Le New York Times a révélé dans son édition du mercredi 27 mars 2024 qu’Israël a mis un place un vaste système de surveillance de masse des Palestiniens à Gaza basé sur la reconnaissance faciale. Un système illégal et dangereux utilisé par les régimes tyranniques pour dominer et soumettre les populations et qui est à l’origine de bavures et d’abus.
Par Imed Bahri
L’enquête de la journaliste Sheera Frenkel ajoute que des efforts expérimentaux jusqu’alors non divulgués sont utilisés dans de vastes opérations de surveillance contre les Palestiniens à Gaza. Elle a évoqué le cas du poète palestinien Mosab Abu Toha qui traversait le 19 novembre un poste de contrôle installé par les forces israéliennes le long de l’autoroute dans le centre de Gaza où on lui a demandé de se mettre de côté, il a posé son fils de 3 ans qu’il portait et s’est assis devant un jeep militaire israélien. Au bout d’une demi-heure, Abu Toha a entendu son nom, puis on lui a bandé les yeux et on l’a emmené pour enquête. Abu Toha, 31 ans, a déclaré: «Je ne savais pas ce qui se passait et comment ils ont soudainement connu mon nom légal complet», confirmant qu’il n’avait aucun lien avec les factions armées et le Hamas et qu’il essayait de partir pour l’Égypte.
Il est apparu plus tard qu’Abou Toha marchait parmi un groupe de caméras équipées d’une technologie de reconnaissance faciale selon trois responsables israéliens qui ont requis l’anonymat. Après avoir scanné son visage et l’avoir identifié, un programme d’intelligence artificielle a découvert que le nom du poète figurait sur la liste des personnes recherchées, ont-ils indiqué. Abu Toha était l’un des centaines de Palestiniens sélectionnés grâce à un programme secret israélien de reconnaissance faciale qui a débuté à Gaza l’année dernière.
Des civils identifiés à tort comme des militants du Hamas
Ce programme expérimental en expansion a été utilisé pour mener des opérations de surveillance approfondies là-bas collectant et cataloguant les visages des Palestiniens à leur insu ou sans leur consentement, affirment les services de renseignement, les responsables militaires et les soldats israéliens.
Les responsables des renseignements israéliens affirment que cette technologie a été initialement utilisée pour rechercher des détenus israéliens capturés par le Hamas le 7 octobre. Parfois, la technologie identifiait à tort les civils comme des militants du Hamas, a déclaré un officier israélien.
Le journal a indiqué que le programme de reconnaissance faciale géré par l’unité de renseignement de l’armée israélienne, y compris l’unité de renseignement électronique en l’occurrence l’Unité 8200, s’appuie sur la technologie fournie par la société privée israélienne Corsight, selon ce que disent quatre responsables du renseignement et ils ont ajouté qu’elle utilise Google Photos. La technologie combinée a permis à Israël de capturer des visages de foules et des images pixellisées prises par des drones.
Trois personnes ont déclaré qu’elles avaient décidé de parler du programme parce qu’elles craignaient de faire perdre du temps aux sources israéliennes. Un porte-parole de l’armée israélienne a refusé de commenter les activités à Gaza mais a ajouté que l’armée «mène les opérations militaires et de renseignement nécessaires tout en essayant de minimiser les dommages causés à la population non participante», ajoutant: «Naturellement, nous ne pouvons pas faire référence aux capacités opérationnelles et sécuritaire dans ce contexte».
Israël utilise de la technologie à des fins de guerre
Le New York Times indique que la technologie de reconnaissance faciale s’est répandue dans le monde entier grâce aux systèmes avancés d’intelligence artificielle. Alors que les pays utilisaient la technologie pour faciliter les voyages, la Chine et la Russie l’utilisaient pour persécuter les minorités et réprimer les opposants. L’auteur de l’article considère qu’Israël utilise de la technologie à des fins de guerre.
Matt Mahmoudi, chercheur à Amnesty International, considère l’utilisation par Israël de la technologie de reconnaissance faciale comme une source de préoccupation car elle pourrait conduire à «une déshumanisation complète des Palestiniens», dans la mesure où ils ne sont pas considérés comme des individus. Il a ajouté que les soldats israéliens ne soupçonneraient probablement pas les technologies qui commettent des erreurs.
Le NYT indique également qu’Israël utilise la technologie de reconnaissance faciale à Jérusalem-Est et en Cisjordanie selon un rapport d’Amnesty publié l’année dernière mais son utilisation à Gaza a été plus large. Et selon l’ONG, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, Israël dispose d’un programme de reconnaissance faciale connu sous le nom de «Blue Wolf».
Aux points de contrôle situés aux entrées des villes de Cisjordanie comme Hébron, les visages des Palestiniens sont scannés avec une caméra haute résolution avant qu’ils ne soient autorisés à franchir les points de contrôle. Les soldats utilisent des applications sur smartphones pour capturer les visages des Palestiniens et les ajouter à la base de données, selon le rapport d’Amnesty.
À Gaza, dont Israël s’est retiré en 2005, il n’existait aucun logiciel de reconnaissance faciale. Au lieu de cela, Israël surveillait les Palestiniens en écoutant les lignes de communication, en interrogeant les prisonniers palestiniens, en collectant des photos de marches, en essayant d’accéder aux comptes de réseaux sociaux et en piratant les systèmes de communication, selon les agents des renseignements israéliens.
Après l’opération Déluge d’Al-Aqsa du 7 octobre 2023, des agents du renseignement ont contacté l’unité 8200 qui mène des opérations de surveillance pour obtenir des informations sur les militants du Hamas qui avaient franchi une brèche dans le mur de séparation. L’unité a passé au peigne fin les images capturées par les caméras de surveillance de sécurité accrochées au mur ainsi que les images vidéo mises en ligne par le Hamas sur les réseaux sociaux selon un officier. Il a déclaré qu’il avait demandé à l’unité de préparer une liste noire des membres du Hamas ayant participé à l’opération. Il a ensuite demandé à Corsight de mettre en place un logiciel de reconnaissance faciale à Gaza, ont indiqué trois responsables des renseignements israéliens.
La société basée à Tel Aviv indique sur son site Internet que la technologie nécessite 50% du visage pour être identifié avec précision. Le président de l’entreprise Robert Watts a déclaré sur son compte LinkedIn que la technologie de reconnaissance faciale peut fonctionner sous «des angles extrêmes (même depuis des drones), dans l’obscurité et avec une qualité médiocre.» L’entreprise israélienne n’a pas répondu à la demande de commentaires du journal.
L’unité 8200 a constaté que la technologie de Corsight ne fonctionnait pas bien lorsque les images étaient pixellisées et que les visages étaient masqués, a déclaré un officier. Lorsque l’armée a tenté d’identifier les corps des Israéliens tués le 7 octobre, la technologie n’a pas réussi dans tous les cas. Il y a eu des erreurs dans l’identification des visages, certaines personnes ayant été identifiées par erreur comme appartenant au Hamas, a mentionné le même officier.
Pour prendre en charge la technologie de Corsight, les officiers israéliens se sont tournés vers Google Photos, un service gratuit de partage de photos et de stockage Google. En utilisant la base de données Google Photos, les agents ont pu utiliser le moteur de recherche pour identifier les personnes. Un porte-parole de Google a déclaré que Google Photos est un produit de consommation gratuit et «ne fournit pas d’identité aux personnes inconnues sur les photos».
Israël a élargi son programme de reconnaissance faciale tout en élargissant sa campagne militaire à Gaza en équipant les soldats qui entraient dans le territoire palestinien de caméras connectées à la technologie et en installant également des points de contrôle avec des caméras sur les routes principales que les Palestiniens utilisent pour fuir les combats tout en scannant les visages de ceux qui les ont traversés.
L’arrestation du poète Mosab Abu Toha était une erreur
Le poète Mosab Abu Toha a écrit sur son expérience dans le magazine The New Yorker avec lequel il collabore. Il a expliqué que sa libération était due à une campagne menée par les journalistes du magazine américain et que durant son arrestation il a subi des interrogatoires et a été torturé. Après sa libération, l’armée lui a dit que son arrestation était une erreur. Au moment de son arrestation, l’armée israélienne a déclaré qu’Abu Toha était détenu pour enquête en raison de «renseignements indiquant des contacts entre un certain nombre de civils et des organisations terroristes dans la bande de Gaza». Un responsable des renseignements israéliens a déclaré qu’une personne de Beit Lahia avait mentionné que le poète Abu Toha, qui vit avec sa famille dans la région, était membre du Hamas. L’officier a déclaré qu’aucune information n’était jointe à son dossier le liant au Hamas.
Aujourd’hui, le poète palestinien a quitté Gaza et vit désormais au Caire avec sa famille. Abu Toha a déclaré au NYT qu’il ignorait au moment de son arrestation l’existence de la technologie de reconnaissance faciale. «Je ne sais pas comment Israël a reconnu ou capturé mon visage», ajoutant, désormais désabusé: «mais Israël nous surveille depuis les airs et depuis des années grâce à leurs drones et ils nous surveillaient pendant que nous entretenions nos jardins, quand nous allions dans les écoles, quand nous embrassions nos femmes et je crains qu’ils me surveillent depuis longtemps.»
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