Les Tunisiens ne doivent pas s’étonner qu’avec Kaïs Saïed, un président casanier, pantouflard, qui a horreur des avions, des voyages et encore plus des contacts avec ses homologues et surtout avec ceux qui ne lui ressemblent pas (autant dire la majorité d’entre eux), la Tunisie soit aujourd’hui presque oubliée et abandonnée de tous ses partenaires d’antan ?
Par Ridha Kéfi
Les chefs d’Etats voyagent sans cesse, entre visites officielles dans un cadre bilatéral, des tournées régionales ou des participations à des conférences internationales. Ils le font pour être visibles et faire parler d’eux, pour présenter à leurs interlocuteurs les avantages comparatifs et les opportunités offerts dans tous les domaines par leur pays, pour nouer des contacts précieux et utiles en perspective de l’avenir et pour faire des relations internationales un important vecteur de croissance économique.
Faut-il s’étonner, dès lors, qu’avec Kaïs Saïed, un président casanier, pantouflard, qui a horreur des avions, des voyages et encore plus des contacts avec ses homologues et surtout avec ceux qui ne lui ressemblent pas (tant pis pour lui !), la Tunisie soit aujourd’hui oubliée et abandonnée de tous ses partenaires d’antan?
Et d’ailleurs, peut-on sérieusement reprocher à ces derniers de nous tourner le dos si nos plus hautes autorités leur tournent le dos elles aussi, alors qu’elles sont dans le pétrin et ont fortement besoin de l’aide internationale pour trouver les fonds nécessaires au rééquilibrage de nos finances publiques en charpie et comptant plus de trous qu’un morceau de fromage gruyère ?
On perd les vieux amis sans en gagner de nouveaux
Quand au lieu de tisser des relations économiques avec le plus grand nombre de pays, on poursuit une politique visant à diviser notre propre pays entre «purs révolutionnaires» et «vilains corrompus», comme le fait actuellement le président Saïed avec un zèle renouvelé, sans se rendre compte qu’il mène ainsi son pays vers le néant… Quand au lieu d’additionner et de multiplier, on préfère diviser, soustraire et exclure, et au lieu de tendre la main aux autres, on s’emploie à diaboliser tout le monde, comment espérer obtenir chez les autres l’aide dont on a si vivement besoin?
Au moment où des voix s’élèvent pour demander au président de la république et au chef du gouvernement d’oeuvrer pour la diversification des partenariats étrangers en vue de réduire la dépendance criarde de l’économie tunisienne de deux ou trois partenaires importants, notamment l’Union européenne et les Etats-Unis, ce qui la fragilise beaucoup, les locataires des palais de Carthage et de la Kasbah préfèrent rester à la maison où ils s’empêtrent dans les méandres des problèmes domestiques, au point d’en oublier de garder le contact avec les partenaires historiques de notre pays, perdant ainsi sur les deux tableaux : on perd les vieux amis sans en gagner de nouveaux.
Quant au ministre des Affaires étrangères, Othman Jerandi, on ne peut pas dire qu’il fait de gros efforts pour aider à développer les relations économiques de la Tunisie avec le reste du monde. Partisan du moindre effort, c’est à peine s’il se contente d’une gestion quotidienne morne et sans panache, régnant sur une diplomatie qui n’a jamais été aussi paresseuse et inefficace, car même du temps de Ben Ali, qui n’avait pas une bonne presse à l’étranger, nos diplomates parvenaient toujours à faire parler de la Tunisie, à pousser son avantage lors des conclaves internationaux et même à attirer vers notre pays les regards des responsables politiques, des journalistes, des investisseurs, etc.
Transition générationnelle et nivellement par le bas
Que s’est-il passé entre-temps ? Qu’est-ce qui s’est cassé depuis 2011 ? Pourquoi la Tunisie a-t-elle été plus performante sous la dictature (ou malgré la dictature) qu’elle ne l’a jamais été sous une démocratie de façade en passe d’être vomie par les Tunisiens ? Assiste-t-on à une transition générationnelle marquée par un appauvrissement des ressources humaines et un nivellement par le bas en termes de compétences ?
Les plus de soixante ans, comme l’auteur de ces lignes, qui ont vécu tous les changements survenus dans le pays au cours des quarante dernières années et qui ont côtoyé de près plusieurs générations d’acteurs publics, sont tentés de répondre par l’affirmative: la Tunisie est non seulement très mal gouvernée depuis l’an 2000, pour ne pas fixer la début de sa décadence structurelle à la soi-disant «révolution» de 2011, mais pis encore : elle ne semble pas disposer aujourd’hui des hommes et des femmes capables de l’aider à se relever. Et c’est là où le bât blesse le plus, car même si l’espoir n’est plus vraiment permis, comment pourrait-on encore mobiliser les Tunisiens autour d’un nouveau roman national, celui d’un hypothétique redressement après la descente en enfer des vingt dernières années?
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