L’autorisation par le ministère des Affaires religieuses de la «Salat Tahajjud» au cours des dix dernières nuits de ramadan dans toutes les mosquées de la république soulève une grande polémique en Tunisie, dont les portées religieuse et organisationnelle ne doivent pas masquer à nos yeux les dessous pernicieusement politiques. N’est-ce pas M. Saïed?
Par Imed Bahri
La Salat Tajahhud est une prière islamique spéciale qui est recommandée (mais pas obligatoire) pour tous les musulmans. Elle est effectuée après la prière obligatoire de la nuit («Icha») et avant la prière obligatoire du matin («Fajr»). Elle dure donc plusieurs heures, et autant dire toute la nuit.
La première réaction à cette décision inattendue et pour le moins parachutée (une véritable «innovation» en Tunisie où les fidèles n’y sont pas habitués) est venue de la Fédération des affaires religieuses relevant de l’Union générale tunisiennes du travail (UGTT), qui a interpellé le ministre des Affaires religieuses et lui a demandé des éclaircissements sur les tenants et les aboutissants de cette décision que les cadres religieux estiment quelque peu cavalière et insuffisamment étudiée.
Le ministre Chaïbi attise la polémique
Ces derniers évoquent plusieurs problèmes d’ordres religieux (le malékisme dominant en Tunisie a une position mitigée à l’égard de la Salat Tahajjud) et organisationnel, mais aussi politique. Car ces prières, qui se tiennent tard le soir dans les mosquées, au moment où l’écrasante majorité des fidèles dorment chez eux, ont souvent été utilisées par les courants salafistes voire par les groupes terroristes comme prétexte pour des réunions d’embrigadement, de recrutement et d’organisation d’actions insurrectionnelles, et pas seulement en Tunisie.
Plus que cette décision, qui semble avoir été dictée par le président de la république Kaïs Saïed, un intégriste religieux qui avance masqué et qui lorgne avec ce genre de décision l’électorat islamiste, lequel le lui rend d’ailleurs très bien (mais c’est là un autre sujet auquel nous reviendrons), c’est la réaction du Dr Ibrahim Chaibi, ministre des Affaires religieuses, qui laisse pantois : «Je dis aux syndicalistes qui veulent être payés pour l’accomplissement de la prière du tahajjud : « Allez dormir, la Tunisie possède ses hommes ».»
Que veut dire le ministre ? Qu’il refuse de discuter de cette décision et que, en d’autres termes, il est déterminé à l’imposer par tous les moyens sans discuter de ses implications ? Veut-il dire aussi que ses services vont se passer des employés des mosquées et les remplacer par d’autres ? Et dans ce cas, qui seraient ces «autres» personnes qui seront réquisitionnées pour veiller à la bonne tenue des prières et auxquelles seraient confiée la gestion des mosquées pendant plusieurs heures en dehors de tout autre contrôle ? Qui va les choisir et sur quels critères ?
Un passage en force qui inquiète
Ces questions suscitent d’autant plus d’inquiétudes que la détermination du ministre des Affaires religieuses à faire un passage en force pose des questions sur les véritables intentions qui l’animent, lui et son président auquel il cherche sans doute à plaire. Et parmi ces intentions, dont l’évidence n’échappe qu’au idiots utiles, on citera la volonté de se rallier l’électorat du parti islamiste Ennahdha, qui a voté à Kaïs Saïed lors du second tour de la présidentielle de 2019, lui permettant d’accéder au palais de Carthage, et qui s’est d’ailleurs mobilisé depuis hier soir pour défendre cette décision que le parti Ennahdha, durant les dix dernières années où il a dominé la vie politique et contrôlé tous les rouages de l’Etat, n’a même pas osé prendre, de crainte de provoquer un tollé général.
Bref, ce qu’Ennahdha n’a jamais osé faire dans son projet d’islamisation rampante de la société, Kaïs Saïed le fera ! Wait and see…
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