Dans un récent communiqué, Rached Ghannouchi, chef de file du mouvement islamiste, a eu l’audace d’accuser le président Kaïs Saïed d’être depuis le 25 juillet le seul responsable de la détérioration des conditions économiques de la Tunisie. De bourreau de nos acquis sociaux le président du parti Ennahdha s’est transformé en donneur de leçons. Une pareille déclaration en dit long sur l’état d’anarchie qui a régné jusqu’à récemment en Tunisie et sur le ridicule immanent au raisonnement de notre classe politique complétement en déroute.
Par Adel Zouaoui *
Dans un de ses discours, le premier président de la république Habib Bourguiba avait expliqué qu’une dictature serait de loin préférable à une anarchie sous de fausses apparences démocratiques. Cette dernière saperait les fondements de la nation.
Cette réflexion de l’un des pères fondateurs de la Tunisie moderne prend tout son sens au vu du cafouillage dont était victime la Tunisie ces dix dernières années. Et pour cause, depuis ce qu’on a qualifié à tort ou à raison de Révolution, les affaires du pays ont été mal gérées, les caisses de l’Etat ont été progressivement saccagées et la corruption, comme des herbes folles, s’était inexorablement répandue.
Dix ans durant, la Tunisie a été en proie aux pires exactions jamais connues depuis son indépendance. Conséquence, le pays se trouve aujourd’hui au fond du gouffre. Les Tunisiens et Tunisiennes ne se reconnaissent plus dans leur propre patrie. Les acquis pour lesquels ils se sont battus ont, en un laps de temps très court, volé en éclat.
Certes, la Tunisie, avant le 14 janvier 2011, n’était pas dans sa meilleure forme. Loin de là. La population avait ras-le-bol de la corruption carrément institutionnalisée par l’ancien régime. Elle croyait candidement qu’après la chute de Ben Ali, elle allait s’approprier le pays après qu’il lui a été confisqué. Hélas, c’était sans compter avec la cupidité sans borne d’une nouvelle classe politique, composée essentiellement d’opposants droit-de-l’hommistes à l’ancien régime et d’intégristes de la pire espèce. Le rêve s’est très vite évaporé. La Tunisie est passée de Charybde à scylla. Les maux auxquels ont été confrontés se sont dramatiquement aggravés. Et pour cause, on s’est mélangé les pinceaux. Au lieu de s’attaquer au régime on s’était pris à l’Etat et à ses institutions.
Une dictature si justifiée
Si aujourd’hui, les droithommistes de la 25e heure crient au scandale de ce qu’ils qualifient de coup d’Etat constitutionnel, qu’ils sachent d’abord que ce sont eux les véritables fossoyeurs du projet démocratique. Qu’est-ce qu’ils ont apporté, quand ils étaient au pouvoir, à ce bourgeon de démocratie pour qu’il puisse éclore, se développer et s’enraciner une fois pour toute. Absolument rien. Car la démocratie, telle qu’ils la concevaient, ressemble plutôt à un tour de passe-passe, lequel leur permettaient de bénéficier de plus de passe-droits possible. Ce qu’ils se complaisaient à qualifier de «tawafek» (consensus) n’était autre qu’une série de filouteries, d’entourloupes, de grenouillage et de marchandage.
Par conséquent, la Tunisie s’est muée d’une dictature oppressive à une république des partis, pire encore à une anarchie. Au lieu de pallier les sempiternels dysfonctionnements dont souffre l’Etat tunisien depuis quelques décennies déjà, la classe dirigeante, bien au contraire, y a greffé ses tares et ses travers. Résultat, c’est le pandémonium qui s’est substituée à la dictature d’avant le 14-Janvier. Lequel pandémonium a détruit le tissu social, économique et industriel et par conséquent a enfoncé le pays dans un marasme sans précédent.
La nature n’aime pas le vide. Il fallait s’y attendre. La démocratie vacillante, illusoire et fausse dont ils n’ont eu de cesse paradoxalement de vanter les mérites s’est vite effondrée pour laisser place à une dictature molle. Puisqu’un homme, en l’occurrence Kaïs Saïed, s’est accaparé les pleins pouvoirs sans pour autant réprimer et bâillonner ceux qui s’opposent à lui.
Pourquoi est-on arrivé à cette situation? En fait, les Rached Ghannouchi, Hamma Hammami, Moncef Marzouki, Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaâfar et j’en passe, ont-ils vite oublié que la mise en place de l’édifice démocratique et sa fortification est une véritable course contre la montre, surtout dans notre monde arabe où le tropisme de l’omnipotence est presque une seconde nature. S’y attarder, c’est prendre le risque de s’exposer aux vents contraires qui ramèneraient tout le monde à la case départ. Et c’est ce qui s’était passé malheureusement.
Kaïes Saïed, la seule issue malgré tout
Certes, Kaïes Saïed n’est pas l’homme idéal. Ce dernier, n’arrivant pas à ravaler un peu de son hubris, continue à percevoir le monde à travers un prisme manichéen. Loin d’être rassembleur, il continue de par sa rhétorique à cliver la société tunisienne et même à l’infantiliser.
Selon le président de la république, la Tunisie est scindée en deux. Il y a d’un côté les bons et honnêtes citoyens, et d’un autre côté un magma de politiques et d’hommes d’affaires corrompus et véreux. Mais qu’à cela ne tienne. Malgré ses marottes, Il demeure, face à cet imbroglio et ce chaos insondables dans lesquels se trouve la Tunisie aujourd’hui, la seule issue possible pour redonner à l’Etat tunisien son aura et son prestige perdus.
Kais Saied a eu le mérite de siffler la fin de la récréation. Il est aujourd’hui le porte-parole et le porte espoir d’une large frange de la population tunisienne qui a été, tout au long de ces dix dernières années, foncièrement déçue et surtout injustement mise sur le banc de touche.
Des has been que personne n’écoute
Quant à ces vieux avatars d’une démocratie illusoire, ils essayent vainement, comme des chanteurs has been des années quatre-vingt, de remonter sur scène. Leur rassemblement autour d’un mouvement qu’ils ont baptisé «initiative contre le coup d’Etat» pour revendiquer le retour à une démocratie qui n’a jamais existé dans notre pays et de laquelle ils n’en ont cure est un coup d’épée dans l’eau. On les a vu gigoter dans tous les sens. Qui sont-t-ils ? Sont-ils amis ou ennemis? Comme dans les pièces d’Ionesco où l’absurde tutoie le ridicule et le grotesque, on a vu Nejib Chebbi le prétendu progressiste défendre Noureddine Bhiri le réactionnaire et Ezzeddine Hazgui le droit-de-l’hommiste s’adresser avec déférence à Rached Ghannouchi, le « frériste » aigri. On a entendu Hamma Hammami et Moncef Marzouki s’apitoyer sur une démocratie dont eux-mêmes ont trahi les premières règles. Pour le premier ça fait plus de trente années qu’il est à la tête de sa formation politique. Pour le second, il a livré un réfugié politique à ses bourreaux, en l’occurrence Baghdadi Mahmoudi. Ces prétendus cerbères de la défense des libertés et des droits de l’homme qui ont paradoxalement privé toute une nation de leurs droits le plus basiques, ceux de se nourrir, de s’éduquer, de travailler refusent de dessiller les yeux sur les torts qu’ils ont affligés à leur pays.
Indignez-vous !
Avec ou sans Kaïs Saïed, avec ou sans son projet de pyramide de pouvoir inversée, la Tunisie mérite mieux. Elle a le droit de rebondir après la série d’échecs qu’on lui a fait subir. Elle n’a nullement le droit de baisser les bras. L’espoir existe bel et bien. Il est porté par sa jeunesse. Une jeunesse bouillonnante d’énergie et d’imagination. L’impossible n’est pas Tunisien si on croit vraiment en notre destinée. Rien n’est perdu. Plusieurs pays de par le monde ont rebondi après avoir été anéantis qui par une guerre fratricide, qui par une crise économique ou une catastrophe naturelle. Les exemples sont légion. Un sursaut est tout à fait possible pour peu qu’on daigne regarder notre situation sans démagogie et sans œillères idéologiques.
Quant à la politique, ce sont les cartes du jeu démocratique qui doivent être rebattues. Basta à la singerie démocratique qui n’était au fait qu’un écran de fumée derrière lequel s’est dissimulé tant d’escroquerie, de malversation et de prévarication. Quant aux fossoyeurs de nos espoirs, de nos rêves, il faut tout simplement leur dire, en paraphrasant l’intitulé du célèbre opuscule de Stéphane Hessel, «Indignez-vous !».
Articles du même auteur dans Kapitalis:
Kaies Saied, le peuple qui veut et le casse-tête socio-économique
À propos de la nomination de Najla Bouden : Tunisiennes, je vous aime !
De quoi notre télévision tunisienne est-elle le nom ?
Donnez votre avis