La Tunisie n’est pas le Maroc et le Maroc n’est pas la Tunisie. Chaque pays a ses spécificités. Et les comparaisons entre les deux voisins maghrébins, auxquelles certains sont souvent portés dans les deux pays, ne sont pas raison. Et pour cause…
Par Chedly Mamoghli *
Depuis la défaite aux législatives du PJD, le parti islamiste marocain, certains essayent de comparer la Tunisie et le Maroc. Certains poussent même le ridicule jusqu’à dire qu’en Tunisie, on aurait dû attendre les prochaines élections pour battre les islamistes sans se poser une seule seconde la question de savoir si notre pays, aujourd’hui au bord du chaos, pouvait tenir jusqu’en 2024, dates des prochaines législatives.
Pour revenir à notre sujet, la comparaison entre la Tunisie et le Maroc ne tient pas car elle procède par des raccourcis faciles et fallacieux et conduit à des conclusions démagogiques. D’abord, parce que les deux pays sont différents et ensuite parce que les islamistes n’ont jamais vraiment gouverné au Maroc contrairement à la Tunisie où ils ont soufflé le chaud et le froid durant toute une décennie.
Gouvernance de vitrine et gouvernance réelle
Les deux pays sont différents à bien des égards, les systèmes politiques y sont différents, les institutions y sont différentes, le fonctionnement est différent, la structure de l’État est différente, le tissu social est différent. La Tunisie n’a pas une monarchie puissante. Elle n’a pas une monarchie qui domine totalement et complètement l’État profond (justice, services de sécurité et de renseignements, etc.).
Au Maroc, pendant dix ans, les islamistes n’ont pas pu dominer d’un iota de l’État profond contrairement à la Tunisie où ils ont tout dominé. Première différence de taille et essentielle.
Ensuite, pendant dix ans, les islamistes marocains n’ont pas gouverné contrairement à la Tunisie. C’est une «gouvernance» de vitrine au Maroc. Le roi domine totalement le pouvoir régalien et sans partage. Quant aux ministères économiques, ce sont des technocrates du palais qui les chapeautaient. Ils étaient dirigés par les hommes du roi à l’instar de Moulay Hafidh Elalamy, ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Économie numérique, en fonction depuis presque 10 ans. Chez nous, les islamistes gouvernaient réellement, même s’ils n’avaient pas toujours des hommes issus de leurs rangs à la tête de la plupart des ministères.
Pendant une décennie entière, Rached Ghannouchi était l’homme fort de la Tunisie. Que cela plaise ou pas, telle était la réalité jusqu’au 25 juillet dernier (que je considère comme une date historique charnière) et l’annonce des mesures exceptionnelles par le président de la république Kaïs Saïed. Donc, en Tunisie, les islamistes ont eu le pouvoir, qu’ils n’ont jamais vraiment eu au royaume chérifien.
Le poids du palais sur la scène politique et économique
D’ailleurs, le Rassemblement national des indépendants (RNI), parti vainqueur du scrutin d’avant-hier, 8 septembre 2021, est considéré comme proche ou issu du palais. C’est une invention d’Hassan II et de son fidèle conseiller et ami Ahmed Reda Guedira et ils ont placé à sa tête au moment de sa fondation un homme du Makhzen en la personne d’Ahmed Osman qui n’est autre que le beau-frère d’Hassan II. Aujourd’hui, le RNI est dirigé par Aziz Akhannouch, deuxième fortune du royaume après le roi. Quant au second parti du scrutin d’avant-hier, le Parti de l’authenticité et de la modernité (PAM), il a été fondé par Foued Ali El-Himma, camarade de Mohammed VI au collège royal, ami et conseiller. C’est «le Ahmed Reda Ghedira» de Mohammed VI. Il a fondé le PAM puis est revenu rapidement à son poste de conseiller au palais.
Par conséquent, les deux partis arrivés en tête avant-hier sont deux partis de la monarchie. Ils sont suivis par l’Istiqlal, parti de l’Indépendance dont l’une des figures de proue fut l’illustre Allal Al-Fassi. Ce parti n’est pas un parti du palais, contrairement au RNI et au PAM, et connaîtra même des déboires avec le pouvoir du temps de Mohammed V puis de Hassan II.
Quant au poids de la monarchie dans l’économie, il n’est ni à démontrer ni à prouver. La holding royale Siger présidée par le financier Mounir Majidi, secrétaire particulier et ami du roi, est le poids lourd par excellence de l’économie marocaine. La Siger domine Al Mada (ex-Société nationale d’investissement, SNI, qui a absorbé déjà en 2010 le grand groupe diversifié l’ONA, jadis premier groupe industriel et financier du pays) et Les Domaines agricoles. À titre d’exemple, Attijari wafa bank est une filiale d’Al-Mada.
En conclusion, la Tunisie n’est pas le Maroc et le Maroc n’est pas la Tunisie. Les deux pays sont différents. Les comparer, faire des parallèles ou des raccourcis relève de la démagogie.
* Juriste.
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Le Qatar, État satellite des Etats-Unis
Afrique du Nord : L’influence américaine décroît, la Tunisie doit en tirer des conclusions
Donnez votre avis