Tunisie : Laissons la commission Belaid travailler et jugeons-la ensuite !

Les personnalités invitées aux réunions de la Commission consultative nationale pour la nouvelle république doivent prendre leur mal en patience et savoir s’accommoder un tant soit peu du caractère parfois revêche du doyen Sadok Belaid, président de la commission, et de sa méthode de travail rigoureuse…

Par Raouf Chatty *

Le président de la république Kaïs Saïed connaît très bien, et depuis longtemps, l’ancien doyen de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Il a été son élève en 1978 et par la suite son collègue. Il sait qu’il est rigoureux, méthodique, franc, direct et au caractère entier, et que personne, même parmi ses collègues enseignants, ne lui venait en tête de contester la valeur scientifique, l’honnêteté intellectuelle et l’intégrité morale.

Ces qualités, et notamment la crédibilité, ont certainement joué beaucoup dans la décision du président de faire entièrement confiance au doyen Belaid pour mener à bon port cette entreprise délicate de présider la commission chargée de rédiger un projet de constitution, qui plus est, dans une ambiance politique très tendue.

Un homme intraitable sur les principes et les valeurs

Le doyen Belaid semble vouloir rester fidèle à sa réputation d’homme fort et intraitable sur les principes et les valeurs de la république, notamment la liberté, l’indépendance et l’égalité devant le droit. Là où il passe, il tire à boulets rouges sur le parti islamiste Ennahdha et ses alliés, qui ont dirigé la Tunisie entre 2011 et 2021, dévoyé ces principes et ces valeurs et conduit, ce faisant, le pays au bord du gouffre.

Sur les plateaux de télévision, dans les studios des radios et même lors de l’ouverture avant-hier des travaux de la Commission nationale, il a démontré, à tous les participants au dialogue national, qu’il reste égal à lui-même et qu’il va conserver son indépendance d’esprit, ses méthodes de travail rigoureuses et son dévouement à la défense des intérêts supérieurs de la nation.

En effet, le doyen Belaid a, en quelques mots, dressé aux participants le cadre de leur travail et leur mission, leur donnant quelques 72 heures pour formuler, par écrit, leurs visions et recommandations pour la Tunisie durant les quatre prochaines décennies et la manière de les traduire de la manière la plus simple et la plus pertinente dans les dispositions de la nouvelle constitution.

Si le doyen Belaid a choisi de continuer dans la voie qu’il effectionne le plus, c’est pour avoir de l’ascendant sur ses interlocuteurs, qui sont loin d’être faciles à manier, et éviter de perdre encore du temps en discussions byzantines et délibérations stériles, qui ont fait perdre à la Tunisie, durant la décennie écoulée, des ressources précieuses énergie, en temps et en argent et l’ont carrément essoufflée, avec au final un bilan calamiteux dans tous les domaines.

Evitons les écueils des polémiques identitaires !

L’objectif du doyen est d’aboutir à des conclusions consensuelles, convaincantes et pratiques. Aux participants de savoir rester positifs pour épargner au pays les écueils des polémiques identitaires imposées par le parti islamiste où il a réussi à entraîner alliés et adversaires, inscrivant ce débat stérilisant dans le texte même de la constitution de janvier 2014.

Le doyen Belaid cherche visiblement à aboutir à un projet de constitution fidèle à la vocation éternelle de la Tunisie et à l’âme de son peuple, progressiste et ouvert, une loi fondamentale instaurant une craie démocratie pluraliste, garantissant la souveraineté du peuple, une séparation, équilibrée et équitable, des pouvoirs, un respect scrupuleux des libertés individuelles, la primauté de l’Etat de droit à travers des institutions pérennes, et la consécration des règles du développement économique et social.

Le fait que le doyen Belaid sache qu’il va travailler dans un environnement politique compliqué sur fond de querelles partisanes et idéologiques, opposant le président de la république au parti islamiste et ses alliés, chassés du pouvoir à la faveur des protestations populaires du 25 juillet 2021, lui donne davantage de punch et de détermination pour aboutir aux objectifs fixés.

C’est là une occasion en or à ne pas rater. Notre pays n’ayant plus aucune excuse pour ne pas se doter d’une constitution, la 3e depuis 1957, qui soit équilibrée, efficace, capable de stabiliser les institutions et de mettre à nouveau la Tunisie sur les rails du progrès.

Nous pourrions faire en quelques semaines ce qui n’a malheureusement pas pu être réalisé en plusieurs années par l’Assemblée nationale constituante (ANC) de triste mémoire. Mais il nous faut beaucoup de bon sens, de sagesse et d’altruisme, pour abandonner définitivement les postures destructrices fondées sur le corporatisme, la partitocratie, les intérêts particuliers et la mentalité du «Moi ou le chaos»!

* Ancien ambassadeur.

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