Poète et écrivain tunisien bilingue, Salah Garmadi installe sa création dans la langue populaire tunisienne et se délecte malicieusement de ses images et de ses figures, s’appropriant sa liberté de ton et son anti-conformisme. En bon linguiste, il ouvre et entremêle le champ lexical, créant dans la langue des effets de dérision, parfois même des situations surréalistes. Sa critique sociale reste pourtant primordiale, celle de l’intellectuel progressiste, engagé, rejetant les travers de la société.
Né en 1933 à Tunis, dans le quartier populaire de Halfaouine, il fut professeur de littérature arabe, chercheur en linguistique et traducteur, entre autres, des œuvres de Ferdinand de Saussure, André Martinet, Malek Haddad, Tahar Ben Jelloun, Rachid Boudjedra… Polyglotte, il a aussi traduit de l’allemand, de l’anglais, du grec et du russe.
Membre du Parti communiste tunisien, Salah Garmadi prit part à de nombreux événements culturels et littéraires. Il décède en 1982, dans des circonstances accidentelles qui avaient beaucoup ému l’opinion. L’écrivain espagnol, Ferran Cremades, lui consacre en 1991, un roman en catalan, Linia trencada (éd. 62, Barcelone)
Parmi ses œuvres (en français) : Nos ancêtres les Bédouins, P.J. Oswald, 1975; Avec ou sans, Cérès, 1982 (auquel s’est ajouté le recueil en arabe, Allahma al-hayya (Chair vive) 1970); Le Frigidaire, nouvelles, Alif, 1986 (ouvrage posthume) ; Ecrivains de Tunisie, Sindbad, 1981 (en collaboration avec Taoufik Baccar).
Tahar Bekri
on vit on pleure et parfois on sourit
avec ou sans amitié on vit
avec ou sans pain béni
avec ou sans liberté aussi
et l’on mange des glaces dans les villes nazies
avec ou sans enfants on vit
avec ou sans raison on vit
avec ou sans guerre aussi
et l’on triture le fil des jours ternis
et parfois même aux cloportes on dit amis
et parfois même sur les mille-pattes on fait pipi
et parfois même aux bourreaux on dit bonjour
et parfois avec des fantômes on fait l’amour
avec ou sans espoir de vaincre on vit
avec ou sans avoir de chancre on vit
avec ou sans barbouiller d’encre aussi
et souvent le certificat d’études primaires
rapporte à ses heureux titulaires
mille fois plus que le nobel littéraire
avec ou sans remords on vit
avec ou sans avoir tort on vit
avec ou sans passe-port aussi
et l’on respire la bonne odeur de bambaloni
en rentrant de l’enterrement de ses amis
avec ou sans diplômes on vit
avec ou sans anémones on vit
avec ou sans recevoir d’aumônes aussi
et l’on rentre chez soi plein d’envie
de ne plus jamais avoir d’avis
avec ou sans amour on vit
avec ou sans beaux atours on vit
avec ou sans espoir de retour aussi
et l’on regarde les cheveux affadis
en espérant la mort des bigoudis
on vit on pleure et parfois on sourit
avec ou sans bride on vit
avec ou sans rides on vit
avec ou sans avoir de guide aussi
«Avec ou sans», éd. Cérès, Tunis 1982.
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