La Fédération internationale pour les droits humains a publié une lettre ouverte adréssées aux avocats tunisiens à l’occasion du rassemblement de protestation organisée, ce jeudi 16 mai 2024, en affirmanr se tenir « aux côtés de celles et ceux qui se battent pour les droits et libertés en Tunisie » :
A nos ami·es en Tunisie,
Chères Avocates et Chers Avocats,
En ce jour de rassemblement et de contestation devant la Maison de l’Avocat, lieu symbolique de lutte démocratique en Tunisie, d’où votre consoeur Sonia Dahmani a été enlevée brutalement par des policiers cagoulés le samedi, 11 mai au soir. Nous tenons à saluer votre courage dans la défense de votre consoeur. Nous nous tenons à vos côtés dans le combat, juste et légitime, pour restaurer l’État de droit et protéger les libertés publiques et individuelles en Tunisie. Nous soutenons votre lutte pour l’indépendance de la justice et contre le retour de l’Etat policier que le Président de la République Kaies Saied veut à tout prix instaurer depuis son coup d’Etat intervenu en 2021.
Nous sommes profondément préoccupé·es par cette vague de répression sans précédent depuis la révolution démocratique de 2011. Dans le cas de l’avocate Sonia Dahmani, le juge d’instruction a émis un mandat de dépôt à son encontre sans qu’elle ne soit auditionnée. Le soir même de son arrestation, les journalistes Mourad Zeghidi et Borhane Bsaies, partageant avec elle le même plateau télévisé, ont également été arrêtés et un mandat de dépôt a été émis à leur encontre mercredi 15 mai.
L’arrestation et la détention de Maître Sonia Dahmani intervient, sur la base du décret loi 54 adopté en 2022. Le recours à ce texte extrêmement liberticide et contraire aux standards internationaux relatifs aux droits humains révèle une manœuvre visant à étouffer les voix critiques en Tunisie.
On reproche à Me Dahmani d’avoir dénoncé à la télévision la vague de haine raciale déclenchée contre les migrant·es subsaharien⋅nes par le Président Kaies Saied et des députés. Une haine nourrie sur les les pages de facebook, d’une extrême violence à l’égard des migrant·es, mais aussi de toutes les organisations de la société civile, des défenseur·es des droits humains, des avocat·es, des journalistes et des activistes qui leur viennent en aide. Dans la foulée de la répression et des mauvais traitements infligés aux migrant·es subsaharien·nes, Saadia Mosbah, présidente de l’Association Mnemti et Sherifa Riahi, ancienne directrice de l’organisation Tunisie terre d’Asile, sont depuis une dizaine de jours détenues sur la base de la loi de 2015 contre le terrorsime et le blanchiment d’argent. Elles ne sont pas seules. des activistes sont arrêté·es quotidiennement tandis que les locaux de leurs associations ont été “réquisitionnés”.
Le cas de Maître Sonia Dahmani, loin d’être isolé.
Le 2 mai, la chambre criminelle de Tunis a retenu 17 chefs d’accusation graves contre l’emblématique défenseure des droits humains, fondatrice et ancienne présidente de notre organisation membre l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), Bochra Belhaj Hmida.
L’ancienne députée et présidente de la Commission des libertés individuelles et égalité “Colibe”, a été poussée à l’exil à cause de l’acharnement judiciaire dans l’affaire connue aujourd’hui sous le nom de ‘l’affaire du complot”. L’engagement indéfectible de Bochra Belhaj Hmida pour les causes justes,est reconnu à travers de nombreuses distinctions nationales et internationales. Bochra Belhaj Hmida est accusée de “complot”, une accusation passible de la peine capitale, pour avoir reçu la légion d’honneur française.
D’autres défenseur·es de renom sont également poursuivis dans cette même affaire. Kamel Jendoubi, qui a posé les jalons de la lutte démocratique en Tunisie et dans la région du Maghreb et du Moyen-Orient, en fait partie. Le professeur de droit constitutionnel, président de notre ligue membre : Doustourna, Jaouher Ben Mbarek est incarcéré depuis près de 15 mois, dans cette même affaire. Petit à petit, Kaïs Saïed se débarrasse de ses opposant·es. Celles et ceux qui ont milité toute leur vie pour une Tunisie libre et démocratique subissent, comme au temps de Ben Ali, des procédures et des accusations gravissimes .
Maître Ghazi Chaouachi, Maître Ridha Belhaj, Maître Abir Moussi et Maître Noureddine Bhiri sont aujourd’hui en prison pour avoir exercé leurs droits de réunion, de rassemblement et de manifestation pacifique, des droits reconnus par tous les textes internationaux ratifiés par la Tunisie. D’autres avocats comme Maître Ayachi Hammami, sont l’objet de harcèlement judiciaire. L’avocat Abdelaziz Essid est poursuivi pour avoir défendu des victimes des violations des droits humains, donc pour avoir exercé sa profession. Tandis que Maître Chaouki Tbib, l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats et ancien président de l’Instance Nationale de lutte contre la corruption, fait l’objet d’une interdiction de voyager depuis le 8 janvier 2024.
Cette chasse aux avocat·es doit prendre fin ! S’attaquer aux avocat·es, aux journalistes, aux défenseur·es des droits humains, aux artistes, aux cyberactivistes, aux opposant·es c’est s’attaquer à la société dans son ensemble. La FIDH, ses ligues membres et organisations partenaires dans la région MENA sont solidaires des avocat·es, de la société civile, des médias, des syndicats et du peuple tunisien. Son combat pour la liberté et la démocratie est notre combat.
Chères avocates et chers avocats, chers gardiens et gardiennes de la justice, nous vous appelons par cette lettre à rester debout et mobilisé.es pour que justice soit rendue et la liberté d’expression rétablie en Tunisie. Nous appelons par la même tous les partenaires de la Tunisie à condamner ces violations et à exprimer leur solidarité avec toutes leurs victimes.
Communiqué