La centrale syndicale a évité jusque-là tout affrontement avec Saïed, réservant souvent ses critiques au gouvernement Bouden, mais le temps des petites phrases est révolu et la gravité de la situation en Tunisie exige un changement radical de position. D’autant plus que le diagnostic est désormais évident : c’est le président de la république qui bloque tout, et rend toute solution difficile.
Par Imed Bahri
C’est l’analyse que semble avoir fait le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, qui est en train de passer à la vitesse supérieure dans le conflit qui oppose désormais la centrale syndicale non pas seulement au gouvernement, qui n’a aucun pouvoir réel de décision, mais au président de la république, qui accapare la totalité des pouvoirs dans le pays, sans rien en faire pour sortir le pays de la crise, persévérant dans son cavalier seul et faisant fi des avertissements et des critiques émanant de toutes les composantes de la société civile : partis, organisations non gouvernementales, hommes d’affaires, magistrats, avocats, journalistes…
C’est ainsi que Taboubi a commencé à lancer des attaques directes contre la gestion catastrophique des affaires publiques par le président Saïed, mais pas seulement : il a commencé à se concerter avec les dirigeants des autres organisations nationales, notamment la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme et le Conseil de l’Ordre des avocats de Tunisie, en vue d’élaborer une initiative nationale susceptible de débloquer la situation politique dans le pays.
Une initiative nationale pour sauver le pays de la banqueroute
Ces premières concertations portent aussi sur les moyens de mettre en place, avec ou sans le président Saïed, un gouvernement de salut national composé de personnalités réputées pour leur probité et leur bonne connaissance des rouages de l’administration publique, et qui aurait pour mission de mettre en place, dans un délai de deux ou trois ans, les réformes nécessaires pour arrêter la descente en enfer des finances publiques et relancer la machine économique grippée depuis 2011.
Ces concertations, qui ont commencé ces derniers jours, vont sans doute s’accélérer et concerner d’autres organisations, notamment celles des patrons, des agriculteurs ou des femmes, ainsi que certains partis qui n’ont pas été associés au pouvoir au cours des dix dernières années et ne sont donc pas responsables de la mauvaise gouvernance ayant mené le pays là où il se trouve aujourd’hui, c’est-à-dire au bord de la cessation de paiement.
Pour marquer clairement ce changement de cap, Noureddine Taboubi a déclaré, hier, mardi 27 décembre 2022, en marge d’un colloque sur les alternatives syndicales, en réponse à une question sur l’initiative de l’UGTT visant à sortir la Tunisie de la crise actuelle : «Les décisions de l’UGTT sont institutionnelles, et comme le stipule l’article premier de son règlement intérieur, elle est une organisation nationale. Par conséquent, elle est concernée par la question nationale autant qu’elle l’est par la question sociale.» Il répondait ainsi à ceux parmi les partisans de Saïed qui critiquent l’organisation en affirmant qu’elle outrepasse son rôle social et cherche à jouer un rôle politique qui n’est pas dans ses missions. «L’initiative est partie de cette grande maison qu’est l’Union et elle est passée par la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme, et les concertations se poursuivent avec d’autres parties», a lancé le leader syndical, sur le ton du défi.
Ces adolescents politiques que Dieu nous a infligés
Poussant un peu le trait, Taboubi a poursuivi en s’adressant au régime en place et à tous ceux qui ont occupé le pouvoir depuis 2011: «Vous êtes des adolescents politiques que Dieu nous a infligés depuis la révolution jusqu’à aujourd’hui, si vous avez lu correctement l’histoire, vous auriez commis moins d’erreurs !»
A ceux qui lui reprochent son volte-face après être passé d’un soutien franc à Saïed à une opposition frontale à ce dernier, le leader syndical a expliqué : «Faisons un brève aperçu chronologique et revenons au tournant du 25 juillet 2021. Le discours de l’Union était clair et j’avais annoncé, dès le 26 juillet, dans une déclaration de presse, que je ne soutiens personne, mais que je soutiens le rêve populaire d’une meilleure patrie. Et aujourd’hui, nous pensons que ce tournant du 25 juillet été lamentablement raté parce que nous n’avons pas su poursuivre un rêve réalisable».
Taboubi estime que Saïed a détourné le mouvement populaire du 25-Juillet, dont les objectifs étaient d’ordre socio-économique, pour tenter de mettre en route son projet politique utopique et délirant de démocratie directe. «Le président Saïed a vu dans le 25-Juillet une occasion irremplaçable pour s’accaparer tous les pouvoirs, se prenant pour le Mahdi attendu», a ajouté Taboubi. Et de poursuivre : «L’organisation syndicale n’a pas attendu aujourd’hui pour dire que l’État et le gouvernement trompent manifestement les gens.»
«Quel genre de gouvernement avons-nous maintenant ? C’est un gouvernement collecteur d’impôts. Il prétend maintenir les subventions des produits de première nécessité pour la majorité des citoyens tout en élargissant la base des contributions fiscales», a déclaré M. Taboubi, tout en démentant ces prétentions que dément du reste le contenu même de la loi de finances 2023. «Nous n’accepterons pas cette situation. Et nous occuperons les rues pour défendre nos choix et l’intérêt du peuple… Ce sont eux (les responsables, Ndlr) qui sont venus dans notre carré social, et qu’ils y soient les bienvenus», a lancé Taboubi, en rappelant le droit de la centrale syndicale de lutter par des moyens légitimes contre ces choix du gouvernement afin de préserver les droits économiques et sociaux de ses membres.
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