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Tunisie : Kaïs Saïed accuse ses adversaires de putschistes

A chaque fois qu’il est en mauvaise posture, Kaïs Saïed réunit le Conseil de sécurité nationale.

On est bien avancé, le peuple et la Tunisie sont bien avancés de savoir qui du président de la République ou de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) «gelée» est plus putschiste. Face-à-face, un camp accuse le camp opposé de coup d’Etat et vice versa. L’essentiel, dans cette confusion totale, est laissé de côté puisque, selon ce que les dirigeants de notre pays donnent à voir, ces choses-là peuvent attendre. Vidéo.

Par Moncef Dhambri

Armé de sa ferveur habituelle, le chef de l’Etat a réagi hier, lundi 28 mars 2022, à la tenue, plus tôt dans la journée, d’une réunion virtuelle de l’ARP «gelée» –nous n’en sommes pas à la première de ce genre de rencontre et il y en aura d’autres, semble-t-il.

M. Saïed ne reconnait aucune validité ni aucune légitimité à cette réunion. Souvenons-nous, il y a quelques jours, il avait ironisé en suggérant aux membres de cette Assemblée d’«aller se retrouver quelque part, là-haut, sur une navette spatiale» pour tenir leurs réunions.

Des missiles saïediens prêts à être lancés

Hier, le locataire du Palais de Carthage a mis, dans son intervention, beaucoup plus de sérieux et donné un décorum certain à sa riposte télévisée.

Pour l’occasion, donc, le président de la République s’est entouré de ses redoutables forces de frappe –tous les corps d’armée et de sécurité– et des ministres de l’Intérieur et de la Défense, et il a convoqué, sous la forme d’une réunion du Conseil de la sécurité nationale, une dizaine des plus hauts responsables de l’Etat.

Comme rampe de lancement des missiles saïediens, on ne pouvait faire mieux.

Pour ce règlement de comptes, le chef de l’Etat n’a pas manqué, non plus, d’exhiber d’entrée de jeu son «arme fatale», c’est-à-dire le texte de la Constitution du 26 janvier 2014. Le président de la République a montré «le livret rouge», à la façon dont l’arbitre d’un match de football flanque à la face du joueur fautif le carton de l’expulsion. Puis, il a posé le texte de la Loi fondamentale sur la table, pour ne plus l’utiliser. Nous savons tous que tout, tout ce texte de bout en bout, est dans la tête du grand constitutionnaliste qu’est M. Saïed.

Pour l’essentiel du laïus présidentiel d’hier, qui a duré 13 minutes, nous avons retenu cette impression –ça reste, bien évidemment, notre sentiment personnel– que le Chevalier d’El-Mnihla souhaitait rassurer ses troupes –«le peuple», dit-il– et se rassurer lui-même que ses opposants, sous quelque forme qu’ils se présentent, ne peuvent se prévaloir d’aucune crédibilité, d’aucune représentativité ni d’aucune légitimité. «Tout de même, comment peut-on oublier que nous avons gelé leurs activités ? Comment osent-ils, comme ils le font, défier l’Etat tunisien?», s’interroge-t-il, faussement incrédule. Et il répond à ses questions : «Ils ne savent pas ce qu’ils sont en train de faire. Ils font fausse route. Ils s’illusionnent…» Et quoi encore ?

Là, honnêtement, la pertinence de l’argumentaire de M. Saïed nous échappe : en interprétant le fameux article 80 comme il l’entendait, il a décidé du «gel» des activités de l’ARP, il souhaitait que tout le monde fasse la même lecture de cet article et que les députés «gelés» restent les bras croisés. Or, en vérité, l’article 80 parle de dissolution, ce qu’il s’est gardé jusque-là de faire, alors que beaucoup d’acteurs politiques le lui demandent avec empressement. Pourquoi ne dissout-il pas le parlement, puisqu’il prévoit, dans sa feuille de route, d’organiser des législatives anticipées le 17 décembre prochain ? Mystère et boule de gomme…

Le Chevalier d’El-Mnihla n’a pas ménagé sa monture

Pour avoir mené son projet comme il l’a fait, c’est-à-dire en visionnaire populiste et solitaire, en faisant de son exceptionnel la règle de près de 17 mois (du 25 juillet 2021 au 17 décembre 2022) et très certainement au-delà, le Chevalier d’El-Mnihla n’a pas ménagé sa monture.   

Egalement, pour avoir compté sur le cercle très restreint de ses béni-oui-oui, des prêcheurs de la bonne parole saïedienne (les Ridha Lénine, Ahmed Chaftar, Boutheina Ben Kridis et autres Amine Mahfoudh) et son «peuple [qui] veut», le président de la République s’est isolé et ne pouvait plus distinguer «l’échec cuisant» de «la réussite retentissante». Re-traduisons : la première étape de la construction de sa démocratie participative (qu’il s’est permis de défendre, hier, auprès du ministre sud-coréen de l’Intérieur, Jeon Hae-cheol) n’a pas intéressé, n’a pas convaincu et n’est donc d’aucune utilité pour la suite du parcours qu’il s’est fixé pour lui-même beaucoup plus que pour le peuple, qui ne s’est pas beaucoup dérangé pour répondre à sa consultation nationale censée préparer la première révolution bolchévique du… 21e siècle.

Peut-on imaginer la possibilité –saine et sensée– de tenir un référendum, le 25 juillet prochain, sur la base du «pétard mouillé» du 20 mars 2022, date à laquelle la montagne de la consultation nationale a accouché d’une… fourni. En toute logique et toute honnêteté, la réponse est «Non!»…

En somme, c’est sur ces ratées à répétition, depuis le jour où il est devenu l’omnipotent locataire du Palais de Carthage et installé la frêle Najla Bouden au Palais de La Kasbah, que s’est construit –timidement, à petits pas, mais sûrement– le retour aux affaires d’Ennahdha.

Saïed ne mesure pas le terrain qu’il est en train de perdre

Ne nous affolons pas, n’allons pas trop vite en besogne, il y a loin de la coupe aux lèvres. Il en faudra beaucoup plus pour que «le 25 juillet devienne une chose du passé», mais Kaïs Saïed ne semble pas prendre la mesure du terrain qu’il est en train de perdre. Il ne réalise pas que le terrain qu’il perd sera envahi par ses opposants. C’est ainsi que cette opposition est en train de capitaliser sur les faux-pas de M. Saïed et qu’à chaque fois elle est encore davantage enhardie.

Hier, outre la tenue de sa réunion virtuelle et la publication de son communiqué officiel, l’ARP «gelée» a pris rendez-vous pour une plénière, demain, mercredi 30 mars. Et si cela ne pouvait pas suffire, le menue de l’offensive islamiste a été complété par une réunion du conseil de la Choura d’Ennahdha qui, lui non plus, n’a pas manqué de menaces…

Où va-t-on ainsi? Jusqu’à quand cette mascarade va-t-elle durer?

Le temps passe et les crises auxquelles le pays est confronté ne se comptent plus. En tant que lanceurs d’alerte, nous nous faisons un devoir de rappeler à l’homme de tous les pouvoirs qu’il a une liste longue de travaux à accomplir.

Qu’il laisse de côté, pour l’instant, le «jouet» constitutionnel. Il pourra le reprendre ultérieurement, s’il le veut et si cette envie est toujours pressante.

Que sommes-nous en train de faire pour les négociations avec le FMI, le complétement du Budget 2022, l’année touristique qui commence, l’extraction et la vente du phosphate, l’emploi des jeunes, la cherté de la vie, l’érosion du pouvoir d’achat, la chute du dinar, l’inflation, le déséquilibre de la balance commerciale, l’autosuffisance alimentaire et énergétique, etc. ? La liste est longue et interminable.

Plus que les douze travaux d’Hercule.

Vidéo.

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