Pour sortir la Tunisie de la situation de léthargie et d’incertitude qui dure depuis le 25 juillet 2021, le président de la république Kaïs Saïed doit organiser un plébiscite sur sa propre personne qui lui donnerait une légitimité en or, étant crédité actuellement d’un fort taux de popularité dépassant 90%, et cautionnerait la dissolution du parlement et l’abrogation de la constitution de 2014, qui seraient annoncées dans la foulée. Ce plébiscite clouerait le bec de ses détracteurs et le libérerait totalement vis-à-vis des partenaires étrangers de la Tunisie dont les pressions sont devenues insupportables.
Par Mounir Chebil *
Depuis le 25 juillet 2021, on attendait du président Kais Saied des décisions courageuses et importantes pour le devenir de la Tunisie. La dissolution du parlement n’a pas eu lieu et l’abrogation de la constitution de 2014 non plus. Même la formation d’un gouvernement provisoire tarde à venir comme si la Tunisie manquait de compétences connues pour leur probité.
La Tunisie vit dans l’incertitude puisque le président de la république n’a pas daigné encore présenter une quelconque feuille de route. Les partenaires étrangers veulent avoir de la visibilité et des vis-à-vis habilités à engager l’État pour les divers accords encore en instance, dont les accords de prêt avec le Fonds monétaire international (FMI).
Aujourd’hui plus que jamais, il faut au plus vite résoudre le problème institutionnel, surtout que des voix montent au créneau pour demander le limogeage pur et simple du président de la république. L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) n’étant pas officiellement dissoute, c’est son président «gelé» Rached Ghannouchi qui, en cas de vacance du pouvoir, souillera le Palais de Carthage. Allez voir comment le déboulonner.
Les atermoiements du président, ses déclarations vaseuses, son manque total de visibilité et ses maladresses avec les délégations américaines et européennes sont autant de conditions qui ne font qu’ajouter de l’eau au moulin de ses détracteurs internes et externes.
En finir avec des institutions illégitimes au regard de la loi
Il est urgent pour le président de déclarer sans ambages que toute l’ossature juridique sur laquelle sont basés les pouvoirs publics souffre d’un manque de légitimité probante. La constituante de 2011, la constitution et tout ce qui en a découlé seraient d’une légitimité douteuse. Les constituants qui ont établi la constitution en trois ans en dépassement du délai ferme d’une année qui leur a été imparti par le décret d’août 2011, et du mandat donné par les électeurs ont fait acte d’usurpation constitutionnelle et d’usurpation de la volonté populaire. Les parlements et les gouvernements issus de cette constitution sont, du point de vue juridique, contestables. Il n’y a pas de recours juridictionnels contre cette usurpation commise par la constituante, qui n’est d’ailleurs imprescriptible, seul le peuple souverain peut en décider suivant la forme de son choix. Le 25 juillet le peuple a dit son mot : «Non à l’ARP et non à la constitution de 2014».
Il faut se mettre à l’évidence que les constituants ont fait un vrai putsch. D’une part, ils se sont déclarés abusivement comme un pouvoir constituant originaire doté d’un pouvoir absolu, alors qu’ils sont un pouvoir constituant dérivé ou institué par les pouvoirs issus de la constitution de 1959 ainsi que par le peuple qui leur a donné un mandat d’une année ferme pour élaborer la constitution. D’autre part, à travers la constituante, le parti Ennahdha a fait main basse sur l’État pendant trois années et, dans le sillage, sur le trésor public. Puis, les Frères musulmans du parti Ennahdha se sont installés dans les hautes sphères de l’État en marionnettistes, semant la gabegie et le chaos, en attendant des jours meilleurs. Faut-il cautionner éternellement un tel diktat en s’attachant à un juridisme stérile?
Or, en août 2013, le peuple a failli dissoudre la constituante devenue le repaire des putschistes. Puis, le peuple souverain s’est soulevé le 25 juillet 2021, et a demandé d’entrer dans ses droits de sanctionner les usurpateurs. Il a exigé la dissolution du parlement et la déchéance du gouvernement, deux attentes qui attisaient, durant des mois, l’activité sismique qui a engendré l’irruption volcanique du 25 juillet. Le peuple souverain a demandé au président d’exécuter la sentence.
Le président Saïed doit apprendre à battre le fer tant qu’il est chaud
Le mouvement du 25-Juillet comporte en son sein une volonté de changement du régime politique et un retour au régime présidentiel. Il se trouve que le président de la république n’est pas forgeron. Il ne sait pas battre le fer tant qu’il est chaud. Il a gelé l’activité du parlement au lieu de le dissoudre et se refuse encore d’abroger la constitution de 2014. Par ailleurs, il n’a pas formé un nouveau gouvernement, laissant le pays dans la dérive et les attentes sociales en suspens sans penser à l’effet du boomerang.
Il est incontestable que Monsieur Kaïs Saïed avait toute la légitimité pour entreprendre son coup de force. Il y avait toutes les conditions objectives et subjectives pour le justifier. Malheureusement il nous a laissés sur notre faim. Qu’il est amer ce goût d’inachevé !
Il faut que M. Saïed se mette à l’évidence qu’il est l’objet de plusieurs complots. Je n’écarte pas l’hypothèse que des parties étrangères alliées des Frères musulmans soient en train de les fomenter. Les délégations américaines et européennes ont été frustrées lors de leurs récentes visites, en août et septembre, de n’avoir ni senti l’odeur du jasmin, ni vu les couleurs printanières et ni les barbes hirsutes. Elles étaient moyennement convaincues du cours en droit constitutionnel que le président de la république leur a infligé. Que de mauvais présages!
Aujourd’hui, et étant donné que la Tunisie est plus un État de fait qu’un État de droit, la course au pouvoir est semblable au jeu de carte «scopa» (ou balai). Le 25 juillet, monsieur le président de la république, devançant les comploteurs, vous avez battu votre scopa sur le tapis si fort que vos adversaires s’étaient vus déboussolés. Il est logique, qu’une fois ces derniers réveillés de leur torpeur, se préparent à battre leur scopa, eux aussi. La manifestation des Frères musulmans et de leurs serviles clients de la gauche caviar, organisée samedi 18 septembre, à Tunis, en est un prélude.
C’est donc à monsieur le président d’agir dans les plus brefs délais. Il lui faut, tout d’abord, décréter la dissolution du parlement et l’abrogation de la constitution de 2014 pour fermer définitivement la porte de Carthage devant Rached Ghannouchi.
Un montage institutionnel de six mois pour remettre le pays sur les rails
Il ne faut pas oublier que M. Saïed est lui-même élu conformément à la constitution, de valeur juridique contestable, de 2014. Il en découle juridiquement qu’il est lui-même assis sur un fauteuil usurpé. Par conséquent, en plus des urnes qui l’ont porté à la présidence et la confiance du peuple qui lui a été solennellement signifiée le 25 juillet lui imposent de penser sérieusement à revêtir une légitimité à toute épreuve pour entamer, par la suite, les réformes qui s’imposent.
À cet effet, M. Saïed doit organiser, impérativement et dans les plus brefs délais, un plébiscite sur sa personne en tant que président de la république tant qu’il a le vent en poupe. Les sondages des intentions de vote sont très largement en sa faveur et l’opinion publique en général lui est acquise. Toute l’opération du plébiscite doit être sous le contrôle total de l’armée. Nabil Bafoun, le président du «machin des élections», un autre manipulateur qui n’est pas à sa place ou qui est à la place où il est par la seule grâce des islamistes, est capable, comme à son habitude, de tout faire capoter au profit de ses «employeurs».
Le plébiscite donnerait au président de la république une légitimité en or qui cautionnerait ses décisions ayant porté sur la dissolution du parlement et l’abrogation de la constitution. Le plébiscite clouerait le bec de ses détracteurs, et le libérerait totalement. Le plébiscite ainsi que le gouvernement qu’il formerait donneraient à l’État une certaine crédibilité vis-à-vis des partenaires étrangers.
Par ailleurs, une commission restreinte pour réviser la constitution de 1959 devrait être mise en place et achever sa mission dans les plus brefs délais. Tout le monde sait que Kaïs Saïed penche vers le régime présidentiel déjà souhaité par une large frange de l’opinion, qu’il en soit ainsi. Donc, le président de la république n’aura pas de difficulté pour le mettre en place étant donné sa légitimité. Tout ce montage ne doit pas dépasser les six mois. Le pays ne peut souffrir une année supplémentaire d’immobilisme.
Si le plébiscite tourne en défaveur de M. Saïed, il y aurait certainement un vide institutionnel total que seule l’armée, garante de la sécurité, de la stabilité et de l’unité de l’État, serait en droit de combler provisoirement. L’armée n’est pas aussi muette qu’on veuille le penser. Seulement, elle agit discrètement et en vertu d’une stricte nécessité. Certaines expériences ont montré que son intervention dans la chose publique était salutaire, comme un certain 14 janvier 2011 . Il ne faut pas se leurrer, le passage en force du 25-Juillet n’aurait pas eu lieu si ce n’était pas son consentement. L’État risquait de s’effondrer complètement et les prédateurs étaient à l’affût.
Monsieur Kaïs Saïed, nous n’avons que trop souffert des blocages institutionnels, n’en rajoutez pas. Ayez l’obligeance de nous éviter la déconstruction pour la reconstruction et le ballet du bas vers haut qui risque d’engendrer un plus sinistre ballet du haut vers le bas. Nous y sommes déjà. N’y allez pas par quatre chemins, avec tous mes respects, limitez-vous à ressusciter la constitution de 1959 avec un nouvel habit qui sera nécessairement retouché avec le temps, et mettez la locomotive sur les rails.
* Haut fonctionnaire à la retraite.
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