L’exode des médecins Tunisiens : égoïsme ou héroïsme ?

Derrière le rêve d’une carrière médicale à l’étranger, les médecins tunisiens font face à une foule de contraintes et de défis. Bien que leur salaire soit moins élevé de 66% que celui des stagiaires français, leur choix de partir travailler en France et ailleurs ne se résume pas simplement à une question d’argent. Les multiples obstacles auxquels ils doivent faire face, bien au-delà de la simple rémunération, ouvrent un questionnement sur les véritables motivations qui poussent ces médecins à chercher un avenir professionnel loin de leur pays d’origine. (Illustration : capture d’écran d’une émission d’Arte sur les médecins tunisiens en France).

Par Hssan Briki  

Près de 1000 médecins quittent la Tunisie chaque année pour chercher principalement du travail en Allemagne et en France. Ce chiffre est très alarmant, presque équivalent au nombre de praticiens formés chaque année.

Cette fuite massive est principalement motivée par le désir d’améliorer leurs conditions économiques et sociales, ainsi que les conditions de travail inadaptées en Tunisie, telles que le manque de moyens techniques, l’insécurité des hôpitaux, le harcèlement moral et professionnel.

Absence de perspectives en Tunisie

Cependant, partir ailleurs n’est pas toujours facile, surtout au début. Le facteur déterminant et la raison majeure de cet exode massif, c’est l’absence de perspectives en Tunisie. 

Selon deux reportages réalisés par le média indépendant tunisien Inkyfada et un deuxième réalisé par la chaîne culturelle européenne Arte, les conditions du parcours qui attendent les médecins tunisiens lorsqu’ils partent ailleurs sont très compliquées, difficiles et parfois humiliantes.

En effet, pendant les deux premières années, ils commencent leur carrière avec un salaire assez faible, autour de 900€ par mois, en prenant en considération le pouvoir d’achat dans le nouveau pays. Cela représente environ 60% du Smig et un peu moins de 66% du salaire d’un médecin hospitalier français débutant.

«À travers ce système, on permet aux hôpitaux de fonctionner avec des personnes moins bien payées», affirme Philippe Cart, chef de Pôle au centre hospitalier de Charleville-Mézières et président du syndicat des radiologues hospitaliers, dans une déclaration pour Inkyfada.

«Oh maman, je suis pauvre !»

En plus de cela, les témoignages des médecins tunisiens travaillant en France, tels que celui de Ferdows Abdelhamid, une jeune médecin tunisienne travaillant actuellement à Saint-Denis, en banlieue parisienne, confirment le faible salaire avec lequel ils commencent leur carrière. «Le net à payer par l’hôpital est de 845 euros, c’est quand même un choc d’être payée en-dessous de 1000 euros», dit-elle. Elle ajoute, en plaisantant : «La première fois que j’ai vu ma fiche de paie, j’ai appelé ma mère en lui disant ‘‘Oh maman, je suis pauvre’’»

Les examens d’équivalence constituent un autre obstacle sur leur chemin. Il s’agit d’un véritable concours connu pour sa difficulté. Bien que les Tunisiens détiennent le meilleur taux de succès avec 40%, plus de la moitié échouent à l’examen, ce qui ne marque que le début d’un long parcours.

Le choix préalable des services disponibles est également une autre manière pour la médecine française de s’assurer que les praticiens étrangers iront là où ils sont le plus nécessaires : dans les établissements mal dotés, les déserts médicaux et les zones urbaines les moins attractives pour les Français. Cela est clairement illustré par deux chiffres présentés dans le rapport d’Inkyfada : seulement 6,8% des nouveaux inscrits à l’Ordre ont obtenu leur diplôme en dehors de l’Union Européenne, alors que leur proportion atteint jusqu’à 40% dans certains départements à faible densité médicale, comme l’Aisne ou la Seine-et-Marne.

Les conditions de travail pendant ces deux ans inquiètent également les lauréats, car ils n’ont pas de jours de formation prévus dans leurs statuts de praticien associé, ce qui pourrait les contraindre à les faire pendant leurs congés.

En somme, il est important de s’interroger sur les véritables raisons pour lesquelles ces médecins ont choisi de se lancer dans ce long et fastidieux processus pour exercer et combattre ailleurs, plutôt que de faire des raccourcis en les qualifiant d’égoïstes et de se limiter à une simple question de salaire. Est-ce que, s’il y avait de bonnes perspectives en Tunisie, choisiraient-ils de partir ?

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