Heureusement qu’il y a le président algérien Abdelmadjid Tebboune avec lequel le président Kaïs Saïed entretient d’excellentes relations d’amitié et de bon voisinage, sinon qu’en sera-t-il advenu de la diplomatie tunisienne qui ne brille actuellement pas par son rayonnement sur les plans aussi bien régional qu’international ?
Par Ridha Kefi
Ainsi, quelques jours après avoir effectué une visite à Alger, le président Saïed, a eu, mercredi 20 juillet 2022, un entretien téléphonique avec le président Tebboune.
Selon le communiqué de Carthage publié à l’issue de l’entretien, le président Saïed a saisi l’occasion pour faire part de ses sincères et vifs remerciements ainsi que de sa gratitude profonde suite à l’envoi d’avions et de camions de pompiers pour épauler les efforts de la Tunisie visant à maîtriser l’incendie qui s’est déclaré au Mont Boukornine dans la banlieue sud de Tunis.
Tunis-Alger : le bon en attendant le mieux
Selon la même source, l’échange téléphonique a été l’occasion pour mettre l’accent sur les relations privilégiées liant les deux pays et peuples et la célérité de l’envoi et du déploiement de ces équipements, «ce qui constitue à nouveau un témoin saisissant des solides relations de fraternité liant la Tunisie et l’Algérie».
Tout cela est, bien sûr, louable, car dans un Maghreb divisé et où les tensions politiques ne manquent pas, toute initiative visant à maintenir de bonnes relations entre la Tunisie et l’Algérie, tandem qui constitue le cœur de ce Maghreb, est bonne à prendre. Quoique les relations bilatérales entre Alger et Tunis, malgré les discours officiels soporifiques et lénifiants, restent très faibles et très en-deçà des capacités des deux pays et, surtout, des aspirations des deux peuples.
Si, on parlait moins et on faisait plus sur la voie de l’intégration économique et sociale, la situation des deux pays et des peuples n’en serait que meilleure. Mais allez raconter cela aux dirigeants des deux pays dont l’amitié et la fraternité resteront de simples postures trompeuses si elles ne sont pas traduites, en faits chiffrés, sonnants et trébuchants, dont les deux peuples tireraient un minimum de bénéfices.
Bien sûr, la Tunisie doit continuer à entretenir de bonnes relations avec Alger, et le bon est toujours bon à prendre en attendant le mieux, mais pour un pays comme la Tunisie, qui traverse une grave crise, à la fois politique, économique et sociale, réduire la diplomatie à un tête-à-tête avec l’Algérie, est tout de même peu rassurant quand aux perspectives de sortie de ladite crise.
Droit comme un clou et fermé comme un coffre fort
Au moment où les chefs d’Etat du monde entier échangent des visites continuelles, se concertent quasi-quotidiennement et cherchent à aplanir les difficultés auxquels leurs pays respectifs font face, en raison, notamment, des retombées catastrophiques de la guerre russo-ukrainienne, force est de constater que le président Saïed reste étrangement confiné à la maison et ses contacts diplomatiques se résument aux rares audiences qu’il accorde de temps en temps aux envoyés spéciaux des pays étrangers et des organisations internationales.
Pas de voyages à l’étranger, sauf peut-être pour présenter des condoléances à l’une des monarchies du Golfe pour la perte de l’un de ses membres. Pas de présence notable aux conférences régionales ou internationales. Pas, non plus, d’entretiens avec les grands médias internationaux.
Quand vous faites tout pour vous faire oublier, il est tout à fait normal qu’on finisse par vous oublier, d’autant que le style revêche, directorial et peu porté sur la communication humaine de M. Saïed, droit comme un clou et fermé comme un coffre fort, n’incite ni les chefs d’Etat ni les journalistes à chercher sa compagnie. Et pour cause : à son contact, on ne risque pas d’entendre un bon mot ou de rire d’une anecdote. Au pire : on peut se faire sermonner comme un élève qui a rendu une mauvaise copie.
Or, un chef d’Etat doit savoir communiquer, car la communication pèse d’au moins la moitié dans ses capacités de persuasion. S’il n’en avait pas apprise les techniques avant d’accéder au pouvoir suprême, il n’est jamais trop tard pour en faire l’apprentissage, car ce bagage est précieux et on ne peut s’en passer longtemps sans que cela se ressente sur votre rendement et votre bilan global.
Peut-on se refaire à soixante ans passés ?, me demandera-t-on. Certes, l’exercice est difficile, mais, comme on dit, la fonction crée l’organe. Et il n’y a pas d’âge pour apprendre à bien faire, surtout quand on a en main les destinées de douze millions de se compatriotes.
La preuve par Bourguiba et Caïd Essebsi
Pour illustrer mes propos, je terminerai par deux anecdotes qui m’ont été racontées par d’anciens ministres.
La première concerne Habib Bourguiba qui, avant de rencontrer une personnalité internationale, s’informait beaucoup sur son hôte et passait des heures et des heures à répéter des phrases et à essayer des formules, comme un comédien en répétition générale et qui fait tout pour ne pas rater sa première. Il les essayait d’ailleurs avec ses ministres et ses proches collaborateurs.
La seconde concerne Béji Caïd Essebsi qui m’avait raconté la première anecdote. Après sa nomination comme ministre des Affaires étrangères, ce dernier a réuni son staff pour leur dire : «En vérité, je ne connais rien à la diplomatie. Ce sera nouveau pour moi. Je compte sur vous pour m’apprendre mon métier de ministre des Affaires étrangères».
Il était pourtant directeur de cabinet de Bourguiba et n’était donc pas totalement bleu en la matière, mais en se montrant humble et ouvert, il a mis en confiance tout son staff qui a rivalisé de dévouement à son égard. Le résultat n’a pas tardé…
Bref, on ne s’autoproclame pas chef suprême, on le devient par le mérite et la reconnaissance des autres, et d’abord de ses pairs…
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