Tunisie : retour sur le verdict controversé dans l’affaire Chokri Belaïd

Le verdict dans l’affaire Chokri Belaïd, assassiné en février 2013 par des extrémistes religieux affiliés à l’organisation Ansar Charia, classée terroriste en Tunisie depuis juin 2012, a finalement créé plus de problèmes qu’il n’en a résolus.

Par Imed Bahri    

Les problèmes ne concernent pas l’ampleur des sanctions infligées aux prévenus, dont quatre ont été condamnés à mort et deux à la prison à perpétuité, mais le fait que seules les personnes ayant pris part directement à la préparation et à l’exécution du meurtre du dirigeant de gauche ont été sanctionnées et plutôt lourdement. Mais l’opinion publique est restée sur sa faim, car on a tellement parlé au cours des dix dernières années des «commanditaires» du meurtre en en désignant nommément quelques uns parmi les dirigeants du mouvement Ennahdha, qui était au pouvoir au moment du meurtre – à commencer par son président Rached Ghannouchi, aujourd’hui en prison mais pour d’autres affaires -, que les condamnations à mort et autres perpétuités prononcées par le juge ont semblé très en-deçà des «attentes» d’une partie du public, assoiffé de vengeance, et qui exigeait la tête de personnes plus hautement placées.

Où sont passés les «commanditaires»?

Le mouvement Ennahdha, auquel on avait souvent attribué les meurtres et les violences perpétrés par les extrémistes religieux au cours des dix dernières années, a eu raison de réagir aux verdicts prononcés en y voyant la confirmation que ses dirigeants sont innocents du sang de Chokri Belaid, même si ce dernier était, au moment des faits, en tête des personnes qu’ils abhorraient le plus et le disaient publiquement et à haute voix.

En fait, ces verdicts confirment, au regard de la justice, qu’il n’y a rien dans les dossiers instruits de preuves matérielles tangibles prouvant l’implication directe du parti islamiste tunisien dans les meurtres et les violences commises sous son règne. D’ailleurs, leurs dirigeants l’ont toujours crié sur les toits : étant au pouvoir au moment des faits, ils n’avaient aucun intérêt à ce que des dirigeants politiques qui lui étaient très hostiles, comme ce fut le cas pour Chokri Belaid, soient assassinés, ce qui aurait pour conséquence directe de braquer les doigts accusateurs sur eux.

L’ancien Premier ministre nahdhaoui, Ali Larayedh, lui aussi en prison, poursuivi dans d’autres affaires, avait souvent fait remarquer, à raison, que c’est sous son mandat de ministre de l’Intérieur que l’organisation Ansar Charia a été officiellement classée comme terroriste et ses activités interdites. «Ils étaient nos ennemis et non nos alliés», ne cessait-il de répéter aux médias, mais on n’a voulu retenir de lui que ses déclarations très hostiles à Chokri Belaid que beaucoup ont cru pouvoir interpréter comme autant d’appels au meurtre.

La justice encore et toujours sur la sellette

Cela dit, le fait que les dossiers sur lesquels les juges ont fondé leurs jugements aient été vides de toute preuve matérielle impliquant directement Ennahdha dans le meurtre de l’ancien porte-parole du Parti des patriotes démocrates réunifié ou Watad, ne signifie nullement qu’aucun membre de ce parti n’ait été, à un niveau ou un autre, impliqué directement ou indirectement dans ce meurtre. Cela signifie seulement qu’on n’a pas pu prouver cette implication en l’absence de preuves matérielles recevables par un juge un tant soit peu rigoureux et soucieux de l’application stricte de la loi.

Ces preuves à charge contre Ennahdha ont-elles existé dans les dossiers, comme l’affirment des membres du comité de défense de Chokri Belaid, avant d’en être soustraites par quelque juge ripoux à la solde de ce parti ? Les doigts accusateurs désignent le juge Béchir Akremi, ancien procureur général de la république qui était longtemps en charge du dossier et qui était, selon une insistante rumeur, proche d’Ennahdha sinon même au service de ses dirigeants. Mais là aussi, il ne s’agit pas de donner foi à des accusations relayées par les adversaires des islamistes, mais d’apporter des preuves tangibles prouvant l’existence de telles manipulations.

Or, les juges chez qui les dossiers ont «échoué» (et c’est le cas de le dire) et qui ont finalement émis leurs verdicts n’ont pas cru devoir relever un quelconque manquement de leur collègue. Est-ce à dire que ce dernier est totalement innocent des accusations portées contre lui et qu’il avait effectué son travail d’investigation dans le respect des procédures et sur la base des éléments portés à sa connaissance et des moyens mis à sa disposition? C’est ce qu’affirment, à juste titre, les membres de sa famille qui crient à l’injustice, remettant en question toutes les accusations portées contre Bechir Akremi qui aurait été, selon eux, une victime expiatoire et un bouc émissaire.

Que peut-on retenir de tout ce débat, sinon que c’est la justice tunisienne qui en sort finalement perdante. Car c’est son image qui continue d’être entachée et sa crédibilité remise en question par toutes les parties politiques qui s’étripent sur la scène nationale.

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