À propos des «performances» du tourisme tunisien, le ministre Mohamed Moez Belhassine persiste et signe en annonçant encore une fois de fausses bonnes nouvelles sur un secteur qui continue de péricliter depuis au moins une quinzaine d’années.
Par Imed Bahri
Le 19 septembre 2023, le ministre du Tourisme et de l’Artisanat a annoncé que les recettes touristiques tunisiennes ont atteint 5 400 millions de dinars (MDT) soit l’équivalent de 1 550 millions de dollars, en s’en félicitant comme si c’était une prouesse. Or, c’est loin d’en être une au regard de l’évolution des statistiques du secteur, non pas seulement en comparaison avec celles des destinations concurrentes en Méditerranée, comme le Maroc ou l’Egypte, sans parler de la Turquie ou de la Grèce, désormais inaccessibles pour nous, mais en comparaison avec les chiffres du tourisme tunisien lui-même d’il y a quelques années.
Les 1 550 millions de dollars annoncés par le ministre Belhassine sont nettement inférieurs aux 2 754,2 millions de dollars de 2008, 2 572,9 millions de dollars de 2009, 2 458,8 millions de dollars de 2010, l’année de référence, et toujours inférieurs aux 1 928 millions de dollars réalisés en 2019, avant la pandémie de Covid-19.
Quinze années de marche-arrière
Quand on sait, par ailleurs, que le taux de change du dollar ou de l’euro est passé de 1,230 dinar en 2008 à 3,400 dinars aujourd’hui, on saisit l’ampleur du recul enregistré en termes de recettes touristiques en 15 ans.
Il y a donc eu clairement un net recul du secteur touristique dans notre pays, qui a perdu son leadership régional, et pire que le recul lui-même, que l’on pourrait justifier, tour à tour, par la révolution, le terrorisme ou la pandémie de Covid-19, comme si la Tunisie n’avait pas connu, avant 2011, des crises similaires, comme la guerre contre l’Irak, en 1991 et 2003, les attaques contre le World Trade Center à New York en 2001 ou encore la première attaque contre la synagogue de la Ghriba à Djerba en 2002 *. Lesquels n’ont pas empêché nos opérateurs touristiques de remonter rapidement la pente et de retrouver rapidement leur rythme de croisière.
Que s’est-il passé depuis 2011 pour que ces mêmes opérateurs soient aujourd’hui incapables de comprendre les causes du recul de leur activité et de prendre ensemble et en coordination avec les services de l’Etat les mesures nécessaires pour la relancer ?
Pourquoi acceptent-ils sans broncher les mauvaises décisions de l’Etat qui les font couler eux et leurs entreprises, comme, par exemple, le veto opposé à la libération du ciel national au prétexte de ne pas faire couler Tunisair, la compagnie nationale qui est déjà noyée dans les déficits et dont les chances de reprise sont désormais proches de zéro ?
Des opérateurs repus, las et blasés
Ces chers opérateurs, dont beaucoup ont été rattrapés par l’âge et ont cédé les commandes à leurs rejetons, semblent repus, las et blasés, et laissent faire, comme s’ils ont admis avoir déjà tiré le maximum des générosités de l’Etat, pour eux et pour leurs descendants, et pour plusieurs décennies encore, et qu’ils peuvent aujourd’hui dormir sur un matelas bien plein, quitte à ce que le pays en bave et que les enfants des autres perdent tout espoir et se jettent à la mer pour rejoindre d’autres eldorados ?
On aimerait bien comprendre comment un pays comme la Tunisie qui possède, depuis plus d’une décennie, une capacité d’hébergement d’environ 250 000 lits n’accueille que 6,5 millions de touristes, alors qu’il a la possibilité d’en accueillir, facilement, plus de 20 millions?
Pourquoi notre tourisme est-il resté à caractère foncièrement et presque exclusivement balnéaire et bas de gamme, en dépit de la construction, ces deux dernières décennies, de véritables palaces ?
On aimerait bien que notre ministre nous parle aussi des unités hôtelières qui ont fait faillite ou qui sont actuellement en grande difficulté, et qu’il nous propose surtout un programme de redressement qui s’inscrive dans une stratégie globale de relance du secteur loin des auto-satisfécits soporifiques qui ne trompent ni n’endorment plus personne.
Le devoir d’un ministre n’est-il pas surtout d’identifier les problèmes et de leur apporter des solutions à temps, en anticipant les blocages et en prenant les crises par les cornes ? Et non de crier tout le temps victoire et de s’attribuer de faux succès…
A bon entendeur…
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