Face aux ravages de la pandémie de la Covid-19 (plus de 16 000 morts), les élites au sommet de l’État tunisien pavanent et bombent le torse, capitalisant ostentatoirement sur leur mendicité et leurs lamentations au niveau international. En face, la société civile et les expatriés notamment se mobilisent de façon altruiste, discrète et humble pour aider la Tunisie à contrer la Covid-19. Une différence et un hiatus qui en disent long sur la fissure entre la gestion des élites politiques au sommet de l’État et celle de l’action collective citoyenne des Tunisiennes et Tunisiens. Témoignage…
Par Moktar Lamari, Ph.D
Il y a deux jours, la Tunisie a été classée par l’OMS comme le pays le plus impacté par le Covid-19. Le plus impacté de tous les pays en Afrique, pire que les pays en guerre ou encore en situation de famine. Loin derrière de tous les pays arabo-musulmans (MENA).
La même semaine, Fitch Rating a dégradé, pour la 9e fois de suite, la cote de crédibilité de la Tunisie vers B-, avec perspectives négatives.
Mendicité ostentatoire et indécence…
Dans le contexte, les élites politiques au sommet de l’État sortent et sans vergogne pour quémander des aides, se lamenter de façon indigne, s’abaisser encore et encore pour humilier la fierté nationale et décrédibiliser le processus de la transition démocratique.
Beaucoup de ces élites, élues ou pas, courbent l’échine et perdent leur honneur, en quémandant n’importe quoi et à n’importe qui.
Ils le font avec culot, en voulant à tout prix cacher leur incompétence dans la gestion de la pandémie et occulter leur responsabilité dans la mal-gouvernance sanitaire et économique du pays. Chacun d’eux renvoie la responsabilité aux autres, ils s’en lavent les mains, comme dans le souk, c’est jamais ma faute, c’est toujours la faute des autres…
Ce qui compte pour eux, c’est marquer des points politiques et induire en erreur l’opinion publique, peu importe le nombre de morts que leur mal-gouvernance a généré d’une façon directe ou indirecte.
Dans les médias, ces élites posent de façon honteusement ostentatoire sur le tarmac de l’aéroport de Tunis-Carthage, pour prendre des photos à l’ombre des cartons de vaccins vulnérables à une chaleur de 45 degrés Celsius… Des photos qui frisent le ridicule, des photos de la honte, des photos pour ne si piètre… histoire!
Face aux donateurs et équipages d’avions chargés de vaccins et d’équipements sanitaires, des ministres du gouvernement et de la présidence de la république font les larbins et se poussent mutuellement pour monopoliser la parole et capitaliser sur les 16 000 morts victimes de la Covid-19.
A se demander si ces responsables méritent le respect de leurs citoyens ordinaires. A se demander jusqu’où ils peuvent aller dans la dégradation du branding de la Révolte du Jasmin.
Générosité discrète, efficace et humble
Sur d’autres fronts, loin des caméras et sur la plancher des urgences, des Tunisiennes et les Tunisiens engagés, honnêtes et bien ancrés dans leurs milieux s’organisent, se remuent et se privent de tout pour aider leur pays à s’en sortir de la situation cauchemardesque dans laquelle il s’est trouvé.
L’ingénieur en chef Samia Rezgui installée à Londres, Sami Bibi, docteur en économique installé à Ottawa, Kaissar Sassi, médecin anesthésiste réanimateur opérant en France et bien d’autres multiplient les efforts pour mobiliser les donateurs, envoyer du matériel médical, des vaccins, des lits, des tonnes d’outillages utiles de façon discrète, généreuse et humble. Par des articles d’opinion et des cris de cœur, Samir Trabelsi, professeur universitaire à Toronto, Hajer El Ouardani, universitaire à Tunis, et bien d’autres intellectuels ameutent l’opinion publique internationale pour sortir la Tunisie de ses différentes crises sanitaires, économiques, sociales…
C’est cela le hiatus qui oppose frontalement la Tunisie profonde de celle qui se trouve aujourd’hui au sommet de l’État. Ce hiatus est porteur d’un autre virus, celui de l’instabilité sociale et de la perte de la confiance des jeunes générations envers leurs élites et aînés.
Pourtant, il suffit de peu pour mobiliser et rebondir. Samia Rezgui résumait le succès de son initiative d’aide à la Tunisie à partir de Londres en des mots simples, limpides… mais crédibles, comparativement à ceux des politicards du bled. Elle expliquait : «Pour notre action contre le Covid-19 en Tunisie, notre communauté tunisienne au Royaume Uni s’est organisée spontanément, en équipe de projet, nous avons défini notre stratégie, nos objectifs et nous avons privilégié la célérité de l’action en contexte d’urgence, en toute transparence… Nous avons collecté en deux semaines 400 000 dinars et avons commencé à livrer 50 concentrateurs d’oxygène. Notre but c’est de livrer au moins 5 concentrateurs par gouvernorat en Tunisie. Tout cela est fait par des donateurs discrets, humbles et mordus par l’amour de leur Tunisie de toujours…».
L’État doit apprendre de l’action citoyenne
Les élus politiques et les élites au pouvoir doivent reconnaître leur fiasco dans la gestion de la Covid-19 en Tunisie. Ils doivent assumer leur responsabilité et préparer la passation du relais du pouvoir.
Ces élites et l’administration publique en général doivent valoriser cette crise pour moderniser leurs façons de faire, pour changer de logiciel… pour opter pour un management public axé sur les résultats d’abord.
La crise actuelle est amplifiée par le manque de confiance envers les partis politiques, envers les élus et tous ces gouvernements pléthoriques et instables qui endettent le pays en dégradant chaque jour un peu plus les services publics. L’état des hôpitaux en est la preuve béante et criante.
Les aides de la diaspora sont précieuses. Elles doivent éviter les circuits gouvernementaux et étatiques, largement rongés par la corruption et la malversation.
La diaspora doit s’organiser pour renforcer son appui à la Tunisie, dans une approche de gestion par projet. Les élites de la diaspora doivent être représentées (bénévolement) dans tous ces comités constitués pour gérer la crise sanitaire et la crise économique qui étrangle pays.
Les comités en charge de la lutte à la Covid-19 et ceux en charge de la relance économique doivent compter dans leurs rangs des experts de la diaspora tunisienne à l’international. Cela donnerait plus de crédibilité et plus de rigueur dans la gestion de la crise et la communication autour.
Cela mobilisera plus d’aide internationale, le capital de sympathie manifesté envers de la Tunisie ces derniers jours est avant tout redevable à ces 1,7 millions de Tunisiens et Tunisiennes vivant et travaillant à l’étranger. L’héritage de Bourguiba y est aussi pour beaucoup.
* Universitaire au Canada.
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