Cet Iranien, représentant l’Iran au sein du FMI a participé à titre d’«administrateur de la Tunisie», dans le premier round de négociations tenus entre le FMI et la Tunisie, vendredi dernier. Qui est M. Hossein Hosseini ? Qui l’a mandaté pour représenter la Tunisie au sein du FMI ? Et pourquoi ?
Par Moktar Lamari, Ph.D
Incroyable? Encore une fois, le nom de ce représentant de l’Iran au sein du FMI figure dans les négociations Tunisie-FMI. Le communiqué de la BCT paru samedi, site son nom, en tant que participant au côté des deux ministre tunisiens et du gouverneur de la Banque centrale (BCT) et de délégation du FMI.
Hossein Hosseini participe à cette rencontre en portant le statut de l’«administrateur de la Tunisie auprès du FMI». Non, cet Iranien n’a rien à faire dans ces négociations et ne me représente pas auprès du FMI.
Nous n’avons rien contre cette personne particulièrement et encore moins contre son pays, mais faire participer un Iranien, dans les négociations Tunisie-FMI peut friser l’entendement. Comme s’il faut ajouter de la confusion à la confusion ambiantes.
Comme si la Tunisie endettée, sur le bords de la faillite se sent insolvable et qu’elle doit défendre sa cause par des plus crédibles… par le parrainage de l’Iran, dans ce cas.
Hossein Mirshojaeian Hosseini, un ex Deputy Minister de l’État iranien (2016-2019), et arrivé depuis seulement 10 mois, comme directeur exécutif au sein du FMI, a plaidé la cause tunisienne auprès du FMI, dans un étrange statement de 5 pages, annexé au dernier rapport du FMI au sujet de la Tunisie, il y a déjà quelques mois, sous les instructions du gouvernement Mechichi.
Commençons par la fin ! Le rapport du FMI (Country Report 2021/044), publié il y a quelques mois, comprend une annexe de 5 pages, signée par Hossein Hosseini et Samir Belhadj. Cette annexe décrit les engagements du gouvernement Mechichi auprès du FMI pour espérer décrocher son soutien financier. Un soutien vital pour son gouvernement, un soutien incontournable de cette institution internationale, par qui passe le go et le no go de tous les prêteurs et bailleurs de fonds.
Hossein Hosseini, qui est-il et d’où vient-il?
M. Hosseini a rejoint le FMI à Washington, depuis moins d’un an. Titulaire d’un doctorat (Ph.D.) en macroéconomie obtenu au Japon en 2013, M. Hosseini est un pur produit de l’administration politique régissant la République islamique d’Iran.
Avant de rejoindre le FMI, M. Hosseini a occupé de très hautes fonctions au sein de l’État iranien, une carrière en ligne droite qui l’a propulsé au poste de vice-ministre en titre au ministère iranien de l’Économie et des Finances et ce pendant 5 ans (2014-2019).
Au-delà de ses très respectables diplômes en macroéconomie et en Development policy, M. Hosseini a le profil d’un homme viscéralement politique, désigné par son gouvernement, rien à avoir avec un simple expert économiste neutre, sans attache politique et sans ancrage partisan au système de gouvernance mis en place haut et fort par les Ayatollahs en Iran.
Mes propos ne doivent pas offenser ce personnage respectueux et qui est par ailleurs très prolifique en matière de publications scientifiques (voir son pedigree sur Google scholar), notamment dans les secteurs de l’énergie et de la macro-économie.
Un Iranien parle au nom de la Tunisie au sein du FMI
M. Hosseini plaide la cause des «autorités» tunisiennes au sein du FMI, comme si la Tunisie a besoin de mandater un autre pays pour se porter garant, protecteur… au sein des réunions du FMI à Washington. Qui l’eût cru que 10 ans après sa Révolte du Jasmin, la Tunisie perd de son aura et se fait représenter par
un étranger qui utilise les mots pour le contexte : «on behalf of ourTunisian authority…».
Motus et bouches cousues, aussi bien du chef du gouvernement Hichem Mechichi que du gouverneur de la BCT, Marouane El-Abassi. Rien à dire au sujet de cet enjeu très «offensant» et arrivant quasiment une semaine après la sévère dégradation de la note de confiance de la Tunisie par Moody’s.
Sujet brûlant sur les réseaux sociaux, les médias influents sont hors-jeux, ne lisant pas toujours l’anglais, restent divisés, ne sachant pas quoi dire à ce sujet très politique dans le contexte des tensions qui déchirent les trois présidences au sommet de l’État tunisien.
Cela dit, le fait de voir un Iranien parler au nom du gouvernement tunisien au sein du FMI reste choquant et à plus d’un titre. Pour certains, il s’agit d’une atteinte à la souveraineté économique de la Tunisie. Pour d’autres, c’est plus complexe que ça ne paraît. Et pour cause, trois hypothèses explicatives sont avancées par les experts qu’on a consultés.
Un : la première hypothèse tient au fait que la Tunisie ne dispose pas de suffisamment de SDR (Special drawing rights), un actif monnayable mesurant les actions dans le «capital fondateur du FMI» détenues par chaque pays membre du FMI, et dont la valeur par SDR vaut presque 4 dinars tunisiens.
Les pays ayant le plus important volume de SDR ont plus de droits de vote et de décision sur les sujets en délibération au sein du FMI. La Tunisie dispose de 545,2 millions de SDR, ne pesant que 0,14% du total des votes en jeu dans cette institution internationale gérée selon ces quotas SDR.
Un expert économiste et ancien ministre tunisien m’expliquait par Messenger, cette semaine que les pays lilliputiens comme la Tunisie doivent faire alliance avec d’autres plus forts qu’eux, pour mieux peser sur le vote requis, et ce pour influencer des décisions du FMI.
Selon cette hypothèse, la Tunisie a fait «alliance» avec l’Iran pour aller de l’avant dans la quête de décisions qui lui sont favorables. L’Iran dispose de quasiment 3 fois plus de SDR (1552 millions) que la Tunisie, et donc trois fois plus de pouvoir de votes. De ces précieux SDR, le Maroc dispose un peu moins que le double de la Tunisie. L’Algérie dispose quatre fois plus que la Tunisie (1959 millions de SDR vs 525 millions pour notre pays). En termes de SDR, l’Algérie dispose de 30% de plus que l’Iran (en SDR et droit de vote), et on se demande pourquoi la Tunisie n’a pas cherché d’autres alliances plus proches du point de vue géopolitique, tels que l’Algérie, dans le cadre de cette hypothèse explicative.
Dans ce contexte, la Tunisie ne doit pas faire confiance à l’Iran… Il aurait été plus logique de faire alliance avec d’autres pôles de pays.
Deux, certains observateurs et analystes au fait des enjeux politiques en Tunisie avancent l’hypothèse que la Tunisie doit faire appel à un autre décideur, dit administrateur pour signer en son nom des réformes douloureuses.
La Tunisie doit parler en son nom et signer les documents officiels l’engageant sans passer par des tiers.
On doit assumer et éviter de faire porter l’odieux à des non Tunisiens quand il s’agit d’annoncer des réformes impopulaires et des politiques qu’ils ne peuvent assumer. Ils sont de facto incapables de concevoir et d’implémenter pour réformer et pour relancer une économie asphyxiée par la dette et paralysée par la mal-gouvernance.
Trois : dans le contexte d’une recherche d’un pays économiquement «fort», capable de se porter garant des prochains prêts internationaux requis pour financer le Budget 2022, l’Iran semble devenir un allié «crédible», surtout que ce pays annonce un taux de croissance de 3% pour 2021 et impose de plus en plus
ses diktats pour les amis des amis, entre autres le Qatar et la Turquie.
Le Liban paie aujourd’hui les frais de ces alliances erratiques et incertaines avec l’Iran. La finance islamique et les sukuks qui ont contribué à ruiner le Liban, seraient à l’œuvre en Tunisie, mais par des ramifications latentes et décisions insidieuses peu visibles pour le commun des mortels en Tunisie.
La Tunisie libre, démocratique et souveraine ne doit pas lâcher prise et ne doit pas troquer son indépendance pour des enjeux de financement mercantile et pour des causes bassement vénales. Le FMI préfère de vraies réformes que des alliances foireuses pour acheter du temps et pour ruiner la démocratie
Tunisienne, pourtant bien partie en 2011.
La Tunisie ne doit pas s’embourber davantage et doit mener ses négociations seules avec le FMI, sans intermédiaire iranien. La Tunisie, représentée par son gouvernement doit signer les documents et les engagements, de façon autonome et fière, autant qu’elle puisse l’être dans l’état où elle a mis son économie.
Ce faisant, on peut savoir sans intermédiaires, quelles sont les réformes et quels sont les engagements à tenir dans le cadre de ces réformes à venir!
Je le répète, M. Hosseini ne me représente pas, et il ne peut pas être l’«administrateur» de mon pays au sein du FMI. Il ne doit pas faire partie des négociations engagées entre le FMI et la Tunisie, depuis la semaine dernière.
* Universitaire au Canada.
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