Le huitième Sommet des pays sud de l’Union européenne (UE Med) tenu le 17 septembre 2021 à Athènes qui a regroupé la Grèce, la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, Malte, Chypre, la Slovénie, et la Croatie, a dans sa déclaration finale consacré un assez long paragraphe à la Tunisie parmi six pays dont l’Afghanistan, la Syrie, la Libye. Appréciez la compagnie ! Il s’agit là, vous en convenez, d’un fait sans précédent pour la Tunisie qui se retrouve mentionnée en si «bonne position» dans un document officiel adopté à un niveau européen aussi élevé…
Par Raouf Chatty *
Le communiqué met l’accent sur la «nécessité de préserver la démocratie, les procédures constitutionnelles, et l’Etat de droit», laissant entendre que ces acquis sont en danger. Il souligne que «l’efficacité et le bon fonctionnement du gouvernement sont déterminants pour faire face à la crise économique actuelle qui requiert une solution urgente», message directement adressé au président de la république Kais Saïed qui ne semble pas accorder la même importance à ce sujet de la gouvernance économique. Il fait état de «la volonté de ces pays de continuer d’apporter leur plein soutien aux efforts de la Tunisie pour juguler la crise économique et sociale aggravée par la pandémie».
Tout en soulignant la nécessité pour les pays du sud de l’Europe «de préserver la stabilité de la Tunisie et celle de la région», le communiqué «appelle toutes les parties prenantes à lutter contre les immigrations irrégulières et à s’attaquer à leurs causes structurelles».
Une sommation d’agir en direction du président Saïed
Dans le langage diplomatique, il s’agit là d’un acte lourd que le pays visé se doit de mesurer l’importance, d’en analyser le timing, d’en détecter les messages, d’en évaluer l’impact et les conséquences sur ses relations avec les partenaires européens … Bref, on est en face d’une sommation d’agir…
Cela dit, cet acte pose plusieurs questions que nous analyserons dans cet article. D’abord, le Sommet avait-il réellement besoin de s’attarder d’une manière aussi franche et crue sur la Tunisie alors que le Haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et les questions de sécurité, Josep Borrell, était depuis deux semaines en visite officielle en Tunisie, où il avait été longuement reçu par le président de la république avec qui il avait soulevé des questions se rapportant à la démocratie et à l’évolution de la situation politique en Tunisie au lendemain de l’annonce des «mesures exceptionnelles», le 25 juillet dernier.
Le président n l’avait-il pas rassuré sur l’attachement de la Tunisie à la démocratie, à l’État de droit et aux droits de l’homme, à la lutte contre la corruption et à sa volonté d’annoncer très prochainement sa feuille de route relative aux réformes institutionnelles et politiques projetées?
Ensuite, le Sommet avait-il réellement besoin d’agir de la sorte et de faire figurer injustement la Tunisie sans se soucier de son image dans une liste comprenant des pays dont la situation politique et sécuritaire est en rien comparable à celle prévalant en Tunisie, à savoir l’Afghanistan, la Syrie, la Libye, pays qui continuent d’être laminés par les conflits militaires, l’instabilité, l’insécurité et le terrorisme?
Le Sommet avait-il aussi besoin d’acter de cette manière alors que les ambassadeurs des pays du G7 en Tunisie avaient, sous la houlette des États européens membres de ce groupe, publié il y a trente cinq jours un communiqué officiel sur la situation politique et les questions de la démocratie et des libertés individuelles et publiques en Tunisie, communiqué qui s’apparentait à une proposition de feuille de route destinée au président de la république pour l’aider à concevoir la sienne, qu’il avait promise le 25 juillet à la nation et aux partenaires étrangers ?
Dissiper les doutes sur les intentions présidentielles
En tout état de cause, le communiqué du Sommet des pays sud-européens ne peut être lu par l’État tunisien dans les contextes politique national et sous-régional actuels que comme une mise en demeure d’agir vite et d’honorer ses engagements sans se soucier des nombreuses contraintes qui pèsent sur lui.
Il est vrai que beaucoup de temps s’est écoulé depuis le 25 juillet sans que le président Saïed ne se soit décidé, à ce jour, de faire connaître de manière officielle sa feuille de route, semant le doute sur ses véritables intentions pour l’avenir du pays et érodant sa crédibilité personnelle vis-à-vis des partenaires étrangers, qui ne comprennent pas les raisons de ce retard.
La situation étant ainsi, il faut s’attendre à ce que d’autres actions soient prochainement adoptées au niveaux d’autres hautes instances européennes aussi longtemps que le président Saïed n’aurait pas annoncé sa feuille de route et passé à l’action pour lui donner corps.
Maintenant, quelles sont les raisons qui ont présidé à l’intégration de la Tunisie dans le communiqué de ce Sommet et dans le débat que les chefs d’État et de gouvernement présents à Athènes avaient consacré à notre pays, sans se soucier des réactions des autorités tunisiennes, quant à cette ingérence manifeste dans leurs affaires intérieures.
Pour ces pays, la Tunisie devient un motif sérieux de préoccupation. Elle est de plus en plus perçue comme une zone d’instabilité dans une région de plus en plus mouvementée. Les pays européens appréhendent très sérieusement de voir un partenaire économique et commercial privilégié comme la Tunisie avec lequel ils ont des intérêts importants déraper avec l’affaissement de plus en plus perceptible de l’autorité de l’État, la persistance de la crise économique et sanitaire, les flambées de l’immigration illégale vers l’Europe, voire une possible résurgence du terrorisme.
Ils nourrissent de grandes inquiétudes pour la sous-région aux prises avec l’instabilité, comme en témoigne la récente rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc.
Epargner à la Tunisie de nouvelles ingérences
Les pays européens savent également qu’en dépit des éclaircies récentes, la Libye demeure toujours très fragile, le pays étant traversé par des conflits politiques et militaires dont personne ne peut pour l’heure préjuger de l’issue. Les sacrifices consentis par les différents protagonistes libyens, tout comme les intérêts divergents des puissances étrangères présentes en Libye demeurent très présents dans l’espoir d’un prochain règlement politique définitif du conflit inter-libyen.
Pour épargner à la Tunisie de nouvelles ingérences, qui pourraient venir d’autres instances européennes, comme la Commission pour le Maghreb du Parlement européen ou le Parlement européen lui-même, à la faveur de l’évolution de la situation politique en Tunisie, il devient urgent que le président de la république agisse vite, fasse connaître sa feuille de route et actionne la diplomatie tunisienne pour remplir sa mission, car nos partenaires ont besoin aujourd’hui d’être éclairés et rassurés sur l’avenir de la Tunisie, au moment où ses détracteurs reviennent à la charge et montent au créneau dans l’espoir de revenir sur les devants de la scène…
* Ancien ambassadeur.
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