L’affaire de l’agence officielle Tunis Afrique Presse (TAP) est symptomatique de la période post-révolution. Sous couvert de démocratie, nos gouvernants croient que l’autorité publique est une et indivisible. La concertation est pour demain…
Par Helal Jelali *
«Il faut que tout change pour que rien ne change», cette célèbre réplique dans le film ‘‘Le Guépard’’ tiré du roman de l’écrivain italien Giuseppe Tomasi Di Lampedusa, résume bien l’état d’esprit de nos gouvernants depuis 2011. Une autre traduction de cette réplique est à méditer : «Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change…»
Au nom de la continuité de l’Etat et de son prestige («haybat addawla») si cher à Béji Caïd Essebsi, et sous couvert d’esprit démocratique, les décideurs politiques ont gardé les mêmes réflexes de l’ancien régime qu’ils sont venus réformer.
Une vraie alliance entre «ceux d’avant et ceux d’après»
Au fil des années, on voit bien qu’il y a une vraie alliance entre «ceux d’avant et ceux d’après». Dans certains secteurs, l’autoritarisme s’est même renforcé et personnalisé.
En dehors du manque de concertation dans la nomination du patron de la TAP, l’agence de presse officielle a surtout besoin d’une profonde réforme éditoriale marquée pas plus d’autonomie et l’abandon de la «politique des communiqués» livrés par les diverses institutions. Elle doit impérativement cesser d’être le service de presse et de communication du gouvernement. Les journalistes du service public ne sont pas des fonctionnaires, comme le souhaitait l’ancien président français Georges Pompidou.
Si l’UGTT, les salariés de l’agence, la FIJ et RSF sont vent debout contre le chef du gouvernement Hichem Mechichi, c’est pour une raison très simple, ce dernier a pris sa décision en technocrate, sans aucune dimension politique. La politique est l’art de négocier… elle est la «philosophie de l’écoute», et l’expression est du philosophe Al-Ghazali. Dans ce pays chacun veut «les pleins pouvoirs» en criant sur les toits : «plus démocrate que moi, tu meurs».
La Tunisie manque de sous, mais elle manque surtout d’idées
Au lendemain de 2011, les sages de ladite «révolution» attendaient des réformes profondes de l’audiovisuel public, la modernisation de l’agriculture – qui n’avait pas beaucoup changé depuis les Romains –. Il y a quelques années, la Maroc a exporté 50% des ses cultures maraîchères de l’hiver à Moscou par avion… Nous n’avons pas une vraie politique hydraulique; la mutation de l’artisanat vers les produits de luxe est inexistante – les produits de luxe (parfums, haute couture, sellerie, porcelaine, orfèvrerie…) génère en France 50 milliards d’euros par an, plus que les ventes d’armes ou d’Airbus –.
A-t-on une politique maritime ou de pêche en haute mer ? Non.
A-t-on initié un vrai plan de lutte contre la pauvreté ? La réponse est bien non. Il y a quelques années, le Paraguay à réduit la pauvreté de sa population de 50% en 5 ans.
A-t-on une politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire ? Non.
Les sages de ladite révolution attendaient une profonde réforme et une vraie modernisation de la fonction publique, une refonte des «grands corps d’Etat» et les citoyens voudraient un projet de simplification administrative. Mais ne poussez pas… attendez, nous sommes en transition démocratique… Transition de quoi? Répétez SVP !
Avec humilité, voilà votre feuille de route, qui n’est pas celle qui vous fera perdre votre temps avec l’affaire de la TAP : arrêtez de trop gouverner !
«Les caisses sont vides», avait déjà reconnu l’ancien ministre des Finances par intérim Fadhel Abdelkefi. Mais regardons de près le train de vie de notre État… Regardons de près les possibilités du redéploiement de nos dépenses, et étudions la hiérarchie des priorités financières.
Certes, la Tunisie manque de sous, mais le grand manque, ce sont les idées.
Pensez à faire de la TAP une grande école de journalisme différente de celle que Abdelwahab Abdallah, l’architecte du système d’information et de communication autoritaire de Zine El-Abidine Ben Ali, avait mise en place dans les années 1990-2000.
M. Mechichi ne restez pas technocrate, devenez Premier ministre. Cette fonction n’est pas administrative; elle est éminemment politique.
* Journaliste tunisien basé à Paris.
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