Dans le Top 1000 universités au monde, aucune tunisienne!

Le très attendu et le plus prestigieux classement annuel des universités à l’échelle planétaire est sorti cette semaine. Le Shanghai Ranking 2022 présente le Top 1000 des universités les plus performantes au monde. Dans ce palmarès, aucune n’est tunisienne. Gravissime…

Par Moktar Lamari *

Pourtant, dans ce classement multicritères, on trouve l’Egypte (avec 7 universités), l’Arabie Saoudite (5) le Liban (1) la Jordanie (1), le Qatar (1) Oman (1) et les Emirats (1), et plusieurs pays africains.

Israël, avec toujours plus des publications scientifiques avant-gardistes et de brevets, fait mieux que l’ensemble des pays arabo-musulmans réunis.

Dans ce classement, on retrouve l’Iran et la Turquie, avec aussi un effectif respectable d’universités performantes (une quinzaine au total).

Le décrochage de la Tunisie est patent!

Très inquiétant ! La décennie noire (post-2011) a malmené le système universitaire tunisien. Les 12 gouvernements successifs ont investi plus dans les mosquées et dans le recrutement des imams et des fonctionnaires fantômes, négligeant la formation du capital humain, l’accumulation du savoir et l’investissement dans la recherche-développement et les technologies.

Des politiques publiques qui ont totalement tourné le dos à l’éducation et à la recherche scientifique (appliquée et fondamentale). Les montants alloués (4% du PIB) ne sont plus suffisants, face à des besoins de financements et des coûts de production de la recherche (risquée) qui montent en flèche.

En Tunisie, le système universitaire est dans un piteux état. Les intrants mobilisés par l’Etat pour ce système se sont atrophiés, avec les dévaluations successives du dinar, les déficits budgétaires, et surtout une mal-gouvernance pathétique !

Aujourd’hui, et parce que je donne plusieurs formations empiriques par an en Tunisie, je constate la déchéance et l’ampleur des dégâts. Les laboratoires universitaires sont désertés (sans vie), les logiciels sont majoritairement piratés, le matériel informatique caduque et d’un autre temps. Les laboratoires sont délabrés, ils manquent de tout, sans données empiriques et sans expérimentations, sans formations préalables à la recherche et à la publication. Les chercheurs n’ont pas accès aux bases de données et de revues universitaires les plus citées. Désolant…

Il n’en fallait pas plus pour faire fondre les extrants du système universitaire : publications, brevets, excellence, citations, facteur d’impact, prix d’excellence, innovations, startups, entrepreneurs formés…

Les mandarins se reproduisent entre eux !

Les universitaires méritants et prolifiques en recherche ont voté par les pieds; la Tunisie se vide progressivement de ses élites, scientifiques et penseurs mondialement recherchés. Les plus ambitieux sont partis chercher ailleurs de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail (recherche, formation, moyens, etc.). Ils sont partout dans le monde, une diaspora qui doit venir en aide à leur université d’origine… et à leur terre natale.

L’État tunisien laisse faire la déchéance. Et collectivement les universités tunisiennes sombrent dans la médiocrité, se mutilent progressivement et se saignent de jour en jour. Les meilleurs étudiant(e)s partent parfaire leurs études doctorales et postdoctorales en Europe et en Amérique du Nord. La quasi-totalité de cette relève ne revient plus!

Quand la puissance est synonyme d’excellence.

Le système universitaire tunisien s’amoncelle lentement, mais sûrement !

Une sélection adverse est à l’œuvre, les meilleurs universitaires, surtout ceux formés en Occident, quittent le bateau et claquent la porte pour aller enseigner dans les pays du pétrodollar.

D’autres, formés localement, profitent du vide, pour niveler par le bas et démanteler les règles de financement et d’avancement au mérite.

La bureaucratie gouvernementale et les mandarins de la science font le reste, avec la complicité des syndicats et les universitaires affiliés aux partis. Des universitaires à la recherche d’avancement injustifiable, à la conquête de compléments de salaires (et de privilèges), par des postes de conseillers politiques (des postes bidons), ou par des jetons de présence dans des conseils d’administration formés par le jeu des accointances et des alliances politiques.

L’arbre se juge à ses fruits!

Dommage pour les enfants et le capital humain de la Tunisie. Dommage pour les investissements majeurs et les décisions historiques prises par Bourguiba, Ben Salah… en matière d’édification d’un système universitaire compétitif et d’un système d’innovation avant-gardiste.

Vivement un bilan de la décennie post-2011, vivement une évaluation des déterminants de cette débâcle!

Le verdict du Ranking de Shanghai vient confirmer les conclusions négatives émises dans le dernier rapport de l’OCDE au sujet du système éducatif et universitaire tunisien (hiver 2022).

Ce rapport, qui est passé sous silence par les médias, dénonce des diplômes bidouillés, gonflés artificiellement et des diplômés qui manquent en moyenne trois années de formation pour retrouver les compétences/connaissances moyennes obtenues dans les pays de l’OCDE. Le rapport dénonce le manque de moyens et l’indifférence des partis politiques ayant gouverné le pays depuis 2011. Il décrie le manque des soft skills dans les cursus universitaires en Tunisie.

Les enfants des plus nantis et les décideurs politiques font leurs études au Canada, en France et ailleurs dans le monde. Les autres fréquentent les universités locales, et beaucoup d’entre eux finissent en chômeur de longue durée.

Se comparer pour se mesurer

Les carences observées dans le système éducatif et universitaire se sont multipliées, et on ne peut même pas les chiffrer correctement. La Tunisie a, depuis 2016, arrêté de participer aux évaluations des apprentissages diligentées par Pisa (un système OCDE), sur une base périodique et comparative. La mal-gouvernance n’est pas compatible avec les indicateurs et les métriques évaluatives.

Ce ne sera pas inutile de vérifier son rang dans la compétition mondiale que se livrent les établissements d’enseignement supérieur.

Les Etats-Unis continuent de largement dominer le classement de Shanghai, en plaçant 39 universités parmi les 100 premières et occupant les trois premiers rangs avec Harvard, Stanford et le MIT.

Derrière, la Chine monte en puissance avec 9 institutions dans le Top 100 (7 l’an dernier), devançant désormais la Grande-Bretagne (qui voit Cambridge passer de la 3e à la 4e place. Suivent derrière l’Australie (7 dans le Top 100) et le Canada (5 contre 4 en 2021). L’Allemagne se situe au même niveau que la France (4), mais son premier établissement n’arrive que 56e.

C’est dans ces campus de l’excellence que se forment les meilleures élites, s’édifient les innovations les technologies de l’avenir, c’est dans ces campus que se joue la compétition économique des mois et années à venir.

Agir pour moderniser le système universitaire

Des centaines de professeurs universitaires tunisiens opèrent à l’étranger comme expatriés, et excellent dans leur recherche.

Ceux-ci, formés aux frais des contribuables tunisiens, doivent aider le système universitaire de leur pays natal, en offrant des formations, en faisant du bénévolat et en invitant des post-docs tunisiens pour des séjours scientifiques dans leurs laboratoires de recherche ou universités.

Un système de partenariat doit être élaboré, sur une base transparente, productive et surtout volontaire (non bureaucratisée). Et cela ne coûtera pas cher aux payeurs de taxes.

Pour publier, l’anglais doit être privilégié et valorisé dans le système universitaire tunisien. Les revues scientifiques, les logiciels, et la science de manière générale fonctionnent en anglais. La Tunisie doit s’ajuster et mettre ses pendules à l’heure.

Pratiquement 95% des articles scientifiques cités sont publiés en anglais. Les publications en langues française, mandarin ou arabe constituent des epsilons dans un marché de la science de plus en plus globalisé.

Dramatique pour la Tunisie, très souvent, il faut attendre des livres et des articles traduits par des Français (de l’anglais) pour que les chercheurs tunisiens les utilisent en seconde et troisième mains. Et cela peut prendre 5 à 10 ans. Entre-temps, le savoir a évolué, et l’imitation ne permet pas de l’avancement radical des connaissances et donc de la publication à haute valeur ajoutée.

La caravane de la science est déjà passée, loin devant… Les suiveurs et les imitateurs ne peuvent pas rattraper le retard, et espérer faire la différence par des publications synchronisées avec ce que se fait dans les meilleures universités américaines.

Un grand nombre d’universitaires médiatisés par les plateaux de TV tunisiennes n’ont jamais publié un seul article scientifique (évalué par les pairs et à l’aveugle), ou n’ont jamais suivi une seule formation de mise à niveau, depuis qu’ils ont soutenu leur thèse de maîtrise ou de doctorat… il y a 15, 20, 30 ans. Et cela ne rend pas service à la science et aux universités, ces incubateurs de talents et de compétences. Inimaginable ailleurs dans le monde.

Le gouvernement Bouden doit assumer ses responsabilités, et venir au secours du système universitaire national, qui bat de l’aile et de plus en plus.

Dr Bouden est une universitaire (Ph.D) et le président Kaïs Saïed a été aussi universitaire. Lui aussi a été mal pris par la vague du nivellement par le bas, n’ayant pas soutenu son doctorat, jamais publié dans une revue scientifique reconnue par les pairs, au terme de plus de 34 ans de carrière au titre d’assistant universitaire… Il faut le faire!

Les parents et les payeurs de taxes insistent pour procurer à leurs enfants des formations qualifiantes, des universités et des professeurs universitaires dignes de ce nom. Les universités et les universitaires méritent plus de moyens, plus de reconnaissance et plus de financement au mérite (par projet et non par accointance).

Les universités tunisiennes doivent faire avancer les connaissances utiles à la croissance économique et à la productivité globale. Les universitaires tunisiens doivent aussi sortir de leur tour d’Ivoire et se regarder en face, dans les classements de la performance (publications, citations, facteur d’impact, etc.).

Il n’est jamais trop tard pour bien faire…

* Universitaire au Canada.

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