La Tunisie a célébré avant-hier, vendredi 15 octobre 2021, comme chaque année, la fête de l’Évacuation, à la base navale de Bizerte, d’où est parti le dernier soldat français, scellant ainsi la fin de la colonisation française de la Tunisie. Retour sur un chapitre de notre histoire hélas truffé d’oublis.
Par Farouk Ben Miled *
Le lendemain du déclenchement de la bataille de Bizerte, les nouvelles annonçaient déjà plusieurs morts et blessés. Les hôpitaux locaux de l’époque très insuffisamment équipés en matériels et médecins, étaient débordés et la situation des blessés était désespérée.
Évidemment, le gouvernement tunisien n’avait rien prévu de tel, et nos médecins fussent-ils «destourisés» (affiliés au parti Néo-destour, Ndlr) de longue ou de fraîche date, se sont tous courageusement abstenus de réagir devant le feu, autrement que par des slogans, sans parler du «mootmad» (sous-préfet, Ndlr) du coin qui s’est débiné en premier. Sauf deux , spontanément et sans se connaître, pour sauver l’honneur!
Le premier est le Docteur Hamadi Ben Salem, le frère de feu notre célèbre peintre Ali Ben Salem et gendre de Sidi Lamine Pacha Bey, ce que je n’ai su qu’il y a peu de temps. Il réagit à son instinct de médecin pour soigner les blessés à Bizerte. Je ne connais pas la suite.
Le deuxième est le Docteur Ahmed Ben Miled, installé à Halfaouine où il créa dès 1940 un dispensaire pour soigner gratuitement avec d’autres médecins les indigents de toutes confessions , le «Dar Ibn El Jazzar».
Membre fondateur du PCT, de la CGT, et de l’AEMNA à Paris en 1927, avec son esprit partisan et peut-être aussi quelque peu baroudeur, il se présenta en 1943 de lui-même pour être médecin de la défense passive responsable de Tunis Nord pour sauver les blessés pendant les bombardements.
Je rappelle ici que Tunis Nord concernait le quartier de Bab Saadoun, qui abritait sur la colline du même nom, à l’époque dénommée Sidi El Guitouni, et à mi flanc de celle-ci une batterie de DCA allemande «la flac», terreur des bombardiers américains, qui ciblant de très haut El-Aouina ainsi que la Gare de Tunis, pour d’ailleurs les rater souvent; les bombardements de la rue Sidi El Béchir en font foi.
Le Docteur Ahmed Ben Miled n’hésita pas lui non plus, instinctivement et par réflexe de médecin, à faire son devoir.
Étant l’aîné de la fratrie, à 24 ans, avec mon permis de conduire, il me demanda de le conduire.
J’ai donc peint sur un tissu blanc, un vichy ordinaire, un croissant rouge que j’accrochais avec des ficelles et épingles à nourrice sur le toit de la petite Opel deux portes et nous partîmes.
Sabelet Ben Ammar dépassée, la chasse qui nous survolait en rase-motte devint de plus en plus menaçante, et mon père me fit descendre au Pont de Bizerte, à l’époque Proville, pour continuer tout seul jusqu’à Menzel Bourguiba et ce n’était pas par hasard.
En 1924, il y fût envoyé par le PCT pour encadrer la grève de la briqueterie et grâce à lui, les provocations policières furent contenues. A son retour à Tunis, il est incarcéré et ne sortit de prison qu’en 1925 pour passer son bac qu’il prépara dans la même pension. C’était donc un peu des retrouvailles.
Je n’insistais pas redoutant son terrible «coup de boule», dont certains de ses compagnons de lutte «retourneurs» de veste connurent avant moi, pour l’avoir boudé parce qu’il ne partageait pas leur suivisme.
En cela, il me rappelle le capitaine Goderville, ce Normalien poète qui pendant la Résistance n’hésitait pas à se servir de ses muscles pour s’exprimer.
J’ai donc regagné Tunis en stop, les louages n’existaient pas encore, et la TAT n’étant pas au rendez-vous.
A son retour, il nous raconta qu’il s’est rendu directement à l’hôpital civil où il ne trouva que l’infirmier chef avec lequel il organisa l’accueil, puis il se rendit aussitôt à l’Arsenal où le planton de garde alla informer son supérieur, lequel informa le sien, et ainsi jusqu’à l’Amiral qui l’accueillit poliment et donna des ordres pour lui remettre les morts et les blessés qu’une ambulance militaire transporta.
Il nous raconta aussi que la plupart des blessés étaient des gosses pas formés et mal informés qui, armés de bâtons, croyaient ou alors on leur a fait croire qu’ils allaient ainsi conquérir l’Arsenal militaire de Menzel Bourguiba, Ferry-Ville de l’époque .
Ils y allèrent donc éparpillés réclamer l’Arsenal dont les portails métalliques étaient fermés.
Les militaires les laissèrent s’agglutiner puis ouvrirent les portails où ils s’engouffrèrent, et une fois tout ce petit monde piégé, ils fermèrent les portails.
La suite hélas je vous laisse deviner, car mes souvenirs s’estompèrent.
C’était juste une information pour ne pas oublier ces hommes de bonne volonté qui méritent notre reconnaissance et que notre histoire a été encore une fois occultée, et sans doute pas la seule.
* Architecte DPLG.
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