Selon une étude réalisée par Marsad Raqaba dont les premières conclusions ont été publiées hier, lundi 22 novembre 2021, la masse salariale en Tunisie a connu une évolution astronomique entre 2011 et 2021, qui n’a pas été suivie par une évolution similaire au niveau de la productivité du travail. Cette évolution explique le renchérissement de la dette extérieure, passée de 35% du PIB en 2010 à 100% en 2021, ainsi que la montée de l’inflation et la baisse concomitante du pouvoir d’achat des salariés. Difficile de trouver un exemple plus parlant de la mauvaise gouvernance ayant caractérisé tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la chute de l’ancien régime. (Vidéo)
Par Imed Bahri
Sur la base des données officielles disponibles dans divers budgets et statistiques officielles, Marsad Raqaba a estimé que le salaire moyen brut des agents publics est passé 1 298 dinars tunisiens (DT) en 2010 à 2 608 DT en 2021. C’est l’une des hausses les plus élevées au monde au cours de la même période et qui n’a pas manqué de provoquer l’effondrement de notre économie observée depuis plusieurs années, avec une explosion de la dette extérieure et un pouvoir d’achat en berne en raison de la forte inflation induite.
Doublement du nombre d’employés publics
Autres données inquiétantes : la masse salariale dans la fonction publique est passée de 6 785 millions de dinars tunisiens (MDT) en 2010 à 20 118 MDT en 2021. Par conséquent, la part des salaires dans les ressources propres de l’État est passée de 46% en 2010 à 60,9 % en 2021. Et la part des salaires publics dans le PIB à prix courants est passée, au cours de la même période, de 10,8% à 18,1%, un taux parmi les plus élevés au monde, comme on ne cesse de le répéter en vain, puisque les revendications des hausses salariales se poursuivent dans tous les secteurs à un rythme quasi-annuel.
Cette évolution de la masse salariale comporte deux composantes principales : la première est une augmentation du nombre d’employés publics de près de 47% en dix ans, et la seconde est une augmentation du salaire moyen dans la fonction publique de plus de 100%.
Par ailleurs, l’augmentation du salaire moyen dans la fonction publique est beaucoup plus importante que celle du coût de la vie au cours des dix dernières années. Et comme le taux global d’inflation au cours de cette période a atteint 75%, cela signifie que l’augmentation forte et rapide des salaires a provoqué un renchérissement de l’inflation, les augmentations successives des salaires s’étant immédiatement transmises au secteur privé, mettant l’économie dans un véritable cercle vicieux. Car l’augmentation rapide des salaires, en l’absence d’une augmentation similaire de la productivité, a contribué au renchérissement du coût de la vie pour l’ensemble de la population et à la poursuite de la détérioration du pouvoir d’achat.
Hausse du salaire moyen brut 2010-2021.
Egoïsme, irresponsabilité et incompétence
Sur un autre plan, les salaires dans le secteur public ont doublé en dix ans, sans s’accompagner d’une amélioration de la qualité et du niveau des services publics (éducation, santé, transport, etc.), qui se sont plutôt détériorés en raison de la baisse consécutive de l’investissement public, le budget de l’Etat étant bouffé par les salaires.
Cela contraste avec ce qui s’est passé dans les pays développés et dans de nombreux pays en développement qui ont vu la modernisation et le développement de la fonction publique en contrepartie de la stabilité ou de la baisse de l’emploi public, conséquence de la modernisation, de la mécanisation et de la digitalisation.
Selon une simulation réalisée par Marsad Raqaba, la stabilisation du nombre d’employés publics entre 2011 et 2021 et l’augmentation des salaires en fonction des taux d’inflation enregistrés au cours de cette période auraient permis à la communauté nationale de faire l’économie d’au moins 44 milliards de dinars. Ce montant représente une part importante de la dette publique, qui doit être rachetée soit en augmentant les impôts (qui sont toujours payés par un faible pourcentage de la population) soit en la transférant aux générations futures. Et nous aurions ainsi hypothéqué l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants.
Cela traduit, si besoin est, l’égoïsme, l’irresponsabilité et l’incompétence crasse de notre génération qui, au nom d’une improbable construction démocratique, fondée sur le clientélisme et la corruption, ont détruit l’économie d’un pays qui, il y a seulement dix ans et sous la dictature, était relativement beaucoup mieux tenu, au point qu’il était classé parmi les pays pré-émergents.
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