Le pèlerinage juif à Djerba : une Tunisie plurielle et réconciliée avec elle-même

Au lieu de jouer sur la fibre nationaliste arabe qui dessert d’abord et surtout les Palestiniens, faisons de la nostalgie de la Tunisie chez de nombreux Israéliens d’origine tunisienne un facteur de réconciliation, de justice et de paix.

Par Elyes Kasri *

Le pèlerinage de la Ghriba, ouvert hier, vendredi 5 mai 2023, à Djerba, est un moment fort pour nos concitoyens de confession juive qui ont quitté la Tunisie à différentes phases de l’histoire moderne en quête d’un mieux-être comme de nombreux Tunisiens musulmans qui ont préféré poursuivre leurs carrière et vie à l’étranger tout en restant nostalgiques de ce je ne sais quoi qui fait la spécificité de notre pays et que ne peut apprécier que celui qui a vécu loin de cette terre bénie.

Ceux qui seraient tentés de refuser à nos concitoyens de confession juive cet amour de la Tunisie commettent à mon avis une injustice vis-à-vis de leurs concitoyens et surtout vis-à-vis de l’histoire et de l’essence même de la Tunisie, terre de rencontre des peuples et des religions et carrefour de nombreuses civilisations.

Le piège de l’instrumentalisation politique

Faut-il rappeler que la religion juive était présente en Tunisie bien avant la conquête islamique et que la Tunisie s’est illustrée par ses hommes de religion comme Mehrez Ibn Khalaf et ses souverains comme Moncef Bey et Habib Bourguiba par leur respect de tous les citoyens tunisiens y compris ceux de confession juive malgré les menaces que faisait peser cette bienveillance envers des citoyens tunisiens qui ne pouvaient être discriminés à cause de leur religion.

Les tentatives de lynchage médiatique et bureaucratique d’historiens tunisiens soucieux de défendre la mémoire de la communauté juive tunisienne afin de préserver l’essence de la Tunisie et un pan de son histoire ne servent certainement pas leur pays contre les velléités de réécriture de l’histoire de la communauté juive tunisienne et de son instrumentalisation à des fins politiques, idéologiques et possiblement économiques.

Je me rappelle d’une conférence organisée vers 1999 à l’université israélienne de Bar Ilan sur l’histoire de la communauté juive tunisienne avec des historiens tunisiens qui ont défendu l’histoire et l’honneur de la Tunisie face aux révisionnistes dont certains caressaient à l’époque le rêve de constituer un dossier sur les biens juifs prétendument spoliés en Tunisie.

On peut ne pas partager toutes les idées et thèses du Doyen Habib Kazdaghli, mais je me permettrai de croire que lui-même et ses collègues ont eu le courage de braver les «rejectionnistes» de tout bord pour sauvegarder l’histoire et des témoignages de ce qu’il y a de plus noble en Tunisie et que nous devons remettre à l’ordre du jour et au sommet de nos principes à savoir le respect de la différence et l’égalité de tous devant l’histoire et la loi.

Avenir harmonieux pour tous

Aimer la Tunisie et en garder la nostalgie est un bien précieux à cultiver et à encourager car la paix viendra tôt ou tard au Moyen Orient non par l’exclusion mutuelle mais probablement faut-il encore l’espérer par le souvenir d’un passé commun qui peut être un gage d’un avenir pacifique et harmonieux pour tous.

Ce témoignage n’est pas celui d’un idéaliste mais d’un diplomate de carrière qui a suivi de près les relations internationales et le processus de paix au Moyen Orient avec toutes ses vicissitudes et déceptions sur plusieurs décennies et se rappelle le rôle discret mais à certaines phases crucial de la Tunisie aux côtés de nos frères Palestiniens notamment pour faire de la nostalgie de la Tunisie chez de nombreux Israéliens d’origine tunisienne un facteur de réconciliation, de justice et de paix.

Le chemin de la paix reste encore long mais la haine aveugle et le rejet systématique de l’autre ne peuvent que le prolonger.

* Ancien ambassadeur.

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