Les récentes déclarations du président algérien Abdelmadjid Tebboune sur la Tunisien faites dans une interview accordée aux médias locaux et diffusée le jeudi 22 décembre 2022 par la télévision d’Etat algérienne, ne sont pas les premières du genre, mais leur timing et leur contenu suscitent quelques légitimes interrogations.
Par Ridha Kefi
D’abord, admettons que ces déclarations n’ont pas dérogé aux mœurs diplomatiques et se caractérisent par la réserve et la pondération requises dans ce genre d’exercice périlleux, lorsqu’un chef d’Etat parle d’un pays étranger, qui plus est voisin.
Le président algérien répondait certes aux questions des journalistes, mais on peut deviner que les questions étaient convenues d’avance, d’autant qu’il s’agit de journalistes maison. On peut deviner aussi que Tebboune ne s’est pas laissé forcer la main en parlant de la Tunisie et qu’en réalité, il a tenu à en parler et à envoyer un message aux Tunisiens, tous les Tunisiens, pouvoir et opposition réunis, à un moment où ils s’inquiètent et s’interrogent sur l’avenir de leur pays, actuellement aux prises avec une crise à la fois politique, économique et sociale, qui laisse présager des lendemains difficiles.
Mais qu’a dit Tebboune et pourquoi l’a-t-il dit dans les termes qu’il l’a dit ?
Qui a parlé d’effondrement ?
«Je ne pense pas que la Tunisie s’effondrera, car elle a une classe politique caractérisée par un esprit patriotique et sait faire des concessions pour empêcher que cela ne se produise», a déclaré le président algérien.
Le terme «effondrement», souvent utilisé par les Tunisiens eux-mêmes lorsqu’ils parlent de leur pays et veulent tirer la sonnette d’alarme sur une situation pleine de tension et d’incertitude et qui ne saurait durer encore plus longtemps, peut paraître choquant dans la bouche du chef d’Etat algérien. Et il a d’ailleurs choqué beaucoup de Tunisiens qui n’ont jamais cru vivre ce moment où la détérioration de la situation dans leur pays inspirerait de telles «inquiétudes» ou de telles «appréhensions» à des chefs d’Etat étrangers.
Mais le fait est là, et il n’est plus permis de persister dans la politique du déni : la Tunisie est dans de mauvais draps, et ses enfants sont tenus de «se bouger» pour lui éviter l’enfer de la dépendance de l’étranger. Et c’est peut-être là le message que le président Tebboune a voulu transmettre avec doigté aux Tunisiens, comme pour leur dire : «Si vous êtes aussi attachés que vous le dites à votre souveraineté nationale, ne laissez pas votre pays tomber sous la coupe d’un quelconque pouvoir étranger!»
Ainsi, et tout en répondant à ceux qui, ces dernières semaines, en Tunisie, ont critiqué l’alignement du président Saïed sur les positions algériennes à propos de nombreuses questions internationales, faisant fi du principe de neutralité ayant toujours caractérisé la diplomatie tunisienne, Tebboune a tenu à souligner dans sa réponse aux journalistes de la Télévision d’Etat algérienne, que «la Tunisie sortira de ses problèmes; alors laissons-la régler ses problèmes par elle-même, et si elle a besoin de nous, nous sommes prêts», tout en insistant, au passage, sur la non-ingérence de son pays dans les affaires intérieures de la Tunisie et sur «le respect de son peuple dans toutes ses composantes.»
Un appel à la raison
Là aussi, le président algérien prend soin de ne pas s’immiscer dans les affaires tunisiennes, et tout en insistant sur le respect qu’il voue à son «frère Kaïs», qu’il qualifie de «personne honnête, cultivée et nationaliste», il n’oublie pas de tendre la main à toutes les «composantes» de la scène tunisienne. D’autant plus que sa trop forte proximité avec Saïed lui est souvent reprochée par les opposants à ce dernier, et qu’un rééquilibrage de ses «amitiés tunisiennes» s’imposait.
Tebboune sait aussi qu’après le camouflet de la suppression du vote de l’accord de prêt à la Tunisie du calendrier du FMI, initialement prévu le 19 décembre, et celui du taux d’abstention record (plus de 90%) aux législatives du 17 décembre, la Tunisie se trouve de nouveau à la croisée des chemins et des changements voire des bouleversements n’y sont pas à écarter, d’autant que l’impasse politique et la crise économique où se trouve actuellement le pays peuvent dégénérer en un grave choc social.
C’est, d’ailleurs, ce scénario catastrophe que l’Algérie redoute le plus, d’autant que ses relations avec le Maroc sont tendus et que ses frontières avec la Libye et les pays sahélo-sahariens restent particulièrement chaudes. D’où cet appel à la raison lancé aux voisins tunisiens.
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