Beaucoup de gens de l’opposition font la fine bouche quand il s’agit de juger le comportement politique de Abir Moussi. la présidente du Parti destourien libre (PDL). Le grand argument mis en avant est qu’il s’agit d’une femme qui soutenait le régime dictatorial de Zine El Abidine Ben Ali. Or, qui se dresse actuellement, frontalement et clairement, face aux forces obscurantistes représentées par Ennahdha et Al-Karama en prenant tous les risques et en courant tous les dangers ? C’est elle, et elle seule.
Par Jamila Ben Mustapha *
Se montrer ainsi sévères et intransigeants, de la part de certains dirigeants de gauche, en rappelant le passé destourien de Abir Moussi, c’est figer un être humain dans une caractéristique passée de son parcours et refuser de le mettre en perspective en le liant à son rôle politique central actuel.
Elle se trouve, en effet, être la seule représentante incorruptible de l’opposition radicale aux intégristes, contrairement aux pseudos démocrates qui se cantonnent, pour la plupart du moins, dans une attitude attentiste et timorée, n’hésitant pas à se rapprocher, sans état d’âme ni opposition de principe, du parti le plus fort du pays, Ennahdha, comme l’ont fait les partis Nidaa Tounès et Qalb Tounès de manière active et criarde et à un degré moindre Tahya Tounès, Attayar et Echaâb.
Face à l’hostilité d’une opposition plutôt opportuniste
Reconnaissons que Abir Moussi est aujourd’hui dans une situation très difficile, même par rapport aux modernistes : elle doit subir non seulement la haine des intégristes qui l’auraient exterminée s’ils l’avaient pu, mais aussi l’hostilité de beaucoup de politiciens de ce pays, qu’ils soient de gauche ou de droite car ils lui en veulent d’avoir conquis les premières places dans les sondages d’opinion, elle (seconde après le président de la république Kaïs Saïed) et son parti, le PDL (premier, laissant très loin derrière lui, non seulement les islamistes, indétrônables pendant de longues années depuis janvier 2011, mais aussi les représentants d’une opposition plutôt sans relief et opportuniste à ses heures.
Cette hostilité explique qu’il n’y a pas eu un mouvement véritablement sincère et énergique de solidarité avec elle aboutissant à la sanction immédiate de ses agresseurs, malgré les condamnations de circonstance de toute la classe politique, Rached Ghannouchi y compris, après les actes d’une bassesse et d’une violence inouïes qu’elle a subis de la part de deux énergumènes qu’on aurait mieux vus dans un combat de rue entre voyous, qu’au Parlement.
Les deux députés d’Al-Karama, Sahbi Smara et Seifeddine Makhlouf, en bons «gentlemen», se sont attaqués physiquement, par surprise et de dos à une femme politique, bafouant ainsi toutes les règles du jeu : leur agression s’est produite dans un lieu en principe inviolable, lieu où s’élaborent les lois qui doivent régir le pays et où le seul mode d’intervention admis en principe, est la parole argumentée.
Par ce crime, ils vont probablement aboutir à un résultat contraire à leurs objectifs: être condamnés à la déchéance morale totale, et créer une unanimité autour de leur ennemie la plus virulente, consolidant ainsi son charisme et son aura.
Eux qui ont eu l’élégance d’un éléphant dans un magasin de porcelaine n’ont même pas respecté les valeurs traditionnelles paternalistes vis-à-vis de la femme, qui interdisent de la frapper, du moins en public.
À elle l’attitude «virile» et à eux l’attitude roublarde et peu courageuse, ce qui montre que les caractéristiques culturelles attribuées à la masculinité depuis des millénaires, peuvent migrer du côté des femmes comme Abir Moussi ou, de façon plus discrète et dans une liste non-exclusive, d’Imen Gzara, de Wafa Alibi (deux membres du Comité de défense de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi), et de Raoudha Karafi, juge et présidente d’honneur de l’Association des magistrats tunisiens (AMT).
Dès le lendemain de l’agression physique de la présidente du PDL, ce parti a repris le combat en déposant un recours contre le vote par le Parlement, de la création repoussée à plusieurs reprises, d’un bureau régional en Tunisie du Fonds de développement du Qatar.
Mais dans le passé proche, ne l’oublions pas, c’est un homme de gauche qui a incarné cette position radicale vis-à-vis des islamistes : c’est Chokri Belaïd, et il l’a payé de sa vie.
Abir Moussi sur la voie tracée par Chokri Belaïd
Toute opposition radicale aux islamistes, en effet – qu’elle soit de droite ou de gauche, de Abir Moussi ou de Chokri Belaïd – a un prix même s’il varie selon la conjoncture politique. Ni le contexte international, l’islamisme n’ayant plus le vent en poupe, ni la situation intérieure du pays, vu l’affaiblissement sensible d’Ennahdha et de ses acolytes dans l’opinion et les sondages, ne permettent actuellement, et heureusement, la liquidation physique des ennemis politiques.
Cela est triste à dire, mais ce qui est arrivé à Abir Moussi et qui a profondément choqué beaucoup de Tunisiens, c’est le moindre mal par rapport à son assassinat qui aurait été probable si cette agression s’était produite il y a quelques années, du temps de l’obscurantisme triomphant, bête et méchant. Quoique, avec ces gens-là, qui n’hésitent pas à recourir à la violence lorsqu’ils n’ont plus un autre «argument» à opposer, on ne peut sérieusement écarter aucune hypothèse.
En janvier 2011, la société civile, comme le parti islamiste anciennement persécuté, se sont dressés contre le régime autoritariste de Zine El Abidine Ben Ali, mais avec des objectifs différents et même opposés : la première voulait changer de régime politique et substituer à la dictature, une vraie démocratie. Les islamistes souhaitaient remplacer la suprématie d’un parti par celle d’un autre, autrement dit, changer seulement le contenu mais garder le système tel quel : ils ont voulu prendre la place du RCD en maintenant toutes les caractéristiques honnies de ce parti unique : les abus de pouvoir, la corruption (comme celle de Mohamed Ghariani, devenu conseiller politique de Rached Ghannouchi, ce dernier voulant visiblement profiter de la longue expérience antidémocratique de l’ancien secrétaire général du RCD), et l’infiltration dans toutes les institutions, ce qui explique le second scandale presque aussi important que l’agression de Abir Moussi que nous devons subir : l’absence totale de réaction immédiate de la justice tunisienne face à cet acte honteux et qui déshonore le pays.
* Universitaire et écrivaine.
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