Alors qu’ils sont de plus en plus critiqués pour leur gestion lamentable des affaires de la Tunisie, depuis qu’ils y ont eu la responsabilité de l’Etat, en 2011, et soupçonnés d’enrichissement illicite, de corruption et d’intelligence avec l’internationale islamiste, les dirigeants d’Ennahdha tentent d’améliorer leur image dégradée, en recourant à une vaste opération de séduction pilotée par des experts américains de la communication politique, moyennant bien entendu, finances.
Par Lotfi Maherzi *
Payés en millions de dollars, les gourous de la Com. politique tentent de mieux «vendre» les dirigeants islamistes tunisiens à leurs compatriotes mais aussi à l’étranger en les incitant, non plus seulement à lisser leur discours et à cultiver une image de concorde devenue caduque, mais aussi à chercher à séduire, à être photogénique, télégénique, à briller et à être toujours bien habillés. Cette stratégie basée sur l’image se focalise sur la séduction comme élément central de la nouvelle communication des islamistes.
Ainsi Rached Ghannouchi, le président d’Ennahdha et de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), a dépassé le cap du complet costume-cravate, adopté en 2016 sur le conseil de son spin doctor de l’époque, le très honnête et très intègre magnat de la télévision et de la publicité Nabil Karoui, aujourd’hui incarcéré dans des affaires d’évasion fiscale, de corruption et de blanchiment d’argent.
Une fausse image de modernité et de simplicité
Pour donner une image de modernité, de proximité et de simplicité, le chef islamiste se montre désormais aux côtés de son épouse, alors que les Frères musulmans, dont il est l’un des dirigeants, ont toujours été rétifs à toute évolution des droits des femmes et de leur position dans la société. Son beau-fils, Rafik Bouchlaka, ancien ministre des Affaires étrangères et dignitaire intouchable du parti, a été plus loin en recourant à la chirurgie esthétique pour un «relookage» du visage destiné à gommer certaines imperfections physiques et à lui donner un coup de jeune. Il n’a pas hésité non plus à diffuser des photos de lui avec son épouse, Soumaya Ghannouchi, dans la posture d’un couple amoureux et moderne et pour faire taire les rumeurs ayant fleuri sur les réseaux sociaux sur leurs présumés problèmes conjugaux.
Cette quête de l’image vise à rapprocher les dirigeants islamistes des citoyens électeurs, en adoptant les normes dominantes dans la société tunisienne, qui les a souvent rejetés, les considérant comme des étrangers, parlant une langue à consonance étrange et se comportant comme des orientaux.
Cette métamorphose est mise en évidence aussi dans le domaine vestimentaire, avec notamment le port de la djebba kamraya brodée à la Tunisienne, du costume signé à la dernière coupe à la mode ou du foulard bariolé sur une chemise et un jean délavé. Certains dirigeants islamistes s’autorisent même quelques audaces vestimentaires avec des vestes de couleur sombre, une chemise bleue ciel ou blanche, des cravates rouge ou violet ou des chemisettes colorées accompagnées de pull en laine classique ou sportif, véhiculant ainsi l’image d’hommes politiques branchés et relax.
Survivre à l’échec de dix années de règne
L’objectif visé est de gommer ou de rendre moins visible l’adhésion toujours revendiquée à l’islam politique et l’ambition jamais abandonnée d’instaurer un jour la charia et de proclamer le 6e califat, pour citer l’ancien chef de gouvernement et ancien secrétaire général d’Ennahdha, Hamadi Jebali.
Ce genre de discours très connotés n’est plus de mise publiquement, même s’il reste encore en vigueur dans les débats avec la base du mouvement, restée, elle, foncièrement conservatrice et dogmatique.
Face aux risques d’une débâcle annoncée – le parti a perdu plus de la moitié de ses électeurs entre 2011 et 2019 –, il s’agit pour ses dirigeants islamistes de rebondir, de survivre à l’échec de dix années de règne en tentant de séduire, de peaufiner une nouvelle image de marque, comme une entreprise qui change d’identité visuelle pour développer son marketing, de jouer sur l’émotion et d’offrir une apparence plus avenante et moins fruste et colérique, qui inspire la douceur et la sympathie.
Bref, les dirigeants islamistes cherchent à paraître normaux, ce qu’ils peinent à être réellement au regard de bon nombre de Tunisiens et de Tunisiennes qui voient l’imposture derrière les fausses métamorphoses d’un mouvement responsable de la descente en enfer de la Tunisie, au cours des dix dernières années.
* Universitaire.
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