La Tunisie, guettée par le double risque d’une improbable autocratie et d’une faillite financière annoncée, plonge dans l’inconnu. Pour ne rien arranger, elle est dirigée par un président de la république bien énigmatique, Kaïs Saïed, qui vient de bouleverser l’équilibre constitutionnel en concentrant entre ses mains l’essentiel des pouvoirs. Sans donner l’impression de bien contrôler la situation intenable qu’il avait lui-même provoquée.
Par Moncef Kamoun *
Lors des élections présidentielles de 2019, Kais Saied a présenté, plutôt qu’un programme digne de ce nom, une réputation d’intégrité et un style en rupture avec celui de l’establishment politique local et depuis le «coup de force» des «mesures exceptionnelles» annoncées le 25 juillet dernier, il n’a pas seulement cassé les codes de l’action politique mais il s’est arrogé les pleins pouvoirs pour, a-t-il affirmé, sauver la nation d’un «péril imminent», incarné à ses yeux par un système gangrené par la corruption et un parlement au service des groupes d’intérêt. Une approche qui semble partagée par une majorité de ses concitoyens qui continuent de le plébisciter.
Le président est-il conscient de l’ampleur des tâches qui l’attendent ?
Kais Saied est un homme assez original, atypique dirait certains, énigmatique diraient d’autres. Il parle peu, discute rarement et préfère les monologues où son débit monotone, porté par une langue arabe classique et truffé de citations classiques, parfois coraniques, semble plaire à beaucoup de ses concitoyens. Le problème, car problème il y a, c’est qu’il ne donne pas vraiment l’impression de saisir la gravité du moment et l’ampleur des tâches qui l’attendent dans un pays au bord de la faillite financière. Aussi l’enjeu est-il aujourd’hui, bien plus que l’avenir de la transition démocratique entamée en 2011, c’est l’avenir même du pays qui est en jeu!
Les opposants, islamistes et libéraux, ne cessent d’exprimer leur inquiétude face à ce qu’ils considèrent comme la dérive autocratique au nom du peuple de la part d’un président dont le slogan de campagne, souvenons-nous, «Echaab yourid» (le peuple veut), est on ne peut plus populiste.
Le président qui n’entend que l’écho de sa propre voix
Parmi les défauts du président Saïed, c’est sa narcissique solitude : il n’entend que l’écho de sa propre voix chez tous ceux qui l’entourent, à commencer par la cheffe de gouvernement Najla Bouden, dont la voix est complètement inaudible et dont les Tunisiens attendent d’en savoir davantage sur le programme de son gouvernement de fantômes.
Le président, qui continue de s’enferrer dans ses certitudes, sait-il que le pays dont il a charge est plombé par les dettes et traverse une grave crise financière, économique et sociale, avec une croissance atone, un chômage dépassant 18% et une flambée des prix, et qu’il est tenu d’agir vite pour dissiper les nuages qui s’amoncellent dans le ciel et obscurcissent l’horizon. S’il le sait vraiment, et on a de bonnes raisons d’en douter, il tarde à prendre les décisions concrètes susceptibles de changer cette situation. Et il n’est pas dit que la majorité de ceux qui continuent de le soutenir contre vents et marées, ne vont pas perdre eux aussi patience et rejoindre bientôt les rangs de ses opposants.
* MK Architecte.
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