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Tunisie : la voie de l’indépendance économique sera longue

Pour une Tunisie qui traverse une grave crise économique et financière la rendant très dépendante des bailleurs de fonds étrangers, le chemin vers l’indépendance économique sera donc long et semé d’embûches. Et les premiers virages stratégiques à négocier consistent à repenser les modèles de nombreux secteurs, notamment énergétique, industriel et alimentaire, afin de les rendre plus résilients face aux chocs externes, qu’ils soient sanitaires ou géopolitiques.

Par Amine Ben Gamra *

L’encours de la dette publique de la Tunisie s’élève à 114,142 milliards de dinars (82,6% du PIB) contre 107,844 milliards de dinars en 2021. Selon les estimations du rapport «Perspectives économiques en Afrique du Nord 2021», la Tunisie a le taux d’endettement le plus élevé de l’Afrique du Nord. Sa dette publique se compose de 63,3% de dettes extérieures et de 36,7% de dettes intérieures. Son coût (en principal et intérêts) absorbe environ 32% du budget et, elle seule, la dette extérieure représente 97,2% du PIB, ce qui montre la grave dépendance de notre pays des bailleurs de fonds étrangers.

L’Union européenne sous pression

Aujourd’hui, nous sommes dans une situation extrêmement délicate et l’Union européenne et la France, partenaires commerciaux essentiels et sources de nombreux investissements industriels, sont désemparés. Ils sont à la recherche des financements pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine.

Il s’agit tout d’abord de réduire la dépendance européenne vis-à-vis du gaz (40% des ressources) et du pétrole (25%) russes. 

Par ailleurs, les Etats, qui avaient globalement réduit leurs dépenses militaires après la chute du mur de Berlin, en 1989, vont devoir se rééquiper et moderniser leur armée à marche forcée. Sur l’ensemble du Vieux Continent, les budgets consacrés à l’armée devraient en moyenne augmenter de 25%.

Pour nous autres Tunisiens, qui ne pouvons plus compter sur un appui généreux de nos partenaires traditionnels, la guerre qu’il faut gagner consiste actuellement à réduire autant que possible nos dépenses publiques, notre taux d’endettement et notre dépendance vis-à-vis de l’étranger.

La crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 a profondément remis en cause certaines théories et croyances économiques établies. L’indépendance, qu’elle soit énergétique, industrielle, alimentaire, sanitaire, numérique, etc., dépasse désormais le cadre d’un slogan politicien creux pour devenir un enjeu majeur de sécurité nationale et de développement économique. Car en mettant à nu les imperfections de l’univers multidimensionnel de la mondialisation, la pandémie a brutalement réveillé les consciences et révélé les ratés et les dysfonctionnements de l’ultra-libéralisme triomphant des décennies précédentes.

Alors que les économies laminées par la pandémie luttent encore pour se refaire une santé, la guerre russo-ukrainienne est venue accentuer les tensions sur les chaînes de valeur mondiales.

Les équilibres précaires de l’économie mondialisée sont ainsi secoués par un conflit qui a exacerbé les tensions sur les prix des produits énergétiques et alimentaires. Et l’onde de choc se ressent partout, surtout au niveau des pays importateurs de produits énergétiques (pétrole, gaz…) et alimentaires (céréales…) comme la Tunisie.

Une économie à reconstruire

En 2021, 97% de nos achats de blé tendre (nécessaire pour faire du pain, notamment) ont été importés, ainsi que 98% de nos achats d’orge. Pour le blé dur (pour faire du semoule et du couscous), les importations représentent 39% de nos achats, sachant que 47% des importations tunisiennes en blé proviennent d’Ukraine.

Le chemin vers notre indépendance économique sera donc long et semé d’embûches. Et les premiers virages stratégiques à négocier consistent à repenser les modèles économiques de nombreux secteurs, notamment énergétique, industriel et alimentaire, afin de les rendre plus résilients face aux chocs externes, qu’ils soient sanitaires ou géopolitiques.

Dans ce cadre une réallocation de nos ressources nationales, un investissement accru dans les énergies renouvelables, une refonte de nos systèmes industriel et agricole et une réduction de nos gaspillages, notamment alimentaire, doivent être menés d’urgence et au pas de charge. C’est pourquoi le retard enregistré dans la mise en œuvre des réformes structurelles envisagées est-il devenu problématique, car il hypothèque dangereusement les perspective de redressement national.

* Expert comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptables de Tunisie.

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