Nous aurions préféré ne pas voir le président de la république Kaïs Saïed réagir à l’agression dont a été victime Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL) et de son bloc parlementaire, et ce sous la coupole même de l’Assemblée. Car ses réactions sont généralement ou bien excessives, ou bien a minima, ou bien totalement à côté de la plaque et, dans tous les cas, elles n’honorent pas un homme censé être l’incarnation de l’Etat et de la Nation.
Par Ridha Kéfi
Dans le cas de l’agression physique dont a été victime Mme Moussi perpétrée impunément par deux bandits déguisés en députés appelés Sahbi Smara et Seifeddine Makhlouf, dans l’indifférence totale de la justice face à ce flagrant délit caractérisé diffusé en direct par des vidéos live, M. Saïed s’est fendu d’une déclaration complètement décalée, qui plus est avec un retard de 24 heures, en prenant soin de ne pas nommer la victime. Or, dans une situation similaire, lorsqu’il y a quelques mois, le député agressé était membre de l’un des partis de sa «ceinture politique» (car il en a une lui aussi, même s’il se targue d’être indépendant des partis), M. Saïed avait pris soin de rencontrer la victime de l’agression, le jour même, au Palais de Carthage, et de faire publier par ses services un communiqué de circonstance.
Révolutionnaire de la 25e heure
La réaction à la fois a minima et complètement décalée de M. Saïed trahit sa gêne de devoir parler de Mme Moussi, qu’il considère comme une rescapée de l’ancien régime, comme s’il était, lui, un grand révolutionnaire devant l’Eternel, alors que sous le règne de Ben Ali, on ne l’avait jamais entendu faire la moindre déclaration exprimant une opposition à l’ancien dictateur ou à son régime. On l’a vu plutôt participer, sans état d’âme, en tant qu’universitaire spécialiste de droit constitutionnel, à des séminaires organisés par le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l’ancien parti au pouvoir.
Les révolutionnaires de la 25e heure, on le sait, sont souvent les plus zélés et les plus excessifs, et par cette hostilité à la limite de la haine personnelle qu’il voue à Mme Moussi, au point de s’être fait un point d’honneur de ne pas la recevoir au Palais de Carthage, où le tapis rouge est pourtant souvent déployé sous les pieds d’agitateurs sans crédibilité intellectuelle ni dimension politique, est d’une stupidité incommensurable, et que le président de la république nous pardonne cet excès de langage, qu’il ne peut sérieusement nous reprocher, étant lui-même souvent excessif dans ses réactions.
Le président de la république refuse de recevoir la présidente du parti qui caracole en tête de tous les sondages d’opinion, loin, très loin devant tous les autres, et lorsqu’elle est sauvagement agressée sous la coupole de l’Assemblée par des pseudo représentants du peuple, il ne peut pas se forcer à la défendre clairement et nommément, même en se bouchant le nez, comme si cela pouvait entacher sa pseudo honorabilité révolutionnaire à laquelle il est sans doute le seul à croire.
Non, M. Saïed, ne vous laissez pas berner par les sondages qui vous donnent en tête des personnalités les plus populaires en Tunisie, alors que vous ne faites pas grand-chose pour honorer votre statut de chef d’Etat et pour mériter cette pole position dans les sondages que vous devez à votre présumée intégrité morale, un autre mythe que vous malmenez vous-même sans cesse par vos positions et déclarations souvent à côté de la plaque, et dans le cas de votre réaction à l’agression physique de Mme Moussi, qui plus d’être député et dirigeante d’un parti d’opposition, est… une femme.
L’excellence, aujourd’hui, en Tunisie, est du côté des femmes
Avez-vous au moins pensé un instant qu’en laissant ainsi faire les barbares, votre fille cadette, qui a eu son baccalauréat hier, pourrait demain subir le même sort réservé aujourd’hui à Mme Moussi ? Faut-il également vous rappeler, M. Saïed, qui êtes opposé à l’égalité dans l’héritage entre les hommes et les femmes, que les jeunes filles représentent 67% des lauréats du baccalauréat de cette année, contre seulement 33% pour les garçons, et que l’excellence, aujourd’hui, en Tunisie, est représentée par les filles d’Eve ?
M. Saïed, l’histoire ne retiendra peut-être pas grand-chose de votre passage au Palais de Carthage, car vous ne faites vraiment rien de marquant et d’utile pour un pays en crise, mais elle retiendra que sous votre mandat des femmes députés se sont fait agresser physiquement et verbalement, sans que vous ayez trouvé nécessaire de réagir, ne fut-ce que pour honorer le poste que vous occupez.
Personne ne vous demande d’apprécier Mme Moussi, même si vous avez vraiment intérêt à ne pas l’avoir contre vous, au moment où vous subissez les attaques répétées des agresseurs même de la présidente du PDL, les islamistes, ennemis de la femme et fossoyeurs de la nation, mais ayez au moins la décence d’honorer votre rôle de magistrat suprême, au moment où la magistrature, passée sous la coupe d’Ennahdha, laisse faire et garantit ainsi l’impunité aux barbares.
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