Visiblement agacé par la réaction de certaines parties étrangères à sa décision de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Kaïs Saïed a répondu par un rejet expéditif : «La Tunisie n’est ni une plantation, ni un jardin /…/ Notre pays est un Etat indépendant et souverain», qui n’a de leçons à recevoir de personne… Cette position peut flatter un certain nationalisme conspirationniste du «peuple [qui] veut», mais elle ne résout en rien les mésententes et incompréhensions dont souffrent, depuis quelque temps, nos relations avec nos partenaires.
Par Moncef Dhambri *
Recevant hier, mercredi 9 février 2022, le ministre des Affaires étrangères Othman Jerandi, le président de la république ne s’est pas contenté de présenter la justification plausible que la dissolution du CSM était devenue une urgence absolue qui ne pouvait plus attendre, qu’il a, à maintes reprises, appelé les magistrats à mettre eux-mêmes de l’ordre dans leur maison et que, une fois cet assainissement nécessaire accompli, les choses reprendront leur cours normal et la justice retrouvera son indépendance. M. Saïed aurait pu, également, se suffire de l’argument irréfutable qu’il ne peut y avoir de démocratie si la justice est corrompue ou partisane, lorsque cette dernière omet ou ignore que la loi est faite pour tous et qu’elle doit s’appliquer à tous –sans discriminations ni passe-droits.
Colère et volée de bois vert
Pareil message calme et limpide du chef de l’Etat serait passé et les destinataires, en Tunisie et à l’étranger, auraient compris les bonnes intentions du locataire du Palais de Carthage.
Au contraire, le chef de l’Etat a préféré renvoyer dans les cordes tous ces partenaires «effarouchés» de la Tunisie –à savoir le G7, l’Union européenne (UE) et l’Onu– en leur lançant : «Nous ne sommes pas un peuple sauvage. Nous savons ce que nous voulons pour nous /…/ Il est vrai que nous ne possédons pas de missiles balistiques intercontinentaux, mais nous avons des idées capables d’atteindre tous les continents, capables de traverser le temps et l’Histoire/…/ Nous ne sommes pas leurs élèves et ils ne sont pas nos maîtres…»
Voilà, tout est dit dans cette volée de bois vert –quoi qu’il en coûte pour notre pays, pour notre peuple, pour notre diplomatie et pour notre économie.
Saïed n’avait pas besoin de monter le son
Alors que la Tunisie a besoin d’être aidée, alors qu’elle est obligée de trouver les ressources qui lui seront nécessaires pour boucler son budget de 2022 et alors qu’elle aura, le mois prochain, à présenter un dossier solide et convaincant auprès du Fonds monétaire international (FMI), notre président a donc décidé, sur un accès de colère, d’envoyer balader tout le monde…
Kaïs Saïed n’avait pas besoin de monter le son car, lorsqu’il crie, cela fait de lui un homme hystérique, un homme violent dans son expression et un homme qui ne sait pas ou ne peut pas convaincre, c’est-à-dire un homme qui est tout le contraire de la sérénité et de l’assurance qu’il doit inspirer.
Ça n’est pas faire offense à notre président de la république et à son indéniable cote de popularité dans les sondages (!?) que de lui dire que sur le terrain diplomatique, également, il a beaucoup à apprendre. Et M. Jerandi n’est pas le meilleur instructeur. Et l’enthousiasme de son «peuple [qui] veut» n’est certainement pas de bon conseil.
* Universitaire à la retraite et journaliste.
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