Le morcellement méthodique du pouvoir institué par la nouvelle classe politique toutes tendances confondues à travers la «petite constitution» adoptée au lendemain du tsunami politique du 14 janvier 2011 et de la Constitution promulguée en janvier 2014, ainsi que d’autres textes juridiques, comme la loi électorale, a eu les résultats contraires à ceux escomptés, engageant la Tunisie dans une ère d’instabilité chronique.
Par Raouf Chatty *
Pour ses promoteurs, notamment les islamistes et la gauche radicale, tout comme certaines associations de défense des droits de l’homme, le but recherché était d’empêcher que le pouvoir soit concentré entre les mains d’une seule autorité de peur de voir le pays renouer avec l’autoritarisme des régimes de Bourguiba et de Ben Ali.
Croyant bien faire, le nouveau pouvoir politique a créé des instances qui avec le temps sont devenues budgétivores et ont doublonné inutilement les institutions publiques…
Des petits îlots de pouvoir éclaté
Sous couvert de transition démocratique, ce morcellement du pouvoir a également entraîné l’effritement progressif des pouvoirs à tous les niveaux : national, régional et local, contribuant à la naissance de diverses «petites dictatures» qui, dans tel ou tel domaine, défendent jalousement leur autonomie vis-à-vis de l’Etat. Se mettant même parfois au-dessus de lui. Chacune de ces instances exerce ses compétences selon sa vision et ses intérêts, sans coordination avec les autres, dans des sortes de petits îlots de pouvoir éclaté.
Le pays a ainsi eu à subir les conséquences des rapports heurtés entre les nouvelles institutions créées et les structures de l’Etat central. Ces rapports heurtés ont également été observés au niveau des communes, des délégations (sous préfectures) et des gouvernorats (préfectures) dont les échanges avec l’administration centrale n’ont pas toujours été fluides.
Le pays semble s’être accommodé tant bien que mal de ce chaos institutionnel généralisé, qui n’est pas évidemment allé sans conséquences néfastes sur la gestion politique, financière et administrative des affaires publiques à tous les niveaux.
Le renforcement des droits et des libertés dans le pays s’est fait aux dépens de l’ordre et de la discipline citoyens, ce qui a aggravé les phénomènes d’insubordination. L’horizontalité dans l’exercice du pouvoir, très recherchée en démocratie, a eu par conséquence d’affaiblir la chaîne de commandement et de favoriser le délitement de la hiérarchie, au point où, dans plusieurs administrations, la pyramide de commandement a été complètement inversée….
Au nom de la défense des libertés et notamment de la liberté d’expression, le pays a vite évolué vers une sorte de chaos démocratique, passant d’un régime autoritaire à un autre libertaire, personne ne gouverne, où chacun dicte ses propres lois et où tout ou presque est devenue permis.
Toutes les structures de l’Etat ont été affectées par ce chaos généralisé et aucune institution, qu’elle soit officielle ou pas, n’en a été épargnée, ce qui a aggravé ce sentiment d’absence d’autorité et d’instabilité que donne le pays.
L’Assemblée, qui est durement frappée par ce phénomène dangereux. offre depuis des années l’image d’une institution à la dérive offrant à l’opinion publique des scènes surréalistes de violences quotidiennes. Les disputes, les vociférations voire les agressions verbales et même parfois physiques sont certes devenues des banalités, mais elles ne sauraient être justifiées par les divergences politiques profondes entre les divers protagonistes. Car on peut penser différemment sans en venir nécessairement aux mains pour défendre son point de vue.
Les images piteuses d’une classe politique médiocre et populiste
On se rappelle, dans ce contexte, des gifles assénées tout récemment en pleine séance parlementaire par le député Sahbi Samara, du parti Al-Karama, à sa collègue Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL). Des scènes retransmises en temps réel sinon à la télévision du moins par
les réseaux sociaux et qui offrent au monde entier des images piteuses et désolantes d’une classe politique médiocre et populiste.
Ces responsables politiques abusent du mandat qui leur a été confié par le peuple, confondant liberté et atteinte à l’ordre républicain, se souciant peu de l’impact désastreux des images négatives qu’ils donne de la démocratie parlementaire à une opinion publique de plus en plus réfractaire et hostile à tout ce qui représente l’Etat.
En matière de populisme, on ne pourrait pas faire mieux que la députée Samia Abou (Courant démocrate ou Attayar), qui s’emporte, crie, fustige ou encore son collègue de gauche Mongi Rahoui, dénoncer vigoureusement le gouvernement, en criant au nez du ministre des Finances, collé au pupitre même de ce dernier qui faisait son exposé devant l’Assemblée…
Ces images négatives, souvent relayées par les députés eux-mêmes, ont un lien très lointain avec la démocratie, laquelle est devenue une foire d’empoigne où les décideurs politiques eux-mêmes s’acharnent à mettre en loques les hautes instances de l’Etat.
* Ancien ambassadeur.
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