Kaïs Saïed bourguibiste, qui l’eût cru ? En réalité, le locataire du Palais de Carthage n’a jamais vraiment été un fervent partisan du père de la nation tunisienne moderne… jusqu’à la visite, très opportune pour ne pas dire opportuniste, qu’il a effectuée hier, mercredi 6 avril 2022, au mausolée du leader Habib Bourguiba, à Monastir, ville natale du Combattant Suprême, pour saluer sa mémoire à l’occasion du 22e anniversaire de sa mort. Visite effectuée avec un grand renfort de micros et de caméras…
Par Imed Bahri
Quand on sait le nombre de fois où Kaïs Saïed, ce «révolutionnaire de la 25e heure», a osé mettre en doute l’indépendance tunisienne, dont Bourguiba fût justement l’un des principaux artisans, au point qu’il en «oublie» souvent de célébrer l’anniversaire, comme cela fût d’ailleurs le cas le 20 mars dernier, alors que cela est censé faire partie de ses prérogatives, ne fût que sur le plan protocolaire, on est en droit de mettre en doute la sincérité du bourguibisme intéressé de M. Saïed, d’autant qu’il est tapageusement affiché et surtout instrumentalisé dans ses guéguerres avec ses adversaires politiques.
A l’assaut de la forteresse Moussi
Expliquons-nous : Kaïs Saïed a effectué hier le voyage à Monastir pour un seul objectif, celui de disputer à Abir Moussi, sa plus redoutable adversaire en perspective des prochaines élections, le legs des Destouriens, dont elle est, malgré lui, le véritable leader. Et il n’a d’ailleurs pas résisté longtemps à la tentation de planter une banderille à la présidente du Parti destourien libre (PDL) en faisant une déclaration pour le moins téléphonée selon laquelle l’héritage de Bourguiba n’appartient à personne et aucune partie ne peut s’en prévaloir de manière exclusive. Et c’est tout naturellement que cette dernière, qui n’est pas du genre à prendre des coups sans réagir ou à reculer devant l’adversité, a tenu à lui rendre la monnaie de sa pièce, quelques heures plus tard, en rappelant tous les coups fourrés que M. Saïed avait portés, depuis son accession à la présidence en 2019, aux Destouriens qu’il cherche aujourd’hui à rallier à sa personne, qui plus est, sur le dos de leur «leader naturel», Abir Moussi en l’occurrence.
La tactique de M. Saïed est cousue de fil de blanc : l’homme, qui est en campagne électorale permanente, a déjà garanti le vote des islamistes, et l’hostilité qu’il montre envers le président du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, doit être située dans le contexte d’un conflit de leadership dont l’enjeu est le vote des couches conservatrices de la population. Cette bataille est déjà gagnée, Ghannouchi ayant perdu beaucoup de terrain parmi ses propres partisans, notamment dans les régions intérieures, dont une écrasante majorité a porté son dévolu sur Kaïs Saïed, qui demeure, selon eux, la seule personnalité politique capable de battre leur ennemie jurée, Abir Moussi en l’occurrence.
A la conquête des Destouriens
Cette évolution du rapport de force, que les sondages d’opinion ne cessent de prouver, semble dicter la réorientation actuelle de la stratégie de Saïed, qui se voit déjà réélu pour un second mandat et qui, dans cette perspective, voudrait se débarrasser de Abir Moussi, un redoutable adversaire qui apparaît, depuis plusieurs mois, comme le mieux placé dans la course à la Kasbah.
Or M. Saïed, qui, au cours des trois dernières années, a multiplié les coups de griffe en direction des Destouriens, au point de mettre en doute le récit national faisant de Bourguiba l’artisan de l’indépendance, cherche aujourd’hui à rétablir les ponts avec cette masse électorale non négligeable, dont le Sahel reste la principale région d’implantation, sur le plan historique et sociologique.
C’est dans le cadre de cette guerre de positions qu’il convient de situer l’intérêt, aussi subit que douteux, de M. Saïed pour Bourguiba. Tout le reste est du théâtre, où le burlesque des acteurs politiques le dispute à la tragédie d’un pays au bord de la faillite et qui, selon des rapports internationaux, risque de connaître bientôt la famine, par la faute même de ses dirigeants…
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