Le refus du président de la république Kais Saied de promulguer le décret d’application de la loi n° 38 de l’année 2020, relative au recrutement d’un certain nombre de diplômés chômeurs dans la fonction publique, suscite un tollé général. Pour une fois que le président, que l’on ne cesse d’accuser de populisme électoraliste, prend une décision impopulaire et qui risque de porter un coup dur à sa popularité auprès de ses principaux soutiens, les jeunes des quartiers populaires et des régions défavorisées, ses soutiens parmi les acteurs de la scène politique se font très rares, animés qu’ils sont tous par cette lâcheté qui dicte habituellement toutes leurs positions.
Par Ridha Kefi
Le président, conscient des graves difficultés financières auxquelles fait face actuellement l’Etat, en raison du gaspillage monstre et de la mauvaise gouvernance ayant caractérisé la gestion des affaires du pays au cours des dix dernières années, a dû prendre cette décision impopulaire avec courage et détermination, estimant que les promesses faites par les députés qui ont voté la loi n° 38 de 2020, en date du 13 août 2020, sont au mieux des lâches et au pire des irresponsables.
«On vous berce d’illusions», a lancé le chef de l’Etat aux diplômés chômeurs, car il sait que ces chers députés, dont on s’est assez justement débarrassés le 25 juillet dernier, avec l’annonce des «mesures exceptionnelles» par le président de la république, ont fait preuve de grand cynisme en votant des lois dont ils sont bien placés pour savoir qu’elles sont inapplicables et que le gouvernement, qui fait face à de graves difficultés financières, ne pourra pas les respecter. Et pour cause…La fonction publique en Tunisie, qui emploie plus de 700 000 salariés pour une population de 12 millions d’habitants, presque le double de ce qui est nécessaire, souffre d’un mal chronique : un sureffectif qui nuit à la qualité et à la célérité des services publics, lesquels s’en trouvent d’ailleurs très dégradées.
Un Etat qui dépense des ressources qu’il n’a pas
Ce n’est sans doute pas un hasard si tout le monde dans le pays souffre des dysfonctionnements de l’administration, de la lourdeur de la bureaucratie qui nuit au climat des affaires et de la corruption qui gangrène les rouages d’un Etat mastodonte, qui dépense plus que ce que ses ressources le lui permettent.
Ce n’est pas un hasard non plus si tous les bailleurs de fonds de la Tunisie ne cessent de lui rappeler ses engagements passés à réduire le poids de la masse salariale dans le PIB, l’un des plus élevés sinon le plus élevé dans le monde, à assainir ses entreprises publiques dont l’écrasante majorité sont déficitaires, souffrant elles aussi de sureffectifs, de mauvaise gouvernance, de corruption et d’endettement chronique.
La décision du président de la république est certes un peu brutale pour ceux que ladite loi a donné de faux espoirs, mais elle est imposée par les graves difficultés financières auxquelles est confronté l’Etat, qui se trouve dans l’incapacité de mobiliser les milliards de dinars dont il a besoin pour boucler son budget de l’exercice 2021 et préparer celui de 2022, qui aurait dû être près depuis au moins un mois.
Des politiques lâches et irresponsables
Cela, ces chers politiques le savent très bien et ne cessent d’en parler pour le reprocher au président Kais Saied et à la cheffe de gouvernement, Najla Bouden, comme s’ils étaient, eux, les responsables de la déroute économique et financière actuelle, conséquence de dix ans de gouvernance erratique et de gaspillage à tout va. Les plus hypocrites et les plus cyniques parmi eux n’ont pas honte de condamner publiquement le président Saïed pour avoir refusé de promulguer le décret d’application de la loi qu’ils ont eux-mêmes votée, il y a un peu plus d’un an, en dépit de toute logique économique, emportés qu’ils sont par cet élan de populisme électoraliste ayant mis le pays au bord du précipice.
D’autres, notamment les plus libéraux parmi eux et les plus au fait des réalités économiques, qui, au fond d’eux-mêmes, approuvent la décision du chef de l’Etat, étant conscients de son inapplicabilité dans l’état actuel de l’économie nationale, préfèrent cependant (très courageusement) se taire pour ne pas avoir à donner raison au locataire du palais de Carthage, prouvant encore une fois leur manque de courage intellectuel, leur malhonnêteté politique et leur opportunisme électoraliste, donnant raison, au passage, au mépris que leur voue l’écrasante majorité des Tunisiens, qui, malgré les difficultés qu’ils souffrent au quotidien, continuent de plébisciter Kais Saied et de vouer aux gémonies ses opposants.
Et qui préfèrent tourner le dos à la vérité
Ne se trouverait-il pas un jour un homme politique tunisien honnête, sincère et responsable pour dire la vérité aux 700 000 chômeurs que compte le pays et, surtout, aux 250 000 diplômés parmi eux, et de leur expliquer qu’ils ne doivent plus compter sur la fonction publique pour avoir un emploi et un salaire décents, parce que celle-ci souffre déjà d’un sureffectif qui la paralyse et qu’elle serait sans doute mieux inspirée de réduire ses effectifs ou de les redéployer pour mieux employer ses bras cassés qui bénéficient de salaires fictifs, c’est-à-dire non justifiés par un travail réellement effectué?
Ne se trouverait-il pas un jour un homme politique tunisien honnête, sincère et responsable pour dire à ces oubliés de la république, dont beaucoup disposent de diplômes sans réelle valeur sur le marché de l’emploi, qu’ils devraient mieux compter sur eux-mêmes, poursuivre des formations qualifiantes ou des stages en entreprises pour mieux s’armer professionnellement et se donner davantage de chance pour trouver un véritable emploi dans le secteur privé, lequel a mal parfois à trouver des candidats à l’embauche disposant des qualifications dont il a besoin?
Qu’on nous permette de ne pas totalement désespérer de nos dirigeants politiques qui, malgré les camouflets que ne cessent de leur infliger les Tunisiens, continuent de prendre ces derniers pour des idiots, en poursuivant avec une détermination suicidaire le processus de destruction de l’Etat, qu’ils rêvent tous de gouverner un jour, un Etat qu’ils auraient eux-mêmes réduit entre-temps au chaos !
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