
Les minoteries-semouleries traitent en moyenne prés de 2 MT de blé/an (à peu prés moitié blé dur et moitié blé tendre) ce qui conduit à une production d’environ 230 000 T de son de blé utilisé dans l’alimentation animale. Le son est produit par les minoteries durant toute l’année. Ce son est destiné aussi bien aux éleveurs qu’aux usines d’aliments concentrés. La quantité produite par mois ne correspond pas forcement avec les besoins des éleveurs qui est plus important plutôt en été et en automne et la pression est trop forte surtout que le prix est très intéressant.
Le prix du concentré pour vache laitière est plus de quatre fois plus élevé que celui du son subventionné. Ceci explique l’insistance des éleveurs pour disposer de ce produit, surtout en cette période de crise du lait, alors que cette pression est absente sur les autres aliments comme l’orge fourragère ou les bouchons de luzerne importée.
A titre indicatif, ci-dessous les prix au détail de quelques aliments :
Le son, un aliment déséquilibré
Le son de blé pose certains problèmes digestifs et la quantité à distribuer aux animaux doit être limitée. Il est riche en phosphore (9,9 g/kg) et pauvre en calcium (1,4 g/kg). Le rapport calcium sur phosphore est de 0,14 alors qu’on recommande pour la production de lait un rapport autour de 1. Ce rapport déséquilibré est à l’origine, surtout dans le cas d’une ingestion importante du son, de pathologies graves du squelette et des problèmes de fertilité.
Par ailleurs, le son de blé absorbe beaucoup d’humidité, il fermente facilement et les moisissures s’y développent rapidement. Une attention particulière doit être apportée à sa conservation.
Le sédari ne convient pas à lui seul à l’alimentation des animaux mais doit être utilisé comme composant d’une ration qui doit comporter d’autres aliments. Mélangés ensemble, tous les éléments nutritifs nécessaires à l’animal doivent être présents pour assurer la bonne santé et des niveaux de production convenables. L’utilisation abusive du sédari seul peut gravement nuire à la santé et la carrière de l’animal.
Un système éprouvant et peu efficace
Le système actuel de distribution du sédari subventionné est complexe. Il mobilise une multitude de structures et de commissions de suivi et de contrôle… L’organisation est lourde et disproportionnée. Ce système est inefficace puisque le son subventionné fait l’objet de malversations, de fraudes et de spéculations.
Le son en lui-même est un produit qui ne convient pas, sur le plan nutritif, à alimenter correctement les animaux et risque de porter atteinte à la santé des animaux. En plus c’est un produit qui absorbe facilement l’humidité et se conserve très mal. Il n’est pas toujours disponible puisqu’il dépend de l’activité de trituration des minoteries et que les usines des aliments concentrés en prélèvent une partie importante pour leurs propres besoins.
Pour toutes ces raisons il serait intéressant d’engager une réflexion pour évaluer le système actuel et l’abroger si nécessaire ou alléger les procédures.
Quelques idées à mettre en œuvre
À notre avis, le système actuel de soutien aux éleveurs par le biais du son subventionné est trop lourd et disproportionné. Il occasionne beaucoup de perte d’énergie, de temps et de moyens. Il faut abandonner le sédari subventionné, qui pose de nombreux problèmes, et abroger le décret régissant tout ce système compliqué de commercialisation et de contrôle.
Il serait avantageux de remplacer le sédari par l’orge fourragère plus riche et mieux équilibrée sur le plan nutritionnel. Cette orge devra être malheureusement importée puisque la production locale d’orge est insuffisante.
Des enseignants chercheurs de nos institutions de recherche agricole ont mené de nombreux travaux sur la valorisation de sous-produits (sous-produits de l’olivier, sous-produits du palmier, déchets et résidus des industries agroalimentaires…) comme aliments de sauvegarde. Ces travaux peuvent être valorisés pour concevoir un aliment bon marché et équilibré convenant comme aliment de sauvegarde. De petites entreprises peuvent être créées et encouragées pour fabriquer ces aliments ce qui permet de créer de l’emploi pour certains de nos diplômés du supérieur en chômage et de créer une certaine dynamique au niveau régional.
Il est nécessaire également de faire des efforts pour généraliser l’inscription des éleveurs au «registre des éleveurs» et l’identification de tous les animaux. Celle-ci est exigée par la réglementation en vigueur. L’arrêté du ministre de l’Agriculture du 20 septembre 2010 fixe les registres de l’identification des éleveurs et la procédure d’identification des animaux.
L’Office de l’élevage et des pâturages, principal acteur du secteur de l’élevage, doit disposer des moyens humains et matériels nécessaires pour mener à bien l’inscription généralisée et la mise à jour des registres des éleveurs et de leur cheptel. Ces registres serviront pour mieux cibler les aides et le soutien destinés aux éleveurs en difficulté. Ils pourront également être utilisés à d’autres fins comme la vaccination du cheptel, le suivi des mouvements des animaux surtout dans les régions frontalières, la traçabilité des produits d’origine animale …
* Professeur universitaire.
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