L’actrice Abir Bennani assume son statut de seconde épouse d’un riche homme d’affaires et le déclare ouvertement dans l’émission «Layali» sur IFM, où elle était venue parler du feuilleton «Baraa» sur Al-Hiwar Ettounsi, où elle joue le rôle d’un chasseur de tête sans scrupules. Elle justifie son choix par sa volonté (ô combien louable à ses yeux) de ne pas «détruire le foyer de son époux», qui l’avait averti qu’il était déjà marié à sa cousine. Cette déclaration a choqué beaucoup d’auditeurs en Tunisie où la polygamie a été abolie depuis 1956, Vidéo.
Par Imed Bahri
La situation de Abir Bennani a été jugée d’autant plus choquante que sa mère et peut-être même sa grand-mère s’étaient émancipées de cette obligation qui était faites aux femmes musulmanes, même en Tunisie, d’accepter que leur époux aient jusqu’à trois autres épouses en même temps et parfois même de vivre avec ses «rivales» sous le même toit.
Légitimes et secondes épouses
Cette question de la polygamie est certes encore d’actualité dans la plupart des pays arabes et musulmans où cette pratique moyen-âgeuse n’a pas été abolie, notamment ceux du Golfe où les hommes riches se «payent» souvent (et c’est le cas de le dire), en plus de leur légitime et mère de leurs enfants «légitimes», des épouses, souvent étrangères, qu’ils entretiennent, ainsi que leurs enfants «illégitimes», sous le régime de ce qu’on appelle par le détestable vocable de «zawaj ôrfi» ou mariage coutumier, autorisé par la religion mais considéré comme illégal dans beaucoup de pays, notamment la Tunisie, où vit pourtant Mme Bennani.
Alors comment cette question, que l’on croyait osolète et dépassée depuis la promulgation, en 1956 par Habib Bourguiba, du Code du statut personnel (CSP) ayant émancipé les Tunisiennes, en en faisant (presque) les égales des Tunisiens, a-t-elle surgi dans le débat national au point de susciter des polémiques dans les médias et les réseaux sociaux ?
Il a fallu qu’un feuilleton ramadanesque, «Baraa» (Innocence) de Sami El Fehri sur Al-Hiwar Ettounsi présente un personnage d’époux polygame et d’épouses soumises à ce régime, qui plus est, dans la Tunisie d’aujourd’hui, aux prises avec le dogmatisme religieux, sournoisement alimenté par le parti islamiste Ennahdha, pour que cette question surgisse du néant de l’oubli pour redevenir à l’ordre du jour, trouvant même des «débatteurs» pour défendre la polygamie et la justifier au regard de la religion ou de la tradition, ou même au regard des réalités socio-économiques actuelles du pays, où le mariage, dit-on, est devenu très coûteux et beaucoup de femmes sont condamnées au célibat (sic!).
Un débat vénéneux
Dans ce débat vénéneux, où les mots et les positions étaient particulièrement saignants, il s’est même trouvé des femmes nanties, comme Abir Bennani, une star du petit écran, ancienne mannequin, pour défendre la polygamie comme un moindre mal ou un choix personnel, la vivre elle-même en se présentant le plus naturellement du monde comme «seconde épouse» et l’assumer pleinement, en apportant des justifications à ce choix de vie pour le moins contestable.
Nous n’irons pas jusqu’à nous attaquer à l’actrice, qui est libre de ses choix, et qui se dit pourtant opposée à la polygamie et se félicite du fait qu’elle soit interdite en Tunisie, ou à l’accuser de «prostitution», comme l’ont fait certains, qui assimilent l’acception de la polygamie par les femmes, souvent pour des raisons bassement matérielles, comme une forme de prostitution «légalisée» par la religion,
Nous lui reprocherons seulement d’avoir cherché, comme le très pernicieux et très calculateur Sami El-Fehri, à justifier une telle pratique d’un autre âge voire de la banaliser dans le contexte de la Tunisie actuelle, un pays malade, en perte de valeurs et qui est en train de vendre son âme au diable déguisé en tartuffe. Car rien de l’obligeait vraiment à faire une telle confession – le journaliste Mohamed Khammassi n’ayant même pas essayé de lui tirer le ver du nez –, sachant le tollé qu’elle pourrait provoquer, qui plus est, dans le contexte d’une brûlante polémique. Rien ne l’obligeait non plus à chercher à un détestable phénomène social des justifications oiseuses et un peu tirées par les cheveux du genre «être une seconde épouse est moins choquant que d’être une maîtresse».
Une confession impudique
On pourrait certes saluer le courage de l’actrice, qui a préféré la franchise à l’hypocrisie, sachant que, de toute façon, sa situation maritale ne pouvait rester longtemps méconnue du grand public, mais au vu du tollé général qu’elle a provoqué par sa confession, considérée comme «impudique» par certains, on peut estimer qu’elle n’en a pas mesuré la gravité et l’impact négatif, et d’abord sur sa propre réputation.
Beaucoup d’artistes femmes tunisiennes, chanteuses et actrices, sont dans le même cas de Abir Bennani, et beaucoup doivent le démarrage de leur carrière à leur statut de secondes épouses de riches hommes d’affaires du Golfe. Tout le monde le sait dans le milieu artistique, mais personne n’en parle, le sujet étant particulièrement brûlant. Quelle mouche a donc piqué Mme Bennani, mère d’un enfant, de briser cette loi de l’omerta !
Donnez votre avis