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Roman-feuilleton du Ramadan – «Aux origines de l’islam» : Coup de force au préau (1/2)

Abou Baker d’après une miniature persane et Omar Ibn Al-Khattab sur une affiche de film.

Le préau de la famille Sa’ida, la plus en vue de Médine, là où avait l’habitude de se réunir les gens de la ville, grouillait singulièrement de monde ce jour-là. Blancs, poivre et sel ou comme du charbon ardent y étaient les poils sur les joues et les mentons des hommes; une foule de barbus tenait réunion.

Par Farhat Othman

On y distinguait Abou Bakr avec sa chevelure et son menton aux poils touffus teints au henné, accompagné de son proche ami Omar dont la barbe était également traitée à la poudre de cette même plante tropicale. Collé à eux, la barbe clairsemée, le visage strié de veinules, un quadragénaire édenté, aussi grand homme qu’Omar, complétait le trio réputé être celui des amis préférés du prophète.

Couramment appelé de son surnom Abou Obeïda, par égards manifestes, Ameur Ibn Al Jarrah était allé avertir Omar de l’occurrence d’un événement grave, seul fait majeur ayant pu venir éclipser le drame incommensurable de la communauté. Aussi se sont-ils hâtés ensemble de quérir leur ami commun chez sa fille au chevet de l’illustre défunt.

À l’instant même de l’annonce du drame, une réunion impromptue se tenait, les Ansars — premiers soutiens de l’apôtre de la nouvelle religion, appelés depuis les Renforts tout court — s’apprêtaient à élire le premier d’entre eux pour régir les affaires de leur ville, succédant ainsi au prophète qui n’en avait expressément désigné aucun.

Des membres de la famille endeuillée, présents à son chevet, assurèrent qu’il voulut bien le faire à ses derniers instants ; mais la défiance de certains de son entourage l’en empêcha de peur que la maladie n’eût altéré son jugement ; il était dans ses ultimes moments et la fièvre, l’évanouissement avaient totale prise sur lui.

Tenue le jour même de la mort de Mohamed, la réunion des Ansars avait lieu dans la cour à l’entrée de la maison des Sa’ida où ils s’étaient réunis autour du doyen Saad Ibn Oubada, chef des Khazraj, l’une des deux branches composant les tribus arabes de l’ancienne Yathrib.

Avec les Aws, l’autre tribu originaire comme eux du Yémen, ils eurent droit à leur surnom valorisant la geste des premiers clans arabes à secourir l’envoyé divin contre sa propre tribu Qoraïch, aux premiers moments, les plus durs de sa mission. Au bout de dix ans de prédication sans résultat parmi les siens ni grand nombre de convertis, ils l’accueillirent chez eux dans leur ville qui abandonna à l’occasion son ancien nom pour célébrer sa venue en devenant la Ville du prophète, puis Ville tout court (soit Médine) depuis qu’il s’y installa après une fuite de nuit de La Mecque. Ils le supportèrent, l’aidèrent à revenir conquérir sa ville, et ils en tiraient une légitime fierté, leur propre ville devenant la capitale de la prophétie ayant eu le pas sur le centre du monde arabe qu’était La Mecque du fait de son sanctuaire religieux.

Descendant d’un même ancêtre, cohabitant dans la même ville, les Aws et les Khazraj ne se supportaient guère pourtant, conformes en cela à un trait de caractère atavique chez les habitants de la péninsule arabique. Ce fut, d’ailleurs, pour sublimer leurs divisions, entre autres, qu’ils accueillirent chez eux ce prophète venu d’une tribu rivale qui allait fédérer les Arabes et les amener à dépasser leurs divisions pour prétendre à l’ambition de conquérir l’univers. Rêvant certainement moins de conquête du monde, que leur promettait la vision universaliste de leur illustre hôte et les réels dons divinatoires de son premier compagnon, que d’un primat en terre arabe, ils se furent les plus ardents défenseurs de la nouvelle religion, autant par foi et conviction que par opportunisme ou calcul politique.

Sur un tapis étendu, accoudé à un oreiller, Saad était engoncé dans ses vêtements ; il était fiévreux. La maladie avait ratatiné sa stature imposante que l’opulence et la tradition familiale de munificence, de prodigalités même, ajoutaient à sa magnificence. Calmement, toutefois, avec ce détachement caractéristique des nobles personnes pour ce qu’ils estiment leur dû, il attendait l’issue prévisible de la réunion avec une lassitude relevant autant de son état que de ce sentiment-là.

Après les palabres de rigueur entre les membres des deux tribus de la ville, l’assemblée devait confirmer sa prétention à succéder à l’envoyé de Dieu. Cela, du coup, le consacrerait chef de toutes les tribus arabes ralliées à la religion naissante, voire de celles appelées à y adhérer tôt ou tard, le mouvement de conversion s’étendant et devant finir par prendre l’allure d’un raz de marée malgré quelques réticences et certaines oppositions violentes. Or, qui mieux que lui, notoirement réputé être l’homme parfait, dont la bravoure et la vaillance équivalaient à sa générosité proverbiale, pouvait s’acquitter de cette mission ?

Rien n’était encore décidé, toutefois ; Abou Bakr et ses deux compagnons arrivaient juste à temps ! Il leur fallait empêcher l’occurrence de ce qu’ils estimaient relever de l’erreur fatale. Confier l’héritage prophétique à quelqu’un d’autre qu’un membre éminent de la tribu mecquoise de Qoraïch était de nature à créer les pires divisions dans la communauté musulmane, pensaient-ils.

Des dissensions étaient déjà apparues de la vie même de Mohamed et elles risquaient de s’aggraver et finir par se perpétuer si on ne laissait pas à la tribu abritant déjà le sanctuaire majeur, vers lequel tous les Arabes polythéistes se retournaient, cette même primauté avec la nouvelle religion. Les trois compagnons n’étaient en cela que représentatifs de l’état d’esprit des gens de leur tribu. Tout comme eux, l’ensemble des Émigrants ou Mouhajirouns, ces musulmans des premières heures issus de la tribu de Mohamed, ayant émigré avec lui, n’accepteraient en aucun cas que le successeur du prophète ne fût pas issu de leurs rangs.

Au-delà de la préséance et de la prééminence entre les tribus, c’était une question de principe ; et Abou Bakr, le plus âgé des trois arrivants à la réunion des Ansars, allait devoir puiser dans sa sagesse pour l’expliciter à l’assistance afin d’avoir sa totale adhésion. Car il ne fallait surtout pas se diviser ni se déchirer en ce moment déjà suffisamment tragique par la disparition du fondateur de l’islam.

Il en allait de même pour le chef des Renforts, qui tenait pour évident le rejet des tribus arabes d’une réunion de la dignité prophétique et de la distinction politique dans une même tribu, les contestations de ce fait n’ayant déjà pas tardé à apparaître de la vie même du prophète. Or, qui d’autre est le plus digne de ces fonctions que le chef des premiers secours de la nouvelle religion, sans lesquels elle n’aurait peut-être pas fini par triompher ?

Sous les traits de l’analyse objective, Ibn Obada ne cachait pas moins son aversion pour la tribu du prophète qui, du jour au lendemain, était passée du statut de plus farouche adversaire à celui de plus ardent supporter de l’islam. Or, la haine dans le cœur des hommes, même chez les plus fervents musulmans parmi eux, ne s’efface que trop difficilement ! Le jour de la conquête de la Mecque, alors qu’il était, comme à son habitude lors de toutes les précédentes batailles de Mohamed, le porte-drapeau des Ansars, il avait nourri l’espoir d’assouvir sa vengeance, mais ne voilà-t-il pas que les anciens ennemis devenaient subitement des ralliés, que la demeure de leur chef était sanctuarisée et qu’on lui retirait même son oriflamme pour le confier à son propre fils, jugé plus diplomate, de peur qu’il ne se laissât aller à ses sentiments de haine !

Depuis ce jour, les Renforts se sont sentis comme trahis, l’ennemi combattu leur subtilisant la place de premiers défenseurs de l’islam, arrivant même à obtenir du prophète un traitement de faveur dans la répartition des prises de guerre. Certes, ce dernier, soupçonné par d’aucuns de favoriser les siens, a bien balayé par la parole et le geste toute suspicion en réaffirmant la place éminente des Ansars dans un discours émouvant et en gardant Médine comme résidence ; le malaise n’en était pas moins resté vivace dans le faible cœur des hommes.

— Alors, que voit Abou Thabet ?

S’adressant à Ibn Oubada, Abou Bakr l’appela sans surprise par son surnom selon la coutume arabe de respect pour l’interlocuteur, le valorisant ainsi en évitant de l’apostropher par son simple prénom ou son nom de famille. En cela, il en allait pour lui de bien plus que de simple diplomatie ; c’était dans son caractère, sa manière d’être.

Tout autour, les alliés Khazraj de celui qui présidait la réunion étaient en nombre et scandaient son nom ; quelques autres de la tribu rivale de Médine auraient bien voulu se manifester et s’y opposer; mais entre estimer le pouvoir devant revenir aux Aws et le claironner haut et fort, il y avait la stature et le prestige de l’homme du jour que ne pouvait plus contester leur propre chef disparu lors de la bataille dite de la tranchée. Il fallait désormais compter avec Bouillie de farine — surnom de Qoraïch — et les Émigrants, avec l’arrivée inopinée de ses trois représentants ; et cela créait une nouvelle donne.

— Je suis un homme d’entre vous.

Jouant la modestie, Saad répondait énigmatiquement. Il sentait bien la détermination des arrivants, en voyait le feu sur les visages, mâtiné de colère dans les yeux d’Omar dont le bras droit, la main toute proche d’un sabre bien en évidence dans son fourreau, était discrètement retenu par Abou Bakr. Pour lui, il ne faisait pas de doute ; les éminents représentants de la grande tribu rivale venaient défendre bec et ongles une prééminence tribale bien moins que l’intérêt de la religion. Il voulait bien mettre cette réaction instinctive sur le compte de la confusion, créée par le terrible drame qu’ils venaient de vivre ; lui, toutefois, prétendant rester toujours égal à lui-même, voulait rester calme, agir avec raison, loin de toute émotion.

Dans le brouhaha généralisé, la bousculade échauffait les esprits. L’un des présents qui affirmait garder aussi sa lucidité, se vantant d’avoir l’avis sûr — ce pour quoi il était, au reste, réputé — éleva la voix, péremptoire, usant de paraboles agrestes, se faisant à peine écouter par la foule grondant en grossissant. Il parvint, néanmoins, à faire entendre l’essentiel de ce qu’il voulait dire :

— Je suis celui dont l’avis s’est toujours révélé salutaire, vous le savez ! Un émir d’entre nous, un autre d’entre vous ; si l’Émigrant agit mal, le Renfort l’arrêtera et vice-versa. Écoutez, c’est l’opinion sensée !

C’était un Khazraj comme Saad. Il prétendait que, par deux fois, il avait eu l’oreille du prophète, la première fois lors de la bataille décisive de Badr, quelques années auparavant, et la deuxième, il y a juste quelques jours, au début de la maladie de Mohamed lorsqu’il en parla à ses compagnons, leur demandant leur avis. Il assurait qu’alors que ceux-ci lui tinrent le langage du coeur, manifestant leur attachement à sa présence parmi eux, lui seul lui tint le langage de la raison, lui disant de faire sien le choix qu’Allah aura fait pour lui.

Mais ni la science de l’homme ni ses images empruntées à la vie quotidienne pour illustrer sa clairvoyance n’eurent d’effet sur une assemblée désormais houleuse, des Mouhajirouns y ayant rejoint en nombre le trio initial. Omar se retenait avec peine ; sa fougue naturelle et son sens aigu des responsabilités le portaient à user de la force dont il se sentait porteur pour le bien général. On ne pouvait afficher pareil spectacle affligeant d’un appétit pour le pouvoir à pareil instant ! C’était pis que de l’indécence, un flagrant manque de respect pour la mémoire du défunt ; et les arguments relatifs aux dangers de vacance du pouvoir n’avaient nulle valeur à ses yeux.

Il s’apprêtait à protester de son indignation, mais s’arrêta net ; Abou Bakr le lui demandait. Et il se tut, instruit par l’épisode de la mosquée, convenant que son compagnon s’en sortirait bien mieux que lui, même s’il se sentait assez outillé cette fois-ci, ayant préparé mentalement une argumentation minutieuse. Il le regarda parler en opinant du chef, admettant en son for intérieur qu’Abou Bakr détaillait à merveille ce qu’il avait lui-même projeté de dire.

Avec sa douceur caractéristique, une voix presque mielleuse, Abou Bakrcaptait l’attention et ralliait à lui les plus dubitatifs d’entre les Renforts, le clan des Aws, particulièrement, pour qui la jalousie exacerbée amenait à faire de leurs frères des ennemis mettant en pièces les prétentions des autres.

Nous, les Émigrants, nous avons été les premiers à embrasser l’islam. De lignée, nous sommes les meilleurs, appartenant à l’élite des tribus dont nous sommes les plus qualifiés des représentants ; et nous sommes de la plus proche parenté du prophète, bénédiction et salut d’Allah sur lui. Vous êtes nos frères en islam, nos partenaires dans la religion ; vous avez été des supporteurs et des secoureurs, que Dieu vous en récompense bien. Nous sommes donc les émirs et vous êtes les vizirs ; car les tribus arabes n’obéiront qu’à ce clan de Qoraïch qui est le nôtre. Alors, ne disputez pas à vos frères les Émigrants leur mérite par Dieu reconnu. Car le prophète — bénédiction et salut d’Allah sur lui — a bien dit : « Les chefs de file sont de Qoraïch ». Aussi, je vous propose de choisir l’un de ces deux hommes : Omar Ibn AlKhattab et Abou Obeïda Ibn AlJarrah.

En s’effaçant devant ses deux compagnons, Abou Bakr ne faisait qu’obéir à une propension naturelle de modestie et de consensualisme; du même coup et involontairement, il agissait en incontestable stratège politique en faisant leçon aux présents, subitement honteux de se montrer avides du pouvoir en de telles circonstances particulières et en présence de pareilles personnalités réputées proches et si estimées de l’illustre défunt.

— Cela se pourrait-il advenir alors que tu es en vie ? Personne n’oserait t’ôter de la position à laquelle t’a placé le prophète, bénédiction et salut d’Allah sur lui !

Dans une cour où le vacarme, ajouté à la confusion, était à son comble, Omar, de sa voix haute, accompagnée de gestes secs, venait de répliquer aussitôt. Ayant relevé de son œil averti le subit flottement des pensées, il voulait se saisir promptement de l’instant qui lui semblait être de ceux où le destin bascule en faveur des plus audacieux. Il n’était pas le seul à avoir compris l’importance du moment, le Renfort avisé de tout à l’heure revenait à la charge, cherchant à rallier l’assemblée à sa proposition de partage du pouvoir :

— Je suis l’homme de la situation. Un chef d’entre nous et un autre parmi vous, gens de Qoraïch !

Sa voix insistante, contrant celle, bien retentissante d’Omar, venait aussi de réussir à se faire entendre dans le bruit assourdissant ; mais le qoraïchiten n’y prêta aucune attention et topa en hâte, en signe de reconnaissance, la main d’Abou Bakr, prise d’autorité, entraînant derrière lui quelques-uns des présents, Abou Obeïda et les Émigrants en premier.

Et l’enchantement eut lieu ! Car, aussitôt, spontanément, comme par mimétisme, les premiers ralliés au choix d’Omar furent suivis par la plupart de l’assistance, la tribu rivale du président de séance surtout dont les représentants vinrent s’agglutiner autour d’Abou Bakr, lui prendre la main, trouvant en lui la meilleure alternative à une reconnaissance du frère ennemi qui équivalait plutôt à une reddition.

— Vous avez tué Saad !

Dans la cohue générale, des cris fusaient maintenant et l’on entendit la même haute voix, d’autres aussi moins affirmées, déplorer l’outrage : le chef Aws venait d’être bousculé ; d’aucuns faillirent même le piétiner, par inadvertance, mais peut-être aussi intentionnellement.

— Tuez-le ! Que Dieu le tue ! C’est un séditieux !

Hurlant presque dans l’instant, sabre à la main, Omar répondait provocateur, faisant mine de se précipiter vers l’homme alité, aussitôt mieux entouré de ses intimes bousculés de toutes parts.

— Et si je t’écrasais, hein !

Sa haute stature aidant, Omar était pratiquement debout à la tête du chef malade, qu’il continuait à malmener verbalement, à faire mine de le menacer, dans un bouquet de bras et de mains nues ou armées faisant barrage entre les deux hommes. Nullement impressionné, Saad, par bravade, n’hésita pas à se saisir rageusement de la barbe fournie de son détracteur en grommelant ; mais le brouhaha couvrit sa voix.

Les deux hommes, aussi braves l’un que l’autre, ne se supportaient guère ; Omar n’aimait particulièrement pas le goût du luxe et la superbe de Saad qui ne pouvait que honnir les manières frustes et le caractère intransigeant, dénué de nuances d’Omar. Certes, ce dernier reconnaissait sa générosité et saluait la bonne tradition de sa maison de nourrir régulièrement les multitudes et, depuis l’arrivée des Émigrants, de se charger d’un groupe conséquent des petites gens réfugiées dans la mosquée. Il ne pouvait oublier cependant une scène qui dévalorisa à jamais l’homme à ses yeux.

C’était au lendemain de son arrivée à Médine; le prophète rendait visite à Ibn Oubada et, le saluant en entrant, ne reçut aucune réponse et dut répéter ses salutations plus d’une fois avant que l’orgueilleux chef Khazraj ne daignât répondre. Bien sûr, celui-ci prétendit après coup avoir répondu par devers lui, en silence, faisant cela dans l’intention de bénéficier du plus possible de saluts dans la bouche du prophète. Aux yeux d’Omar et de tout vrai croyant, une telle explication cachait mal l’affront fait au prophète et la vanité démesurée de son auteur.

N’ayant pas besoin de jouer des coudes, les gens s’effaçant devant lui, Abou Bakr intervint aussitôt pour séparer les deux hommes, s’adressant à son ami :

— Doucement Omar ! L’indulgence est de rigueur ici.

— Par Dieu, s’écria Saad, si j’avais eu la force, vous m’aurez entendu rugir ! Emportez-moi de ce lieu !

Et ses serviteurs l’extirpèrent péniblement de la confusion tumultueuse, s’en allant le transporter hors des lieux relevant désormais de l’atmosphère d’une vraie foire.

Saad enrageait. En lui, bien plus que la déception, c’était la rage de l’impuissance qui le rendait encore plus malade ; cette incapacité physique et psychique où il était de peser sur le cours des événements. Il était moins déçu qu’on l’ait écarté de la succession du prophète que du fait de la tournure prise par les événements, et qui annoncerait les pires calamités. Sa candidature ne procédait pas d’une ambition personnelle ; elle se voulait le résultat d’une analyse objective de la situation pour éviter les divisions, assurer la pérennité de la nouvelle religion.

Or, ce qu’il redoutait le plus venait d’avoir lieu par la faute surtout de cet homme à la barbe en éventail, au teint d’ivoire, au caractère exécrable. Il aurait voulu par sa candidature maintenir la religion naissante hors des ambitions du clan d’origine du prophète disparu, prolongeant au-delà de la vie de Mohamed le rôle majeur de principal secours des gens de Médine. À ses yeux, retirer la succession du prophète aux Ansars revenait à assurer, tôt ou tard, la mainmise des Qoraïchites sur les rouages de l’Etat naissant ; ce qui finirait par déboucher sur les travers qu’on voulait justement éviter. Il n’était pas assuré que les Arabes obéiraient aux gens issus de la parentèle du prophète comme l’assura Abou Bakr, pas mieux en tout cas qu’ils n’obéiraient à ses principaux soutiens qui sauraient, bien plus que les Qoraïchites, tenir le pouvoir en dehors des querelles des familles rivales au sein d’un même clan, comme c’était le cas au sein même de la tribu qoraïchite, dont notamment celles se réclamant de la lignée prophétique.

À suivre...

«Aux origines de l’islam : Succession du prophète, Ombres et lumières», Farhat Othman, éd. Afrique Orient – Maroc, 2015.

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