Accueil » «Politics of the periphery» : Régions, minorités et identités en Indonésie

«Politics of the periphery» : Régions, minorités et identités en Indonésie

Quelle est la signification de la citoyenneté dans un pays multi communautaire, à l’ère de la mondialisation? Les auteurs, Australiens et Néo-zélandais, s’efforcent d’apporter des repères pour répondre à cette question à travers le cas de l’Indonésie, ce pays condensé des paradoxes de l’Asie du Sud-Est, dont il constitue la moitié de la population.

Par Dr Mounir Hanablia *

En examinant les relations souvent conflictuelles entre l’Etat Indonésien situé à Jakarta, et ses périphéries géographiques et ethniques, avant et après la chute du dictateur Suharto, les auteurs s’efforcent de déterminer dans quelle mesure ce pays répond encore aux attentes de ses populations. Et si la thèse implicite que l’Indonésie soit un empire javanais héritier du colonialisme hollandais a ce qui la fonde, cet empire est toujours cohérent après l’effondrement du régime qui en constituait la colonne vertébrale. Pour les auteurs cela tient à trois faits : la transition réussie vers la démocratie avec la décentralisation régionale; l’armée; la citoyenneté fonctionnelle se substituant à celle, ethnique, et l’aptitude intrinsèque de la population au compromis dans son vécu quotidien issu de son fond culturel asiatique.

Une unité toujours menacée

Cependant, malgré l’autonomie concédée aux régions, l’unité de l’Indonésie apparaît toujours menacée par ses tendances centrifuges, en particulier en Papouasie, «confiée» à l’Indonésie en 1961 par une décision de l’Onu, et intégrée à celle-ci après le référendum de 1969, contesté aujourd’hui par les indépendantistes. 

Tout oppose les Papous, des Mélanésiens chrétiens qui célèbrent toujours le souvenir de l’arrivée des missionnaires allemands venus les convertir en 1855, aux Indonésiens de l’Est, musulmans et chrétiens, transmigrés, qui constituent désormais plus du tiers de la population estimée en 2020 à  5 millions sur un territoire de près de 400.000 km2.

Aujourd’hui, une Organisation de libération de la Papouasie dénonce les violations des droits de l’Homme et lutte pour l’indépendance du pays alors que l’exploitation des richesses minières du pays lui confère une importance économique considérable.

Mais à côté de cela, l’émigration javanaise vers les autres territoires du pays constitue toujours un problème ainsi que l’a démontré le soulèvement des populations dites Dayak à Bornéo contre les immigrés originaires de Madura sur fond de déforestation, de pollution et de dépossession des terres en faveur des grandes compagnies productrices d’huile de palme et de caoutchouc. Les populations locales vivent d’une manière dramatique la recomposition ethnique issue de cette transmigration, l’accès toujours plus limité aux ressources sylvicoles et fluviales, la marginalisation sur le marché du travail, où ils deviennent minoritaires.

Les Dayak ne sont pas un groupe homogène, ils comprennent des catégories sociales et tribales différentes même s’ils ont été définis d’une manière univoque par les Hollandais puis l’Etat indonésien, leurs revendications ne débouchent pas sur l’indépendance de Bornéo, mais évoquent un droit de regard sur la transmigration, et intrinsèquement, une meilleure redistribution des richesses de leurs régions en leur faveur.

L’irrédentisme régionaliste

Cependant il existe des exemples où l’irrédentisme régionaliste a pu être subjugué, en particulier à Sumatra. A l’Ouest de l’île, après la guerre de libération contre les Hollandais, un soulèvement armé a associé entre 1953 et 1961 les Minangkabau regroupés dans ce qu’on a appelé le Gouvernement Révolutionnaire, à l’autre rébellion, celle entre 1957 et 1958 dite Permesta du Nord des Célèbes soutenue à Manado par la CIA, contre le régime centralisateur et autoritaire du  »Bung » Sukarno. Tout s’est terminé par l’écrasement des rebelles et l’occupation militaire de leurs territoires, enfin par le compromis avec le pouvoir central, concédant le développement contre la soumission.

Mais après la chute de la dictature en 1999, et l’avènement de la démocratie, les Minangkabau, musulmans parlant un dialecte malais, se redécouvrent désormais des liens culturels et économiques avec la Malaisie.

L’islam, facteur d’intégration

A Aceh, à l’extrême nord de l’île, une région riche en gaz et en hydrocarbures, l’irrédentisme a été omniprésent depuis l’indépendance, avec des phases recrudescence sporadiques. Les habitants d’Aceh sont les héritiers du Sultanat du même nom, qui date de plus de quatre siècles, et voient les Javanais de Djakarta comme des intrus, des parvenus, n’ayant aucun droit sur eux. Le combat armé repris en 2002 s’est terminé après le catastrophique Tsunami de 2004 et la réconciliation qui s’en est suivie, avec un accord en 2005 sur une large autonomie régionale, parrainé par la Finlande.

Depuis lors à Aceh, le droit civil et criminel indonésien a été supplanté par la charia, et cela constitue évidemment une régression, mais confirme bien la place centrale de l’islam en tant que facteur d’intégration dans la Fédération d’Indonésie. Ceci mérite d’autant plus d’être souligné que les Chinois d’Indonésie, à l’origine citoyens hollandais pour la plupart citadins, ne possédant pas de référence régionale locale, ne professant en général pas la foi islamique, malgré la réforme du code de la nationalité, sont toujours regardés comme des étrangers par leurs concitoyens, en dépit de plusieurs siècles de présence dans le pays.

Bénéficiant d’une incontestable réussite économique mais au prix d’une politique assimilationniste, et d’ une aliénation culturelle totale niant leur statut de minorité sous la dictature de Suharto, après le grand massacre de 1965, tenus pour responsables du crash économique de 1998, les Chinois d’Indonésie ont subi les exactions de la populace, dans un véritable pogrome anti chinois, et les témoignages sur les pillages, les meurtres et les viols se sont multipliés sur Internet, entraînant un élan de solidarité des classes éduquées, indignées.

Aujourd’hui dans le cadre de la réforme ayant suivi la chute de la dictature, les Chinois ne sont pas une communauté homogène, ils ne parlent souvent pas les langues des régions chinoises dont ils sont originaires, ni le mandarin, mais s’expriment à l’instar de l’historien Ong Hok Ham dans la langue nationale, le Bahasa Indonesia, ils ont le choix entre l’assimilation ou l’intégration, et peuvent professer ouvertement leur particularisme culturel et religieux. Certains parmi eux se sont lancés dans la politique, mais avec l’émergence de la puissance chinoise sur la scène mondiale, leur loyalisme risque d’être questionné de nouveau, ainsi qu’il le fut dans les années 60 à l’époque du maoïsme, des maquis communistes, de l’état d’urgence en Malaisie, et de la «Confrontation» (Konfrontasi) entre Indonésiens et Malais au nord de l’île de Bornéo.

Récupération politique du culte voué aux morts

Mais si l’étrangeté chinoise interpelle le sens de la citoyenneté, la démocratie questionne celle de la légitimité du pouvoir dans un pays à majorité musulmane, même quand il est issu des urnes. La pratique des pèlerinages sur les tombes des saints ou des ancêtres par les dirigeants politiques élus du pays est à cet égard significative d’une certaine récupération politique, qui en réalité a commencé depuis Ahmed Sukarno visitant celui de Sri Adi Jayabaya auteur des prophéties dont il verrait la réalisation, et s’est poursuivie avec Gus Dur (le président  Abderrahmane Wahid ) visitant les tombes de ses ascendants du Nahdat Al Ulama, puis par la présidente Megawati visitant celle de son père, Bung Sukarno.

Le culte voué aux morts possède toujours une signification politique dépassant le cadre des frontières d’un seul pays. Ainsi lorsque le président Béji Caïd Essebsi ou Kaïs Saïed vont s’incliner sur la tombe de Bourguiba, c’est aussi pour en récupérer la légitimité, contre des mouvements politiques qui la nient, ou qui la leur contestent.

Mais tous les compromis avec ce monde ou l’au-delà ne suffisent toujours pas à expliquer après l’éclatement de la Yougoslavie et de l’URSS, la pérennité de l’Etat Indonésien, et mis à part le rôle central de l’islam plus ou moins accommodé au vieux fond hindou bouddhiste et animiste, tolérant en dépit de l’irruption de mouvements salafistes et jihadistes, c’est son caractère particulièrement accommodant avec les grandes multinationales occidentales au prix d’un désastre écologique de dimension mondiale, ainsi que sa situation stratégique en Asie du Sud-Est face à l’hégémonie chinoise, qui plus que tout, maintiennent la cohésion du pays et en assurent la permanence, face aux velléités sécessionnistes parfois encouragées en sous main par l’Australie.

* Médecin de pratique libre.

«The Politics of the Periphery in Indonesia: Social and Geographical Perspectives», de John H. Walker, Glenn Banks et Minako Sakai, National University of Singapore Press, janvier 2009, 360 pages.

Articles du même auteur dans Kapitalis :

«South East Asia»: La quête de l’autonomie, entre Chine et Etats-Unis

«Flight of the Eagle» : L’Amérique et le supplice de Tantale

«Blood and Faith» : La normalisation de l’épuration ethnique en Europe

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!