Le président Kaïs Saïed ne cesse d’évoquer dans des interventions officielles des tentatives d’assassinat dont il ferait l’objet, sans livrer les données qu’il affirme être en sa possession à la justice pour enquête, créant ainsi un climat de terreur diffuse qui entretient sans doute son insolente popularité reflétée par les sondages, mais alimente en même temps le climat général de morosité régnant en Tunisie et dissuade ainsi les hypothétiques investisseurs de s’aventurer dans notre pays. Cherchez l’erreur…
Par Imed Bahri
Le ministère public près le Pôle judiciaire de lutte antiterroriste a décidé, hier, vendredi 24 décembre 2021, d’ouvrir une enquête à la suite des déclarations faites la veille par le président de la république Kaïs Saïed et dans lesquelles il avait indiqué qu’un appel téléphonique intercepté par les autorités sécuritaires évoquait des projets d’assassinats de personnalités politiques et les dates des assassinats.
L’affaire a été confiée au juge d’instruction du pôle judiciaire antiterroriste et l’investigation est en cours, indique un communiqué du bureau d’information et de communication du Tribunal de première instance de Tunis.
Ces «traîtres, qui ont vendu leur conscience à l’étranger»
Le président de la république avait révélé, lors du conseil des ministres qui s’était tenu jeudi 23 décembre au palais de Carthage, que «les complots qui se trament en Tunisie sont arrivés au point de suggérer des assassinats politiques», ajoutant, en prenant à témoin le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, présent au conseil des ministres, qu’un «appel interne intercepté évoque même le jour de l’assassinat».
Le président Saïed s’est également adressé aux Tunisiens, les avertissant que «des traîtres, qui ont vendu leur conscience aux services de renseignement (étrangers, Ndlr), projettent d’assassiner des responsables», et ce dans une vidéo diffusée par la présidence de la république sur sa page officielle, l’unique moyen de communication désormais utilisé par la plus haute autorité de l’Etat, qui continue de snober les médias nationaux, y compris les médias publics.
Ce n’est pas la première fois que le président de la république parle de tentatives d’assassinat dont il ferait personnellement l’objet. On avait parlé il y a quelques mois d’une lettre piégée reçue par les services de la présidence de la république, mais l’affaire, confiée au tribunal militaire de Tunis, a fait pschitt, et la directrice du cabinet présidentiel, Nadia Akacha, qui, avait-on dit, eut un malaise et perdit conscience en ouvrant ladite lettre piégée, n’avait pas été priée de fournir des précisions à la justice sur cette affaire pour le moins bizarre et dont l’authenticité est mise en doute par beaucoup de Tunisiens. Et à juste titre…
Une impression de menace permanente et d’instabilité
Le problème, car problème il y a, c’est que ce genre de «révélations» lancées en pâture au peuple par la plus haute autorité de l’Etat, censée être informée par les services spéciaux sur tout ce qui se trame dans le pays, sont rarement suivies d’enquêtes sérieuses et si des enquêtes sont ouvertes, elles aboutissent tout aussi rarement, si elle ne se perdent pas en chemin ou ne finissent pas en queue de poisson. Ce qui, on l’imagine jette le discrédit sur la parole présidentielle elle-même et pousse désormais les citoyens à considérer celle-ci comme une sorte d’inévitable bruit de fond, dont on s’accommode et auquel on s’habitue, tout en déplorant que la poursuite de ces «vraies fausses révélations» contribuent à noircir encore le tableau et à faire régner dans le pays une détestable impression de menace permanente et d’instabilité, peu propice à le relance d’une économie aujourd’hui en panne, car il n’y a pas au monde un investisseur assez fou ou véritable casse-cou pour accepter de s’aventurer dans un pays où la plus haute autorité de l’Etat ne se sent pas elle-même en sécurité et ne cesse d’affirmer qu’elle est la cible de tentatives d’assassinat.
Il y a une erreur quelque part, et si le principal problème de la Tunisie était désormais le président de la république qui, en criant continuellement au loup, alimentait un détestable climat d’insécurité et d’instabilité et empêchait réellement le pays de retrouver ses marques et de reprendre le chemin de la relance comme le reste des pays monde ? Quelqu’un parmi les ronds de cuir qui l’entourent peut-il lui expliquer que la parole présidentielle doit être plus rare, plus responsable et plus mesurée, et, surtout, éviter d’ajouter de l’huile sur le feu, de monter les citoyens les uns contre les autres et d’aggraver ce sentiment diffus d’insécurité et instabilité qui règne dans le pays depuis 2011 ?
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