L’actualité du Maroc est marquée, sur le plan des relations internationales, par la normalisation de ses relations diplomatiques avec Israël. Cependant, on ferait un jugement hâtif si on ne prêtait attention qu’à cet aspect, assez polémique, surtout vu d’Afrique du Nord ou même depuis l’Europe. Focus sur un pays aux mille contraste et qui avance à pas fermes en poussant son avantage sur les plans économique et culturel.
Par Jean-Guillaume Lozato *
Le Royaume du Maroc. La pointe ouest du Grand Maghreb. L’Occident du Monde arabo-berbère. L’autre extrémité du Monde arabo-musulman. Les qualificatifs ne manquent pas pour définir ce pays. Particulièrement au travers des images colportées par le biais des différentes politiques visant à renforcer son attractivité touristique.
Cependant, le pays dirigé par la dynastie des Alaouites ne doit pas être réduit à une image éculée, celle des Mille et une nuits, avec princesses et sultans. A présent, en ce vingt-et-unième siècle bien amorcé, il s’agira plutôt de dégager une variation de cette image. Ceci afin de la soumettre à l’attention d’interlocuteurs plus sérieux que des vacanciers relâchés. Donc des profils de personnes décisionnaires. Mais de quelle manière et vers qui ces signaux devront-ils s’adresser?
Une puissance touristique régionale
Il est vrai qu’en tout premier lieu le statut de puissance touristique africaine et méditerranéenne sera le tremplin logique du Maroc vers la visibilité internationale. Ce socle international sera à prolonger ensuite vers le domaine diplomatique. Enfin il sera intéressant d’imaginer les conséquences économiques.
Pour les trois axes de réflexion cités ci-dessus, initier l’analyse se fait tout naturellement par l’intermédiaire du voyage et des voyagistes. Le pays est imprégné par le tourisme. Celui de masse, celui plus spécialisé de l’écotourisme, celui plus confidentiel du cadre familial lors du retour des Marocains résidants à l’étranger (MRE), principalement lors de la période estivale ou à l’occasion de la fête de l’Aid.
Les infrastructures hôtelières offrent un panorama varié et rénové au cours de cette dernière décennie, disponible pour toutes les bourses. Et même les hôtels un peu devenus désuets mais survivant sur leur réputation offrent un certain cachet suranné à l’image de l’hôtel Balima idéalement placé dans le centre-ville de Rabat.
Les instances affiliées au ministère du Tourisme ont su insuffler des initiatives alliant adaptation à la mise en conformité internationale et savoir-faire des décorateurs marocains. Sous la houlette d’une institution qui a su élaborer une stratégie idoine, à savoir bâtir un organe de pouvoir dénommé ministère du Tourisme, de l’Artisanat, du Transport aérien et de l’Economie sociale. Cette multipolarité se retrouve auprès des adeptes des déplacements en long courrier généralement satisfaits des prestations de la Royal Air Maroc. Elle se retrouve auprès des touristes désireux de découvrir l’essence des souks artisanaux, patrimoine culturel et humain vivant. Ou de ceux qui pratiquent par exemple le trekking dans l’attente de découvrir des parcours plus calmes que ceux proposés par Agadir, Casablanca ou Marrakech.
Pour compléter ce tableau humain et descriptif du touriste lambda, les Marocains de l’étranger et leurs descendants apportent leur poids en devises étrangères. Ils représentent une clientèle évoluant de plus en plus vers la grande consommation, les plus jeunes s’orientant davantage qu’avant vers le haut de gamme.
Ce qui retient l’attention au Maroc, c’est que l’activité touristique soit présente dans toutes les mentalités. L’accueil chaleureux, loin d’être une illusion, y compris au contact des plus humbles. Du berger berbère analphabète au cadre supérieur, du serveur dans un café populaire au directeur de palace. Le tout facilité par une gastronomie fantastique, servie le plus souvent avec le sourire. Ce sens du contact se retrouve en bien des circonstances.
Une monarchie qui séduit et fascine
Le Maroc et l’extérieur c’est une longue histoire. Une réciprocité s’est installée, antérieure à celle des autres pays arabes, et se présentant sous un aspect protéiforme.
Le tourisme peut se muer en tourisme d’affaires. A cet effet le positionnement du territoire est des plus avantageux sur le plan stratégique. Car à la croisée des chemins climatiques, géographiques, continentaux, maritimes, diplomatiques…
Le Printemps arabe, mais également le coronavirus, ont revisité les contours des alliances mondiales. En certaines occasions pour les redessiner. Le pouvoir du Makhzen a résisté aux secousses telluriques parties depuis la Tunisie il y a dix ans. Le mérite à une gouvernance stable, plus ouverte qu’il y a deux décennies. Basé sur une légitimité théocratique, le pouvoir royal a su s’assouplir, bien que toujours rompu à des codes cérémoniaux très stricts. Au point que Mohammed VI se trouve dans l’ensemble très apprécié par son peuple, en comparaison avec feu son père Hassan II contraint d’afficher un protocole plus sévère au lendemain de la décolonisation. Justement, dépendre d’une royauté fait toujours meilleure impression auprès des Ocidentaux par rapport aux autres pays musulmans estampillés «républiques». Un roi suggère une continuité contrastant avec l’instabilité du Moyen-Orient. Cette forme de pouvoir fait en général rêver une Europe dont l’assise territoriale se situe sur un continent se revendiquant de la plus haute démocratie mais qui au final contient des républiques encore fascinées par le monde de la royauté, y compris la France qui avait chassé violemment son ancien régime monarchiste dans le sans. Il suffit de constater avec quel enthousiasme quasi enfantin les célébrations royales et les mariages princiers sont retransmis sur les chaînes télévisées. Ou encore les obsèques du Prince Phillip en Angleterre. Un Royaume-Uni qui justement partage la vue sur l’océan Atlantique sans obstacle jusqu’au continent américain. Comme le Maroc. L’Atlantisme pourrait bien se poser en prochain tremplin pour l’Etat nordafricain: une monarchie bien ancrée, une nation qui a reconnu de très longue date l’indépendance des Etats-Unis.
Cette faculté à se tenir prêt à écouter, à dialoguer et à se montrer diplomate a les cartes en main pour créer des conséquences positives dépassant le simple relationnel, en poursuivant le collaboratif jusqu’au champ économique. Et là, le Maroc tire son épingle du jeu beaucoup mieux que ses voisins maghrébins et subsahariens.
Une économie portée par une stabilité rassurante
Le secteur économique ne fait pas intervenir que l’opportunisme ou la réactivité. Il nécessite à l’instar de la diplomatie le plus grand pragmatisme. Les contorsions sont multiples. Les contusions aussi.
Le Maroc détient des forces et présente des faiblesses. Pour commencer par le négatif, il ne sagit pas d’une patrie comptant parmi les pétromonarchies. Cependant, ce qui a longtemps représenté un handicap peut se métamorphoser en avantage face à l’image intimidante des monarchies pétrolières. L’image de ces dernières risque de passer de mode entre le cours et le moyen terme en tant que pays fournisseurs d’hydrocarbures.
Le Royaume Chérifien a une excellente carte à jouer pour remplir le rôle de relais régional. Puis pour éventuellement supplanter les pays du Golfe en tant que partenaire des grandes puissances occidentales. Cette stabilité rassurante est incitatrice pour tout investisseur étranger tenté de courtiser les autorités locales en vue d’accords commerciaux, ou d’implantation (le dernier modèle de la Peugeot 208 a été assemblé en terre marocaine). Des hypothèses qui se verraient facilitées par des infrastructures autoroutières s’étant améliorées depuis une douzaine d’années, ce qui n’est pas négligeable en termes d’acheminement et de coûts d’amortissement.
Par ailleurs, n’oublions pas que la grande force du Maroc matérialisée par ses cultures maraîchères de premier choix plaide en faveur d’une économie résolument tournée vers l’extérieur, conciliante au point de pouvoir exporter ses magnifiques et succulentes oranges tant vers la France partenaire privilégiée, que vers la Russie, ses jus de fruits vers l’Occident ou l’Orient.
Un système bancaire imaginatif et conquérant
L’économie c’est le sens des affaires. La sensibilisation de l’ensemble d’un public. Les spéculateurs dont il faut gérer les agissements, les actionnaires dont il faut gérer les attentes et les petits porteurs qu’il convient de rassurer. Si l’on observe le paysage bancaire marocain, on peut s’apercevoir de la symbologie affûtée des logos destinée à choyer les petits épargnants. En effet les banques de détail nous font contempler un ensemble de logos qui tranchent avec ceux soit trop fantaisistes soit trop austères en vogue en Afrique.
Ainsi, en accord avec l’esprit paysan animant certaines zones du pays et de ce fait certaines couches de la population, le Groupe Crédit Agricole du Maroc et le Crédit du Maroc jouent sur l’ambiguïté en présentant des images se confondant au niveau de la couleur, du graphisme et de la terminologie non seulement entre eux, mais aussi avec le Crédit Agricole de France.
Tandis que la BMCI arbore un logo identique à celui du groupe français BNP Paribas. Ce qui tranche avec la banque Chaabi dont le cheval fait appel à une imagerie populaire plus spontanée et naïve, mais toujours liée au monde de l’élevage et de l’agriculture. L’utilisation des tonalités dans les coloris est par là même révélatrice de la réorientation au niveau du marketing: nous sommes passés des couleurs chaudes de la banque populaire à celles plus froides des institutions s’inspirant de représentations internationales plus occidentales.
En attendant, la banque Attijari semble en stand by avec un logo alliant couleurs chaudes (orange, jaune) et graphisme sérieux imitant les courbes statistiques. Une jolie synthèse de l’esprit bancaire marocain.
Il est vrai que le domaine économique nous fait aller à la rencontre d’un royaume qui a accompli des grands pas, que ce soit de façon générale ou dans le détail. Certes, cette dernière décennie a vu un regain du sentiment religieux. Mais une certaine tolérance se manifeste à en juger par les programmes immobiliers ouverts aux nationaux, aux expatriés ou aux étrangers, à l’image du salon annuel du SMAP. Cela se perçoit encore à travers le mode de vie des jeunes dont les loisirs se matérialisent dorénavant par de fréquentes incursions au Mac Donald ou encore par l’écoute de la K-Pop, jusqu’à adopter le style des chanteurs sud-coréens, mais aussi américains ou libanais.
Vendre de l’image est une arme
Ceci nous amène, à travers l’importance de la communication, à un domaine connexe au développement économique et financier : la formation. Les écoles de commerce, de management, de communication fleurissent et gagnent en intensité (l’ESIG et l’ESSEC à Rabat, par exemple). Ce qui est à même de constituer un facteur différentiel puis déterminant en comparaison avec d’autres horizons scrutés par les décideurs.
En toute logique, l’hôtellerie s’inscrit bien dans ce processus tant les homologations se sont retrouvées de plus en plus en conformité avec les standards internationaux, pour le plus grand bonheur des touristes mais aussi de la population active marocaine. Alors qu’à une époque relativement récente c’était un apanage plus évident pour la Tunisie dans le Monde Arabe.
Découverte du Maroc rime avec redécouverte. Un état d’esprit qu’il convient de fortifier immédiatement et qui se traduit par l’attrait exercé sur les voyageurs dont le Maroc a les moyens d’élargir sa gamme de profils types.
Vendre de l’image est une arme. Ceci se vérifie par le travail des offices de tourisme, les activités des chambres de commerce. Puis dans des détails généraux ou plus anecdotiques, oscillant entre macroéconomie et microéconomie, le marché agroalimentaire: l’huile d’Argan est une excellente ambassadrice du raffinement national. Tout comme d’autres segments de production à l’image du marché de la transformation de fruits. Le Maroc cultive le paradoxe de voir sa demande intérieure de jus de fruits baisser régulièrement depuis 2014. Ce fléchissement se voit compenser par le fait de se consacrer cette activité à destination de l’exportation, comme le fait la Turquie pour son thé ou ses pistaches. Le territoire marocain incite donc à la consommation soit par le divertissement, soit par un ton plus sérieux.
Tout compte fait, un pays qui a changé en peu de temps, c’est le Maroc. C’est-à-dire un pays qui a cherché à se développer cette ultime décennie et qui en est parvenu en partie.
Le Maroc, c’est Marrakech le défouloir de la jet set. C’est aussi l’intimité des ryads de Fès. La confidentialité du relief proposé par l’Atlas. Cette ambivalence est une force. Elle peut s’adresser à plusieurs nations du monde afin de créer des connivences. Lesquelles pourront débouher sur des partenariats.
Cette politique d’ouverture ancestrale est le digne héritage d’une nation fondée sur les bases d’un empire dont l’actuel descendant est en mesure de surprendre la planète. L’actuel régent sa majesté Mohammed VI a su renforcer son image avec la COOP puis en renforçant des relations continentales affirmant son leadership par rapport à la Cedeao. Un prolongement est tout à fait envisageable par l’intermédiaire d’une prise de contact plus avancée avec l’Angleterre version Brexit, l’occasion de s’attabler pour des négociations entre deux pays grands consommateurs de thé et qui sauront faire infuser pas uniquement des ingrédients mais aussi des idées. Avec pourquoi pas la possibilité d’un pont vers le marché de l’Alena. Le tout dans l’ambiance d’une normalisation des relations avec Israël et d’un sentiment de doute généralisé envers la Chine.
Le monde est finance et géopoltique et le Maroc détient un carnet d’adresse comparable à un portefeuilles d’actions relationnelles. Un panier d’actifs qu’il faudra savoir faire fructifier une fois la capitalisation réalisée.
Le Maroc a rendez-vous avec l’Histoire mais il devra se montrer ponctuel pour devenir un acteur majeur de la mondialisation. Une globalisation qui pourra être vécue avec un acteur décideur pour chaque continent. A la condition d’adopter le bon timing au lieu de se concentrer de façon exclusive sur un ou deux seuls domaines réservés comme ce fut le cas pour le voisin espagnol avec le tourisme et l’immobilier.
* Enseignant de langue et civilisation italienne et écrivain.
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