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L’Ukraine à la croisée des intérêts géostratégiques

Joe Biden / Vladimir Poutine / Kiev, Ukraine.

Depuis le début de la guerre russe contre l’Ukraine, dès qu’on rappelle les misères qui ont été faites à la Russie et à son peuple depuis la chute du Mur de Berlin, en 1989, on se fait évidemment accuser de faire de la propagande en faveur du dictateur Vladimir Poutine. Pourtant l’alternative à la situation actuelle existait, mais on n’a pas voulu la rechercher, rendant la guerre inévitable.

Par Dr Mounir Hanablia *

Je n’aime pas particulièrement Vladimir Poutine ; pas plus que je ne le déteste d’ailleurs. Qu’il soit ou non un dictateur n’est pas mon affaire, mais celle du peuple russe. C’est lui qui un jour le jugera de ce qu’il aura fait ou omis de faire. Qu’il soit ou non antisémite n’est pas non plus de mon ressort. Israël s’est en tous cas abstenu de condamner la guerre en Ukraine, lors du récent vote aux Nations Unies, à un moment où les Américains mobilisaient leurs alliés et l’opinion publique mondiale afin d’isoler diplomatiquement et économiquement la Russie. Cela devrait suffisamment faire réfléchir.

Tout bombardement de civils est condamnable

Cela dit, je plains les habitants de l’Ukraine, exposés aux tirs de canons, de mitrailleuses, et à des bombardements aériens meurtriers ; tout comme j’avais plaint en 1973 ceux d’Ismaïlia, en 1979 ceux de Ahwaz et Dezful soumis aux bombardements irakiens, ceux de Kabul la même année envahi par l’Union Soviétique, ceux de Beyrouth, en 1982 soumis aux bombardements israéliens, ceux de Bagdad en 1991 et en 2003 subissant l’invasion et les bombardements américains, ceux de Grozny en 1999, ceux de Sarajevo en 1994, ceux de Kaboul de nouveau soumis en 2001 aux bombardements et à l’occupation jusqu’en 2021, pour finalement être abandonné entre les mains d’un pouvoir moyenâgeux, et voir les dépôts bancaires des Afghans amputés de moitié par le président des Etats-Unis à un moment où la famine et l’épidémie les menacent ; pour ne pas parler de ceux du Yémen soumis depuis 2014 aux bombardements et à la famine.

Les images et les vidéos en provenance de l’Ukraine sont là celles-là mêmes auxquelles nous étions déjà habitués, de Sarajevo, Bagdad, Kaboul, Gaza, Grozny, Beyrouth, Sanaa, Tripoli, et même Deraa ou Alep: la même désolation, la même mort rodant au coin des rues, la même tragédie des peuples en fuite et cherchant refuge hors de leurs frontières.

A la différence de la population de Beyrouth, dont le calvaire n’avait pas de visage, celle de Kiev aujourd’hui s’exprime individuellement et en direct sur les réseaux sociaux.

Cela faisait déjà près de 20 ans que la Méditerranée est devenue le linceul des boat people fuyant les horreurs du tiers- monde, le chômage, la tyrannie, et de la guerre.

Pourtant, il y a des guerres qu’on trouve justes et acceptables, et il y en a d’autres que l’on considère comme étant honteuses, blâmables et condamnables. Cela, c’est encore un attribut du pouvoir politique que de répartir les rôles entre les bons et les méchants, et les médias s’en font de plus en plus souvent les relais efficaces et dociles.

Qui menace qui ?

Il y a deux jours le président du parti des Patriotes en France, Florian Philippot, avait été invité à s’exprimer sur un plateau de télévision, pour avoir déclaré que les Français avaient plus à craindre de Macron que de Poutine, ce qui, du point de vue des camionneurs, des gilets jaunes, des anti-vaccins et des syndicats des travailleurs, n’est pas dénué d’une certaine vraisemblance. Il a été hué et conspué entre autres par un obscur personnage se présentant comme occupant la cinquième position sur la liste russe des hommes, ainsi que par un autre se présentant comme… un ancien espion du dictateur de Moscou.

Du tohu-bohu général quelques voix ont émergé pour rappeler que le président russe constituait bien une menace pour la France en déclarant que tout pays qui interviendrait dans la guerre subirait une riposte appropriée sur une échelle inconnue.

En Angleterre, Roman Abramovich, résidant londonien depuis plusieurs années et propriétaire du club de Chelsea, est brusquement devenu persona non grata; il a été dessaisi de son club. Ceux qu’on appelle les oligarques russes sont devenus les cibles de mesures d’expropriation touchant leurs activités et leurs avoirs et violant leurs droits les plus élémentaires. Pourtant ce ne sont pas eux qui ont envahi l’Ukraine.

En Amérique, les choses ne se passent guère mieux, même si les Américains sont plus fondés d’en vouloir à Vladimir Poutine pour être intervenu dans leurs élections présidentielles en 2016.

La Russie est en passe d’être exclue du système de télécommunication international inter bancaire Swift, quoiqu’il soit douteux que cela suffise à calmer.

Cela dit, le président russe accuse les Etats-Unis de ne pas avoir respecté leurs paroles en incorporant la Pologne et les pays baltes dans l’Otan, d’avoir renversé en 2014 son allié ukrainien le président Viktor Ianoukovytch par le biais de ce qui a été qualifié de révolution orange, et d’avoir suscité des troubles en Russie contre son propre pouvoir.

Cette hostilité s’est d’ailleurs traduite en acte avec les sanctions décidées par l’administration américaine et ayant entraîné l’interruption du gazoduc Nord Stream II à destination de l’Allemagne.

Mais reprendre tout cela, c’est évidemment être accusé de faire de la propagande en faveur du dictateur Poutine. Cela semble être devenu le crime le plus grave depuis la fin de la guerre contre le terrorisme et l’évacuation finale de l’Afghanistan.

Poutine n’est nullement un nouvel Hitler

Le discours narratif tenu contre le dictateur du Kremlin fait appel dans une large mesure à l’imaginaire anti-nazi. On a avant même le début des opérations militaires russes comparé la situation internationale actuelle à celle qui prévalait au moment de l’occupation des Sudètes, de l’Anschluss, et de l’invasion de la Tchécoslovaquie, précédant celle de la Pologne.

Les sept et l’Otan ont tenu une conférence à Munich pour discuter de la situation en Ukraine, peut être pour conjurer le spectre de Daladier et Chamberlain signant en 1938 les accords de Munich, synonymes de honte et d’abandon face à Adolf Hitler. C’est faire mine d’oublier que les nazis reprenaient la politique allemande du ‘’drang nach osten‘’ qui après les chevaliers teutoniques au Moyen-Âge avait conduit à la fondation du Royaume de Prusse au XVIe siècle sur des terres polonaise, avec cette fois l’idéologie raciale en plus, et l’objectif avoué d’abattre l’Union Soviétique.

Hitler avait occupé l’Ukraine qui par son blé et son pétrole, était nécessaire à l’effort de guerre contre l’Union Soviétique. Quelques unes des plus grandes batailles contre les nazis, celles de Koursk, de Kharkov, du Donbass, entre autres, s’étaient déroulées sur le sol ukrainien.

Mis à part les liens historiques, culturels, et religieux, qui unissent, dans l’adhésion ou l’antagonisme, les deux peuples, on peut légitimement penser qu’aucun gouvernement russe digne de ce nom n’accepterait de voir l’Ukraine devenir la base accueillant une puissance hostile, comme elle l’avait été du temps des nazis. Et quand Poutine parle de débarrasser l’Ukraine de son pouvoir nazi, c’est aussi dans l’imaginaire anti-nazi, que tout comme ses adversaires il soit fondé de puiser; même si en l’occurrence, le président de l’Ukraine soit juif.

On ne peut évidemment faire abstraction de la guerre de Crimée de 1854, et de ‘’l’intervention’’ des soldats de l’Entente en 1920 dans la guerre civile russe entre les rouges et les blancs, soutenant les troupes de l’amiral Koltchak, qui défaits, avaient été évacués d’Odessa par la marine française, sur… Bizerte, en Tunisie.

Poutine n’est donc nullement un nouvel Hitler et encore moins un dictateur fou, son comportement, sans forcément être prévisible, n’en obéit pas moins à une logique cohérente.

Serait-il un nouveau Staline prêt à occuper les Balkans? ce qui gêne les Occidentaux dans cette comparaison, c’est que l’Allemagne nazie n’aurait pas été vaincue sans la contribution décisive de l’Union soviétique. C’est en effet sur le front de l’est que l’Allemagne a perdu l’essentiel de sa puissance militaire, et c’est un dictateur qui l’a abattue. Si les Balkans sont passés sous la férule soviétique pendant 45 ans, c’est bien parce que les Etats-Unis d’Amérique n’avaient pas jugé vitale pour leurs intérêts cette région du monde, à l’exception de la Grèce et de la Turquie.

Depuis la chute de l’Union Soviétique en 1991, et avec le sanglant démantèlement commandité par les Occidentaux, aidés en cela par l’aveuglement serbe, de la Fédération Yougoslave, quelques pays désormais membres de l’Otan et de l’Union Européenne bénéficient de la protection du parapluie militaire américain. Il paraît donc peu vraisemblable que la Russie attaque un pays comme la Roumanie qui contrôle les bouches du Danube.

Intérêts américains et soucis stratégiques de la Russie

En fait, la guerre actuelle est née de l’entêtement américain à considérer la Russie comme un pays vaincu, qui n’occupe plus un grand rôle sur la scène internationale. Le président Obama avait déclaré que la Russie n’était qu’une ‘’puissance régionale’’. Cette vision se renforçait de celle rapportée par un grand nombre d’Américains originaires d’Europe Centrale et Orientale forts de leurs expériences personnelles souvent tragiques, qui avaient acquis des situations éminentes dans leur nouveau pays, et pour qui la Russie constituait l’ennemi héréditaire contre lequel il fallait protéger l’Europe. Ils n’ont pas adopté une approche similaire vis-à-vis de l’Allemagne alors qu’ils ont autant sinon plus de raisons de le faire.

Le durcissement issu de certains milieux académiques et diplomatiques semble ainsi avoir prévalu en Ukraine, conduisant les dirigeants de ce pays à adopter une appréciation fausse des réalités. Au lieu que les demandes russes portant sur des préoccupations stratégiques réelles soient prises en considération, elles ont depuis 2014 été ignorées.

Pourtant la Finlande, pays devenu neutre après une guerre cruelle contre l’Union Soviétique, n’a depuis plus eu à souffrir d’un quelconque acte d’agression de son grand voisin. L’alternative à la situation actuelle existait donc, pour peu qu’on eût bien voulu la rechercher, mais une alliance russo-allemande fortifiée par des intérêts communs est tout ce qu’on ne désire pas voir se réaliser outre-Atlantique. Et la crise énergétique actuelle prouve combien d’aucuns puissent savoir tirer les marrons du feu, des malheurs des autres. Le reste n’est qu’arme de persuasion massive.

* Médecin de libre pratique.

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