Sionisme et islamisme ont en partage bien des dénominateurs communs. Instrumentalisation de la religion, affirmation d’une identité imaginaire et connivence avec les grandes puissances : tels sont les socles sur lesquels s’édifient ces deux systèmes de pensée.
Par Amel Fakhfakh *
La citation apocryphe qui est attribuée à Malraux et selon laquelle «le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas» laisse entendre que la religion occupera au cours de ce siècle une place prépondérante. Edgar Morin soutient que le néolibéralisme a tué toute pensée et a consacré la prééminence de l’économie sur l’idéologie. En réalité, la désintégration des mouvements de gauche, la déliquescence de l’édifice intellectuel ont contribué à la recrudescence des anciennes croyances, des religions voire de superstitions et de pratiques et appartenant à des temps révolus.
Le sionisme est au judaïsme ce que l’islamisme est à l’islam
C’est dans ce réservoir que les sionistes et les islamistes puisent et c’est dans ce cadre que prennent place, pour les uns la constante référence au concept de «peuple élu», destiné à se réapproprier «la terre sainte» et, pour les autres, la nécessité de donner un essor à la «oumma islamia» (nation islamique), soulignant par là-même la vocation universelle de l’islam, considéré comme la seule véritable religion.
Ces préceptes qui passent pour être sacrés revêtent dès lors l’aspect de vérités intangibles, immuables et indiscutables et leur servent, en raison de la lourde charge de persuasion susceptible de leur être octroyée, à justifier tous les abus et tous les crimes dont ils se rendent coupables : spoliation, massacres, confiscation de biens, combat de l’hérésie, volonté d’imposer la «chariaa», assassinats …
Les nobles valeurs véhiculées par la religion juive et la religion musulmane sont bafouées (rappelons que l’étymologie du mot religion, religare fait valoir les liens que les hommes doivent tisser entre eux et avec Dieu).
Le sionisme est au judaïsme ce que l’islamisme est à la religion musulmane. Placées entre les mains d’opportunistes et de terroristes qui les instrumentalisent pour atteindre des objectifs politiques, ces religions deviennent des outils monstrueux, générateurs d’extermination, de destruction et de massacres. Le génocide du peuple palestinien le montre assez.
Les Frères musulmans, eux, s’attaquent, au nom de l’islam à ceux qui risquent d’entraver leurs desseins destructeurs en l’occurrence les forces de l’ordre (les «taghouts») et les leaders des mouvements d’opposition notamment ceux de la gauche, considérés comme des mécréants («koffars»).
Radicalisme religieux et affirmation identitaire
Le radicalisme religieux n’est que l’une des facettes sous lesquelles se présente tout mouvement visant l’affirmation identitaire ou ethnique. On assiste aujourd’hui, comme le montre Amin Maalouf dans ses essais, à un paradoxe lourd de conséquences : loin d’induire l’éclosion d’un esprit universaliste et humanitaire, l’entrée dans la mondialisation a eu au contraire pour effet la prise de conscience, de la part de certains groupes ethniques, de la nécessité de protéger leurs propres racines et l’exacerbation de la quête identitaire.
Les signes ostentatoires dans les tenues vestimentaires des islamistes et, à un degré moindre, des sionistes, s’inscrivent dans ce cadre et mettent en exergue leur refus de la différence, leur intolérance, leur esprit totalitaire. Paradoxalement, plus les différences entre les groupes ethniques sont minimes, plus le sentiment de rejet est porté à son paroxysme. On crie notre identité, on affirme avec rage nos différences car on se ressemble, écrit en substance Amin Maalouf dans les ‘‘Identités meurtrières’’. Arabes et juifs n’appartiennent-ils pas à la même race ? Ne sont-ils pas tous sémites ? Afficher son identité, affirmer son appartenance ethnique, culturelle et/ou religieuse ne relève pas seulement de la xénophobie mais peut être générateur de toutes sortes d’abus et de dérives.
Ayant été victimes de la diaspora, les Israéliens veulent à leur tour l’infliger aux Palestiniens. Ils ne manquent pas de ressusciter le souvenir de l’Holocauste et de toutes les horreurs subies par le peuple juif, et, jouant sur la victimisation, ils rappellent que ce peuple a été banni, honni, spolié, persécuté et exterminé. Désirant prendre leur revanche sur l’histoire, ils se transmuent en spoliateurs, persécuteurs et exterminateurs mais dirigent leur hargne non contre leurs anciens bourreaux mais contre un peuple qui ne leur a jamais porté préjudice. «La tragédie du Proche Orient, c’est que la rue arabe est aveugle à la Shoah, tandis que la rue juive – la nôtre aussi – est aveuglée par la Shoah», écrit Régis Debray.
La colonisation israélienne est une colonisation de peuplement qui, par le biais de l’expropriation et de la spoliation, s’apparente à ce que les Américains ont fait subir aux Indiens, comme le souligne à juste titre Gilles Deleuze pour qui «les Palestiniens sont les nouveaux Indiens d’Israël» (1).
Il est évident que ce type de colonisation présente également des analogies avec le «Grand Apartheid» mis en œuvre dès 1652 par les Néerlandais en Afrique du Sud et concernant la division spatiale du pays. Le nationalisme des Boers, inspiré de la doctrine calviniste de la prédestination, est également teinté de religiosité dans le sens où eux aussi se considéraient comme le «peuple élu» (2).
Tentant de mettre un terme à la diaspora en encourageant lesjuifs du monde entier à se rassembler en Israël, et poursuivant des visées expansionnistes et totalitaires, ces colons modernes que sont les sionistes empruntent aux premiers et aux seconds les jalons d’une politique discriminatoire, fondée non sur la ségrégation raciale mais sur une prétendue identité religieuse.
Le silence complice de l’Occident
Le silence complice de l’Occident et des Etats-Unis face aux sévices infligés dernièrement aux Palestiniens n’étonne plus personne. Régis Debray rend compte de cette connivence entre l’Etat sioniste et la première puissance mondiale en ces termes : «L’Amérique c’est un grand Israël qui a réussi. Israël une petite Amérique qui est à la peine.» Il ajoute : «Ni l’Europe, paralysée par la mémoire de l’Holocauste, ni les Etats-Unis dont l’alliance avec son frère aîné est consubstantielle, subliminale et sous-cutanée ne peuvent […] sanctionner les enfreintes au droit international et aux résolutions de l’Onu» (2).
L’Occident n’a-t-il pas parrainé le mouvement sioniste dès sa naissance ? Voulant donner suite au premier congrès sioniste de 1897, le Royaume-Uni se montre favorable, dès 1917, à la création d’«un foyer national pour le peuple juif» (Déclaration Balfour). Grâce à l’appui des pays nantis, l’Etat d’Israël voit le jour en 1948.
Ce sont ces mêmes puissances occidentales qui soutiennent fermement leurs frères, ceux qui appartiennent à la mouvance islamiste.
Sionistes et islamistes sont les deux faces d’une même médaille. En eux s’incarnent les principaux maux du monde moderne. Ils sont les artisans de cet axe du mal dont l’épicentre se trouve au Proche-Orient et qui finit par émettre des radiations dans le monde entier. Les Etats-Unis les reçoivent et les renvoient, édulcorées et raffinées, vers l’Occident et les pays arabes.
Le monde arabe est, dans sa quasi-totalité, sous l’emprise des Etats-Unis d’Amérique. D’où cette incapacité viscérale de se montrer réfractaire aux visées expansionnistes de l’Etat d’Israël et au génocide dont il se rend coupable. La Palestine est-elle le seul pays arabe à être colonisé par les sionistes? Le monde arabe ne subit-il pas le même sort en se rangeant sous la bannière des Américains et des Européens et en se complaisant dans une sclérose paralysante?
Le monde musulman serait-il resté sur le revers qu’il a essuyé en 1492, lors de la prise de Grenade ? Ou sur la défaite de l’Empire Ottoman qui s’est faite par strates à partir du XVIIIe siècle? À moins qu’il n’ait pas pu se relever, comme l’affirme Amin Maalouf, de l’échec de la guerre de1967 ?
Toujours est-il que l’objectif commun poursuivi par les grandes puissances, l’Etat sioniste et leur nouvel allié, l’islamisme, consiste à empêcher le monde arabe d’avancer, à étouffer dans l’œuf toute aspiration à la modernité, tout projet de développement qui risque de le dégager de leur emprise.
Obtempérant aux ordres de leurs maîtres, les islamistes tunisiens ont prêté main forte à ceux qui combattent le gouvernement syrien mais ont considéré qu’ils n’ont pas le droit de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un Etat souverain, en l’occurrence la Palestine, devant les massacres perpétrés par les Israéliens. Les membres de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) sont allés jusqu’à refuser de cautionner le projet de loi qui condamne «ettatbii» (la normalisation avec Israël).
La véritable souveraineté d’une nation ne pourra s’obtenir qu’au prix d’une prise de conscience de la part du peuple de tous les enjeux politiques et d’une lutte tenace susceptible de la dégager de l’emprise des puissances qui la maintiennent muselée et de leurs valets.
* Universitaire à la retraite.
Notes :
1- ‘‘Les Indiens de Palestine’’, 1983.
2- Ils étaient persuadés que Dieu leur a donné l’Afrique du Sud comme il a donné le pays de Canaan aux Hébreux. Selon l’église réformée hollandaise, Dieu a créé des «élites pour diriger le monde et des ‘‘non élus’’ pour obéir aux premiers». ‘‘À un ami israélien : avec une réponse d’Elie Barnavi’’, Paris, Flammarion, 2010.
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