Abir Moussi et le Parti destourien libre (PDL) ont raison de rappeler que les systèmes plébiscitaires sont tout, sauf la démocratie; et conduisent le plus souvent aux régimes autoritaires. Et que l’opacité entourant l’action du président de la république Kaïs Saïed, depuis son coup de force du 25 juillet 2021, est le contraire de la démocratie.
Par Rachid Barnat
Les Tunisiens dans leur euphorie du 25 juillet 2021, lorsque Kais Saied a désigné Ennahdha comme le principal responsable de leur malheur, ont cru que cela mettra fin à l’islam politique et qu’il mettra tous les pouvoirs qu’il s’est accordés à neutraliser le parti islamiste et ses alliés, responsables du gâchis et du chaos généralisé, pour poursuivre les corrompus mais aussi les criminels en ouvrant tous les dossiers les concernant mis sous le boisseau par les hommes Nahdhaouis, quand Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice, avait «garanti» cette institution !
Or, force est de constater que les Nahdhaouis et leur chef Rached Ghannouchi ne sont nullement inquiétés par la justice et mettent à profit ce temps mort décidé par Kais Saied pour se réorganiser et revenir plus forts sur la scène politique, puisqu’ils occupent déjà la scène médiatique pour redorer le blason d’Ennahdha. Alors que des plaintes contre les responsables de leur parti se comptent par millier, rien n’a été entrepris par les juges contre eux.
La justice nahdhaouie pratique la règle des «deux poids, deux mesures»
Pire, alors que les Tunisiens les croyaient dans l’œil du cyclone, pardon de celui de Kais Saied, ils poussent l’outrecuidance jusqu’à poursuivre en justice des membres du Parti destourien libre (PDL); dont celui de Ahmed Sghair, poursuivi par un membre de Majlis Choura (bureau politique) du parti Ennahdha, coupable selon lui et selon le procureur de la république qui a donné suite à sa requête, d’avoir fait son travail parlementaire en rapportant la position de ses électeurs paysans que ce nouveau propriétaire terrien agricole abusait. Alors que le procureur de la république semble ignorer totalement les plaintes dont font l’objet les Nahdhaouis et leurs larbins du Bardo, pratiquant toujours la règle des «deux poids, deux mesures» !
Ce qu’on voit, en réalité, c’est que la «justice» pratique la politique de la poudre aux yeux en s’en prenant à des petits malfrats, délaissant les grands criminels dont les dossiers sont pourtant bien constitués et connus de tous mais dont les juges refusent toujours l’ouverture, comme le dossier du financement illégal d’Ennahdha, des assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, du «jihaz al-serri» (service secret parallèle) mis en place par Ennahdha, et de la corruption qui a permis l’enrichissement rapide de bon nombres de Nahdhaouis qui disaient en 2011 aux Tunisiens être des pauvres au service des pauvres… dossiers qui, a eux seuls, suffiraient pour mettre Ghannouchi et son parti hors-la-loi!
Pire encore, les «organisateurs de la révolte» tentent de discréditer le PDL, l’unique parti d’opposition réelle qui a permis par la vigilance et l’action courageuse de ses membres de clarifier la scène politique encombrée par 220 partis «politiques», et aux Tunisiens de distinguer le bon grain de l’ivraie; en jouant la carte de «tous corrompus, tous pourris», mettant sur un pied d’égalité le PDL et Qalb Tounes, pour minimiser les responsabilités d’Ennahdha et lui permettre de se maintenir … alors que les Tunisiens sont persuadés que cette formation est finie depuis que Kais Saied a parlé et prononcé ses décisions sur un ton martial, le jour de la fête de la république !
Est-ce cela que voulait le «peuple» sorti manifester en masse le 25 juillet dernier ?
On se demande si les instigateurs de cette «révolte du peuple» ne viseraient pas uniquement à discréditer le PDL et à écarter Abir Moussi de la scène politique qu’elle a pourtant contribué largement à clarifier, pour servir d’autres intérêts, voire Kais Saied lui-même, qui voit en elle une concurrente sérieuse et redoutable !
Il est clair que beaucoup de Tunisiens sont prêts à faire confiance au président et lui sont reconnaissants d’avoir mis le holà au cirque politique qui avait lieu au gouvernement et à l’Assemblée nationale. Il est clair aussi qu’ils soutiennent sa lutte proclamée contre la corruption.
Cependant, il y a dans l’attitude et les discours du président trop de zones d’ombres et une absence totale de clarté sur son projet et la procédure pour y arriver. Est-ce qu’il veut se débarrasser de tous les partis politiques ou uniquement ceux que la justice interdira pour raison de corruption et de crimes ? Ou poursuivra-t-il son idée saugrenue de démocratie participative par la base, ne comptant que sur les jeunes qui l’avaient porté au pouvoir ? Et quelles catégories de jeunes, alors qu’ils n’ont pas les mêmes aspirations ? Les jeunes citadins ou ceux des campagnes ? L’élite ou les laissés-pour-compte comme les «enfants» de Ghannouchi transformés en mercenaires-terroristes-jihadistes ?
De leur côté, les juges ne semblent pas suivre le président, quand on voit les dossiers qu’ils ouvrent et ceux qu’ils continuent d’ignorer.
Faut-il s’y résoudre ? Sûrement pas.
Les systèmes plébiscitaires conduisent le plus souvent à l’autoritarisme
D’ailleurs Abir Moussi a prévenu, dés le départ que le PDL n’accorde pas un chèque en blanc à Kais Saied, même s’ils se joignent à l’euphorie du «peuple» du 25 juillet, après l’allocution du président. Elle a même mis en garde les Tunisiens qu’un «printemps arabe» peut en cacher un autre !
Les réactions du PDL et d’Abir Moussi s’expliquent avant tout par cette opacité qui est le contraire de la démocratie et par cette sorte de plébiscite que réclame, sans le dire, le président. Or les systèmes plébiscitaires sont tout, sauf la démocratie; et conduisent le plus souvent aux régimes autoritaires.
A l’évidence, une fois de plus le «peuple» est manipulé; et le pire, c’est qu’il ne fait rien pour ne pas l’être ! Faire confiance ? Oui mais sur quelque chose que l’on sait et pas sur une page blanche !
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