La prétention des députés de la coalition Al-Karama, à l’instar d’Abdellatif Aloui, à défendre la démocratie… d’Ennahdha ou à lutter contre l’autoritarisme… de Kaïs Saïed ne saurait convaincre que les crédules, d’autant que leur crainte de la dissolution de l’Assemblée et de l’organisation d’élections anticipées est dictée par leur refus bien compréhensible de se départir des avantages de leur fonction.
Par Dr Mounir Hanablia *
Monsieur le député de la Coalition parlementaire Al-Karama, je n’ai pas l’honneur de compter de relations au sein de votre parti politique, dont j’ignore absolument tout. On vous accuse d’être l’émanation des anciennes ligues de protection de la révolution, ce qui ne m’éclaire pas plus, quoique j’estime à priori que le modèle en soit les fameux comités populaires libyens de l’époque Kadhafi. Et mon idée sur vous-même ainsi que votre mouvement n’aura été établie qu’à travers le prisme déformant des médias, et celui, qui l’est un peu moins, de vos déclarations et de vos prises de position, ainsi que celles de vos camarades du parti, sur face book.
D’abord je dois signaler que j’ai été privé de toute possibilité de m’exprimer sur votre page, suite à un commentaire que j’admets provocateur, reproduisant une phrase de Nikita Khroutchev à l’ONU en 1956 après l’agression tripartite de Suez contre l’Egypte, et qui disait ceci : «Si vous vous obstinez à considérer le monde comme une jungle, alors souvenez-vous que vous n’en êtes pas l’animal le plus fort».
Je critiquais ainsi votre vision exprimée d’un monde où seul le rapport de forces pouvait compter. Si votre opinion vaut ce qu’elle vaut à l’échelle internationale, compte tenu du rapport de forces largement défavorable aux arabes, il est évident qu’à l’échelle d’un pays et des relations entre citoyens, elle aurait des conséquences mettant en jeu la stabilité et la paix de la nation, et je ne pouvais donc la passer sous silence.
Attaques tous azimuts contre le président Kaïs Saïed
Votre réaction m’a donc appris toute la mesure d’un orgueil, digne de la poésie arabe qui vous inspire et dont vous vous faites l’interprète. Cela peut déjà vous situer par rapport à Bourguiba, le francophile, et à Kais Saied, le disciple du poète emblématique Al-Mutanabbi, et dont l’élection à la tête de la présidence de la république a été due en grande partie à sa maîtrise de la langue arabe littéraire.
Vous avez donc trouvé un concurrent de taille sur le parcours politique que vous vous étiez choisi, celui de l’authenticité, curieusement garant aux yeux du public de l’intégrité.
La dernière interview accordée à la chaîne Zitouna ne l’a que trop confirmé. Vous l’avez accusé de vous avoir privé injustement, en dépit de la Constitution, du pouvoir issu de la majorité parlementaire de laquelle vous faites partie. Vous l’avez accusé de nourrir un mépris injustifié, y compris vis-à-vis de personnages que selon votre barème personnel vous situez au sommet de l’éminence, comme Rached Ghannouchi. Vous l’avez accusé de violation de la loi sur le financement de la campagne électorale, et même d’avoir bénéficié de soutiens occultes issus de l’étranger sur les réseaux sociaux ayant permis son élection. Vous l’avez accusé d’être le jouet du couple Mohamed et Samia Abbou, dénommé pouvoir de l’ombre pour la circonstance. Vous l’avez tourné en dérision en rappelant ses bouffonneries, ainsi que vous les avez qualifiées, insinuant que la lettre piégée adressée à la présidence ne fût qu’un mensonge. En vous situant comme spécialiste de l’arabe littéraire, vous avez critiqué sa manière de s’exprimer, en la qualifiant de faible et mauvaise. Vous avez même menacé lors de la prochaine manifestation de réunir un million de personnes et de marcher contre le palais de Carthage. Enfin vous avez appelé à sa destitution, en qualifiant cela de mise à l’écart politique.
La lutte contre la corruption n’est-elle plus une priorité ?
Sans surprise, vos commentaires se situent dans la campagne calomnieuse, consécutive aux dénonciations continues et répétées de la corruption et des corrompus par le président. Ce sont bien ces dénonciations de la corruption que lui avait reprochées Rached Ghannouchi lorsqu’il avait affirmé que seuls la justice «et le parlement» (???) avaient le droit de désigner les corrompus.
Quand un autre député, Ayachi Zammel, du bloc National, fait chorus en affirmant que cette campagne dont a pâti son collègue et président de son bloc parlementaire Ridha Charfeddine ne crée pas un climat propice aux affaires et aux investissements, et que le président a commis des fautes en permettant l’introduction clandestine de vaccins, et en maintenant à son poste le ministre de la Santé, Faouzi Mehdi, responsable du retard pris dans leur arrivée, on comprend les préoccupations de la majorité de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) à laquelle vous appartenez, celle qui soutient le gouvernement conduit par Hichem Mechichi, relativement au problème de la corruption qui gangrène le pays.
Evidemment ceci met une nouvelle foi à mal l’image d’intégrité et d’incorruptibilité dont vous-même et votre parti clamez être les défenseurs en usant pour ce faire du langage de la piété religieuse, mais il est vrai que depuis votre alliance avec le parti Qalb Tounès, fondé et présidé par le magnat de télévision et de publicité, Nabil Karoui, poursuivi en justice pour évasion fiscale et blanchiment d’argent, préserver cette image ne semble plus constituer votre préoccupation principale.
La démocratie menacée par le retour de l’autocratie, dites-vous ?
Désormais, vous vous situez, tout comme le fait Rached Ghannouchi, sur le registre de la défense de la démocratie, menacée selon vous par le retour de l’autocratie. On comprend qu’après dix ans d’impunité et de naufrage économique ayant conduit le pays là où il est, le parti Ennahdha ne soit nullement désireux de voir rouvrir des dossiers comparable à ceux de la Banque franco-tunisienne (BFT), des financements occultes des partis, des recrutements partisans dans la fonction publique, et des dédommagements indus. Mais que votre mouvement le suive en cela peut étonner pour peu qu’on ne l’en considère pas comme un simple appendice.
Et si donc on en arrive au blocage politique actuel, ce n’est pas sur le président de la république malgré tous ses défauts qu’il faille en rejeter la responsabilité, mais sur l’insistance de votre coalition parlementaire à disposer d’un chef du gouvernement «ami». La solution est pourtant évidente pour qui veut la voir. Dans toute démocratie qui se respecte, une crise politique de cette envergure est résolue par des élections anticipées, après la démission du gouvernement et la dissolution du parlement. Dans un pays où le parlement fonctionne depuis six ans en dehors de la légalité parce que le parti Ennahdha ne veut pas d’une Cour constitutionnelle, une telle solution est hors de propos, nonobstant le refus bien compréhensible de plusieurs députés de se départir des avantages de leur fonction. Il faudrait pour arriver à cela un certain état d’esprit compatible avec le système politique. La présence, qui plus est au sein de la majorité parlementaire, d’un parti comparable au votre, prouve que tel n’est nullement le cas.
Il est inutile de rappeler les tribulations de vos camarades Seifeddine Makhlouf et Mohamed Affès au parlement, et votre prétention à défendre la démocratie ne saurait convaincre que les crédules. Je terminerai en rappelant que le temps ne joue pas en votre faveur. À votre fanfaronnade promettant d’envoyer un million de personnes au palais de Carthage lors de la prochaine manifestation, je répondrai qu’il n’y a aucune raison de ne pas imposer la dissolution d’un parlement anticonstitutionnel, qui plus est quand il prétend empêcher une nécessaire campagne contre la corruption.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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