Tunisie : Souriez, vous êtes à l’aéroport de Tunis-Carthage !

Cinquante ans déjà, presque jour pour jour! L’été 1972, Bourguiba dotait la Tunisie de l’aéroport le plus moderne en Afrique et dans le monde arabe. Une décision pleinement étudiée, venant juste après la crise de 1968 (chute et procès de Ben Salah), et quasiment en même temps que l’ouverture de la Tunisie vers une économie exportatrice, innovante, compétitive, propulsée par les services du tertiaire, avec un secteur touristique à la fine pointe. Cinquante ans après, cet aéroport s’est consumé, n’a plus aucune allure, n’ayant pas bougé d’un iota! Celui qui n’avance pas recule! En Tunisie, il périclite, et sur tous les plans! Le trafic aérien s’est multiplié par 20, et les infrastructures n’ont pas suivi.

Par Moktar Lamari *

Cet aéroport dit international est désuet, en ruine; il est une honte pour la Tunisie! Il ne peut plus assurer, tant les services sont médiocres, lamentables et les parties prenantes qui se sont installées sont infestées par la corruption, l’incompétence et le manque de civilité.

Tous ceux qui passent par cet aéroport sont tristes de voir la médiocrité des services, l’irrespect des voyageurs et l’omniprésence des passe-droits. Mécontent et amer, pas pour rien!

Chronique amère d’un retour chaotique au pays

Voici les faits, rien que les faits:

1- On vient d’atterrir, après quasiment 36 heures de voyage, 4 aéroports et deux nuits blanches quasiment. A la sortie de l’avion, on file dans le couloir, et déjà des tapis roulants en panne. Il faut faire avec!

On doit faire les formalités de la police-frontière et remplir au stylo un bout de papier blanc d’une autre époque qui en dit long sur l’état de la digitalisation en Tunisie. Il faut arriver au service de police-frontière, et pour ce faire, il faut passer dans un espace contigu (conçu pour 300 personnes) et où aujourd’hui 2000 personnes sont entassées, comme dans une boîte de sardines… sans climatiseurs, sans sorties de secours, on se colle les uns aux autres et surtout tant pis pour les femmes enceintes, les vieux, les enfants, les handicapés (une seule chaise roulante) et on passe 4-5 heures dans cette situation horrible et révoltante. On retrouve l’état animal, reflexe écurie et bétails, et ce, en 2022, 11 ans après la Révolte du Printemps arabe.

Il y a cinquante ans.

Certains policiers fument dans cet espace exigu, relax, on marque ses heures, et on se comporte comme dans une maison d’arrêt pour délinquants. Une sorte de descente en enfer, un bisutage policier, pour tout accepter après… au bled!

Bonjour l’accueil, bienvenue en Tunisie, terre d’accueil. Mon oeil!

2- On est livrés à nous mêmes, pas d’eau, pas d’internet, t’es observé par des policiers aux aguets, souri t’es en Tunisie post 2011. Merci la démocratie, merci les 540 ministres et 12 gouvernements qui ne voient pas cela… Eux, ils passent ailleurs, les saloons et autres traitements pour lobbyistes, et ripoux de tout genre, payés par les taxes des contribuables tunisiens.

Pour l’Internet, tu vois le réseau sur ta tablette… mais tu peux attendre, tu ne peux pas y accéder, sa technologie date d’une autre époque et sa gestion est faite par les fonctionnaires… garde ton sang froid, tu es filmé.

Ma voisine dans la file, une jeune maman, 24-26 ans, seule avec un bébé allaité dans les bras, et deux sacs sur les épaules, ses larmes se mêlent à sa sueur et à son maquillage, et personne ne vient à son secours… les voyageurs dans la file s’en foutent comme de l’an quarante, les softs skills on ne reconnaît pas dans cette terre d’islam…

J ai pris en charge les deux sacs de cette jeune dame et avec mes deux sacs, moi aussi j’ai commencé à avoir besoin d’aide… je ne suis pas né de la dernière pluie! J’ai trainé les 4 sacs, … personne, personne ne bouge son petit doigt… Une autre planète, un autre écosystème… C’est la Tunisie en grandeur nature.

3 – J’arrive enfin, au bout de 4 heures, à rejoindre le policier de service, qui contrôle les passeports, je dis bonjour, pas de réponse, constatant mon passeport étranger, il réplique, c’est quoi le nom de ta mère!Je lui réponds qu’elle est décédée, et on la laisse tranquille… Il n’a pas aimé! Et pour se venger, il me fait attendre, alors qu’une collègue à lui, lui ramenait (comme si je n’existe pas) des passeports de personnes ayant des connaissances et des connivences au sein du personnel de l’aéroport, et qu’on passe ainsi avant les autres par le couloir des pilotes et stewards… Les chaussures et chlaka de ces amis des amis en disent long sur le trafic et passe-passe.

Ma tension artérielle monte et je prends illico presto ma gélule dédiée (heureusement que j’ai gardé la bouteille d’eau de Lufthansa), gélules que je n’ai pas prises depuis deux jours, étant en voyage, avec une nuit pour traverser l’Atlantique, et une nuit d’hôtel à Frankfurt, vol reporté.

Enfin, la clémence du policier arriva, me voyant dans un état second! Et je passe…

Une autre étape faite dans ce parcours du combattant, moi l´amoureux du pays, qui laisse à moi seul (sans compter la famille) plus de 15 000 $ pour venir dans son bled… juste pour trois semaines.

On quitte la zone des bagages cinq heures après l’atterrissage

4- Je passe par un autre filtre et un autre scanner, et je tente de retrouver mon sourire forcé, derrière ma barbe blanche, qui n’impressionne personne. Tu peux crever…go!

Arrivé aux bagages, on nous indique que ceux qui arrivent de Frankfurt (escale pour ceux qui viennent du Canada et des Etats-Unis), leurs bagages sont sur le carrousel 5. On s’y rend et on attend, presque 60 mn, rien n’arrive, quand soudain une dame, Sfaxienne à son accent, que j’ai croisée au salon de l’aéroport de Frankfurt, me dit : «Au fait, vos bagages sont le carrousel 3». Je demande aux agents de Tunisair si c’est vrai, ils me répondent qu’ils ne savent pas… sans consulter leurs tablettes ou leurs partenaires…

Ce n’est pas le moment de chialer, on va vers le nouveau carrousel, adoptant, dès ce moment, l’information par les réseaux informels, à la Tunisienne, téléphone arabe en plein…

L’informatrice avait raison, va savoir d’où viennent ses sources. Et la nouvelle se répand, tous en pas de charge vers le carrousel 3. Je trouve ma valise verte, mais pas la jaune, ni la bleue… Ma fille qui, arrivant du Canada par Paris, était déjà dans l’aéroport depuis 4 heures du matin. Elle implore l’agent de police qui contrôle l’entrée pour les personnes qui n’ont pas eu leurs bagages, lui disant : «Mon père a des problèmes de santé (me connaissant hypertendu, et amer), mon père a besoin de moi pour l’aider!» Alice me tape sur l’épaule, elle était flanquée d’un policier… «Calme papa, je vais régler cela…»

Bref, file d’attente pour déclarer les bagages perdus, tous les cadeaux dedans, et les fringues de ma conjointe qui arrivera cinq jours plus tard. Et dans cette file de déclaration de retard et de vol de bagages, tout le monde est sur les nerfs. On marche sur le carrousel pour resquiller et ne pas faire la queue. Et dire que ce monde est mature pour bien voter et bien décider, le cas échéant!… Déclaration faite, j’ai le papier attestant mes pertes.

On quitte la zone des bagages, cinq heures après l’atterrissage. Je suis en voyage depuis plus de 36 heures. Malgré cela, un douanier trois étoiles m’interpelle poliment, d’où venez vous, je replique du Canada, que faites vous dans la vie, je réponds professeur universitaire et j’ai perdu deux valises… il me dit : «Hamdoubla asslama !». La «salama» est la seule consolation, signifiant estime-toi heureux, t’es encore en santé, en vie! C’est tout dire déjà…

5- On sort de la zone sécurisée et je me dirige vers les agences de location de voiture… et là, un autre souk… une autre mafia qui contrôle le prix, un autre cartel, je m’en sors avec une voiture valant en état neuf, 11 000$ au Canada, et je la loue pour 3 semaines, tenez vous bien, presque 3 400 dinars (une autre agence demandait 9 800 dinars pour les 3 semaines). La concurrence, on ne connaît pas, c’est un truc de «kouffar», elle n’est pas passée en terre d’islam, on s’en balance des fondamentaux de la théorie des prix… C’est l’Aid El-Kebir, la fête sacrée des musulmans. Je paie, je traîne mon chariot, ma fille crispée ne comprenant pas l’arabe… et je voulais la rassurer en arrondissant les angles; je ne veux pas qu’elle me dise «Non papa, on n’ira plus chez ces rapaces de l’aéroport de Tunis-Cartage. On ira en Italie, à Montpellier, aux Etats-Unis, c’est du monde qui respecte le monde…» Je voulais éviter cela… et transmettre le lien avec la Tunisie des ancêtres…

Morale de l’histoire, la Tunisie n’est plus ce qu’elle était. Au lieu d’être la terre d’accueil d’antan, elle est devenue tout autre, méconnaissable pour les gens de mon âge…

Bourguiba doit se retourner dans sa tombe. Je prends une pause, le temps de siroter un thé, avec ma fille, et on file de nuit vers Midoun, à Djerba la douce…

Content malgré tout, j’allume la radio, on entend Kaïs Saïed, le président en personne faire un discours, pour annoncer qu’il révise la constitution, qu’il avait écrite lui-même la semaine précédente… Le souk est aussi constitutionnel, la mal gouvernance est omniprésente, tous bricolent, rafistolent à leur volonté. Bref, le président déblatère un discours à des années lumière de l’économie réelle et du bien-être collectif… de ceux et celles qui comme moi, pris dans les mauvais services publics de tous les jours.

Pauvre Tunisie! Vivement que ça change, pour de bon!

* Universitaire, Canada.

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