En Tunisie, la vérité pose toujours problème. La preuve c’est que la loi ne punit pas les faux témoignages émanant des accusés pour se défendre devant une cour de justice. Et le domaine médical ne fait pas exception.
Par Dr Mounir Hanablia *
Si la médecine est un art, celui-ci frise parfois le surréalisme. Il est notoire que dans ce pays, il existe un problème avec la narration des faits, et le domaine médical ne fait pas exception.
Ainsi, il y a une trentaine d’années, aux débuts de l’échodoppler cardiaque, certains praticiens, voulant dissuader leurs patients de réaliser cet examen pour des raisons qu’on évitera d’évoquer, prétendaient que le gel utilisé pour assurer le contact entre la sonde d’exploration et la peau du patient était toxique.
Depuis la diffusion des stents, la concurrence a pris une ampleur, parfois impitoyable. D’aucuns ont commencé à affirmer à leurs patients que les prothèses qui leur avaient été implantées étaient de qualité médiocre.
Justification de l’injustifiable
Cela ne doit pas être très agréable d’envisager l’éventualité d’avoir son cœur rapiécé avec de la ferraille, sans possibilité de recours. L’affaire des stents périmés ne l’avait plus tard que trop confirmé. Dans la recherche d’une justification de l’injustifiable, on avait même argué que par la force des choses, les stents implantés devenaient périmés.
Dans la propagande, l’important n’est pas la réalité des faits, mais ce que le public croit. On en revient ainsi à cette phrase attribuée à Joseph Goëbbels mais qui n’est peut-être pas de lui : «Mentez, mentez ! Un mensonge à force d’être répété finit toujours par devenir une vérité.»
Une patiente qui avait bénéficié de l’implantation de stents par un collègue s’est entendue dire quelques années plus tard par un autre collègue que l’un des stents était «brisé», qu’un autre était «tordu», mais que le troisième après tout «ne causerait pas trop de mal».
Qu’un stent se bouche par le biais de la resténose ou l’athérome, sinon la thrombose, cela est rare, mais peut arriver. Mais un stent ne se brise ni ne se tord jamais dans une artère.
Évidemment la dramatisation escomptée a joué son rôle, cela a constitué un argument décisif pour faire subir une autre angioplastie à la patiente, qui à priori ne se plaignait que de maux de tête.
Le silence de la vérité
C’est encore un autre sujet d’intérêt sociologique que de savoir comment un homme issu d’un quartier populaire puisse se considérer comme l’ami de l’éminent médecin opérant dans la clinique toute proche, au point de lui confier sa propre mère; en l’occurrence, le médecin a pris son ami pour un pigeon. Mais tout comme cela se passe en Sicile, les classes exquises doivent pour survivre contrôler la rue, en particulier par les «amis» qu’ils s’y assurent. Les parkings et les buvettes des cliniques en constituent l’illustration la plus vivante. Bien entendu parler de tout cela fait perdre les rares amis qu’on puisse encore posséder.
Dans le monde entier les gens d’une manière générale n’aiment pas qu’on évoque les contorsions auxquelles ils s’estiment obligés de se soumettre pour consolider leur statut économique ou social, en particulier quand il s’agit de milieux scientifiques, ceux qui justement sont censés détenir la vérité la plus haute.
L’important n’est donc pas l’empoignade générale qui fait partie de l’ordre normal des choses, mais le silence qu’elle impose et qui doit être respecté.
La vérité? L’exemple juste est encore la Sicile où ceux qui veulent la connaître sont qualifiés de présomptueux. Il n’en demeure pas moins que, ici en Tunisie, elle nous pose un sérieux problème. La preuve c’est que la loi ne punit pas les faux témoignages émanant des accusés pour se défendre devant une cour de justice.
* Médecin de libre pratique.
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