Malgré son implication avérée dans divers délits électoraux, Donald Trump a été innocenté par la justice. Ce qui démontre qu’un président en exercice, malgré des preuves tangibles d’agissements criminels, peut être disculpé, démontrant ainsi que, même aux Etats-Unis, dans le pays phare de la démocratie, l’indépendance de la justice demeure un leurre, ou du moins un idéal qui est souvent transgressé à la lumières des réalités politiques et des rapports de force conjoncturels entre les partis politiques, ou entre la présidence et le Capitole.
Par Dr Mounir Hanablia *
Donald Trump est le seul président de l’histoire des Etats-Unis à avoir non seulement subi deux procédures d’impeachment, mais à en être sorti vainqueur, si on peut qualifier les choses ainsi.
Il y a à peine un an, après avoir prétendu avoir été victime d’une fraude lors des élections présidentielles, il lançait ses sections d’assaut composées de motards, et de nostalgiques de la Confédération et de Buffalo Bill à l’assaut du Capitole, avec les résultats que l’on sait.
Jamais un président américain n’avait autant défrayé la chronique tout au long de son mandat. Il a fait face à une enquête entamée par le Congrès pour abus de pouvoir, après avoir subordonné la reprise de l’aide militaire et financière à l’Ukraine à la simple annonce par ce pays de l’ouverture d’une enquête contre le fils de Joe Biden, pour corruption (ce qu’on a nommé le quid pro quo). Il a refusé de collaborer sur cette enquête avec le Congrès, ce qui constitue un autre motif de destitution.
Sauvé par… l’obstruction à la justice
Quant à l’enquête judiciaire sur sa collusion avec la Russie menée par l’équipe de Robert Mueller, elle a bien établi que des sites internet russes d’agences et de services de sécurité avaient apporté leur appui «à un candidat», et dévalisé des milliers de courriels du serveur du Parti Démocrate, puis les avait transmis à Wikileaks pour les faire fuiter. Roger Stone et Georges Papadopoulos, des membres secondaires de la campagne électorale de Donald Trump, ont fait l’objet de condamnations pour cela.
Plus grave, Michael Flynt, un membre du Conseil national de sécurité, a lui-même été condamné pour avoir menti sur ses contacts avec l’ambassadeur russe… pour finir, fait sans précédent, par bénéficier d’un pardon présidentiel, alors qu’il avait reconnu la réalité des charges retenues contre lui.
Malgré l’intervention russe en sa faveur, et malgré l’existence du dossier Steel, Donald Trump n’a donc pas été jugé complice des Russes… faute de preuves. Il y avait pourtant déjà suffisamment de faits troublants justifiant un procès. Mais le procureur Robert Mueller avait aussi apporté la preuve cette fois formelle de l’obstruction à la justice, un crime fédéral, lors de l’enquête sur la Russie, avec le renvoi par le président du directeur du FBI James Comey, et les pressions exercées sur Rosenstein, l’adjoint de l’Attorney Général, pour obtenir le renvoi du procureur et l’arrêt de l’enquête. Malgré cela, le procureur Muller, contrairement à ses célèbres prédécesseurs Léon Jaworski et Kenneth Starr, n’a pas eu le courage de demander l’inculpation de Donald Trump, ou à tout le moins, son audition, éventualité catastrophique autour de laquelle toute la stratégie des avocats du président s’était articulée pour la repousser. La conclusion de son rapport «ni coupable, ni innocent», a laissé toute latitude à Bill Barr, l’Attorney Général, pour l’interpréter de la manière la plus favorable au président.
La justice est un leurre
Après être sorti ainsi indemne des mailles de la justice, le président Trump, jouissant du soutien du Parti Républicain majoritaire au Sénat, n’a plus eu aucune crainte pour mépriser et affronter le Congrès, en essayant de salir avant les élections présidentielles ultérieures, le candidat potentiellement le plus dangereux du Parti Démocrate, grâce à un chantage exercé sur le président ukrainien. La suite, la contestation du résultat de ces mêmes élections et ses conséquences, tout le monde la connaît.
Entretemps, près de 300.000 citoyens américains étaient morts du Covid. Tout compte fait, cette l’attitude du procureur, celle de s’abstenir parfois d’inculper un président en exercice malgré des preuves tangibles d’agissements criminels, et celle de l’Attorney Général, trompant sciemment l’opinion publique pour le disculper, démontre que, même dans le pays phare de la démocratie, l’indépendance de la justice demeure un leurre, ou du moins un idéal qui est souvent transgressé à la lumières des réalités politiques et des rapports de force conjoncturels entre les partis politiques, ou entre la présidence et le Capitole.
* Médecin de pratique libre.
- « True Crimes and Misdemeanors: The Investigation of Donald Trump », Random House Large Print, 2020.
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