C’est l’histoire d’une angioplastie coronaire avec des prises de risques inconsidérées entre un chef de service sur le départ, un sénior détaché qui ne se sent pas concerné, et des résidents en formation à qui on apprend les mauvaises manières.
Par Dr Mounir Hanablia *
Il y a peut-être une certaine obsession du tronc commun de la coronaire gauche chez les angioplasticiens, sans doute une réminiscence de l’époque où il s’agissait d’un sujet tabou qu’il faut avoir vécue pour en comprendre la signification.
En effet, les jeunes angioplasticiens actuels semblent totalement désinhibés sur la question. On a l’impression que pour eux un tronc commun distal, ce n’est rien de plus qu’une lésion de bifurcation. Est-ce pour avoir bénéficié dans le cursus (français) d’une formation poussée en radiologie interventionnelle?
Afin de comparer ce qui est comparable, le tronc commun de la coronaire gauche, c’est un peu le détroit d’Ormuz du trafic pétrolier à destination de l’Asie: 70% du pétrole y transite, et le reste passe par le détroit de Bab El-Mandeb au débouché de la Mer Rouge. Imaginons un moment que la circulation des pétroliers soit gênée dans le détroit d’Ormuz, par un accident ou pour une autre raison. Dans ce cas, le détroit de Bab El-Mandeb acquiert une importance accrue pour l’Asie. Imaginons l’inverse, que le détroit de Bab El-Mandeb soit bloqué; dans ce cas, tout ce qui peut arriver dans le détroit d’Ormuz et qui entravera la libre circulation des pétroliers aura des conséquences fatales pour les pays asiatiques.
Il y a donc des choses qu’on ne pourra pas se permettre dans le détroit d’Ormuz si le détroit de Bab El-Mandeb est impropre à la circulation.
Les Iraniens, qui agissent ces jours-ci par Houthis interposés, l’ont depuis longtemps compris, les Américains et les Israéliens aussi. Mais comme nous ne sommes que des cardiologues ni stratèges ni militaires (sauf quelques-uns), on comprendra que Bab El-Mandeb soit la coronaire droite. Et dans ce cas, s’il y a des risques qu’on puisse se permettre sur un tronc commun gauche, la condition sine qua non en sera une coronaire droite grande, libre, et perméable.
Guerre ouverte à Ormuz avec Bab El-Mandeb bloqué
Il y a quelques jours, j’ai eu en ma possession le compte rendu d’une angioplastie coronaire qui a éveillé mon intérêt parce qu’elle était réalisée sur un tronc commun coronaire gauche avec une coronaire droite négligeable. Autrement dit, il s’agissait d’une guerre ouverte à Ormuz avec Bab El-Mandeb bloqué. La technique utilisée consistait à ouvrir un stent d’un diamètre de 3 mm sur une sténose à cheval entre le tronc commun et son prolongement, l’interventriculaire antérieure, en usant d’une technique appelée POT (Proximal Optimisation Technique).
Le POT consiste à élargir la partie proximale du stent (celle dans le tronc commun) par un ballon à forte pression sans dépasser 0,5 mm du diamètre de la prothèse.
Dans le cas qui nous intéresse, l’anomalie consistait en la taille du ballon utilisé par rapport au calibre du stent : 4,5 mm contre 3 mm. On omettra les trois guides utilisés et l’ouverture de la maille de la circonflexe suivie par l’inflation subséquente dans le stent
Pour résumer, le stent était surdimensionné à 50% par rapport à son calibre usuel, l’exposant au risque de rupture et l’artère à celui de la dissection par l’usage d’inflations à forte pression de 20 atmosphères, tout ceci avec une coronaire droite dominée.
Intrigué, je me suis reporté au nom de l’auteur de la procédure, celui d’un chef de service bien connu qui quelques mois plus tard prendrait sa retraite, et qui n’était pas particulièrement réputé être téméraire, accompagné de celui de deux jeunes résidents, autrement dit des médecins n’ayant pas encore terminé leurs formations de cardiologues.
Des prises de risques inconsidérées
Pour en avoir le cœur net, comme on dit, je me suis enquis de l’identité des auteurs de l’angioplastie auprès du patient, et j’ai eu la surprise d’apprendre que le chef de service en question n’y avait même pas assisté, qu’il avait délégué à sa place un médecin opérant habituellement dans une institution hospitalière située dans une autre ville et qui avait été détaché pour la circonstance après le départ dans le privé du médecin responsable habituel. Donc le médecin sénior délégué avait laissé procéder dans cette situation à risque les deux jeunes médecins en les surveillant à partir du pupitre de commande. Est-ce parce qu’il n’était pas d’accord avec l’indication, qu’il ne voulait pas y être impliqué, et qu’il ne se sentait pas l’autorité nécessaire pour la modifier dans un service où il n’était que provisoirement détaché? En tous cas, son nom n’apparaissait pas dans le rapport de procédure.
Pour conclure le pontage aorto-coronaire chirurgical demeure le gold standard dans la sténose du tronc commun simplement parce qu’il crée une dérivation supplémentaire qui permet au sang de s’écouler. C’est comme si on creusait un canal à travers la pointe de Khasab d’Oman pour court-circuiter le détroit d’Ormuz, perspective qui rend probablement les Iraniens si nerveux ces jours-ci, au risque de provoquer une guerre.
Il est donc étonnant de constater ces prises de risques inconsidérées entre un chef de service sur le départ, un sénior détaché qui ne se sent pas concerné, et des résidents en formation à qui on apprend les mauvaises manières.
Il ne suffit pas de se réjouir qu’il ne soit rien arrivé au patient après ce désastre pédagogique. Il y a là un exemple de ce qu’il ne faille pas faire qu’il faudrait sans aucun doute enseigner aux étudiants.
Malheureusement, dans le système de la bibliométrie prédominant dans le milieu académique, cette procédure est assimilée à un succès, et les travaux se rapportant aux échecs et aux conclusions fatales n’existent, tout comme ailleurs, pas.
* Médecin de libre pratique.
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