En Tunisie et depuis 2011, presque un millier ministres ont été nommés (un millier de bouquets de fleurs fanés), mais sans la carrure, ni l’étoffe de leader qui va avec. Sans résultats évidemment.
Moktar Lamari *
Le large remaniement ministériel en Tunisie d’avant-hier a fait les affaires des fleuristes de la place. De toutes les couleurs: les roses, les rouges, les blanches, les piquantes et même les puantes. Alors que le budget de l’Etat est exsangue, ce rituel d’échanges de bouquets de fleurs est grossier, plein de non-sens et de mascarades liées. Cela ne parle pas aux Tunisiens frappés par la crise. Pourquoi…
Dans la culture tunisienne, on manifeste notre courtoisie autour d’un thé à la menthe, des gâteaux, et pourquoi pas quelques bouquets discrets en jasmin de circonstance.
Pour les gens de ma génération, on a appris à rester discret, et raffiné pour jouer ce jeu grossier, dans un contexte où le ministre sortant est quasiment congédié avec mention Echec, et que le ministre rentrant tremble des pieds à la tête, ne sachant pas ce qui l’attend.
Les 19 ministres sortants sont mis à la porte comme un rien, sans justificatif, sans vote du parlement, rien de chez rien.
Ils quittent leur bureau ministériel, ils abandonnent leur limousine, leurs gardes du corps, sans oser prendre la parole, pour signifier, verbaliser publiquement des émotions, des impressions pour remercier leur personnel, leurs collaborateurs ou proches conseillers. C’est fini, tu dégages, et tu te fais discret… compris?
Les ministres rentrants affichent un sourire jaune, inquiet ! Content pour leur CV (et pouvoir pour un temps) mais pas certain pour la carrière et le très probable licenciement dans le futur très proche. Toujours avec mention Echec anticipé avec certitude, tant que le président n’ose pas – coût social oblige – introduire les ajustements douloureux, avec les coupures, la réduction des gaspillages, entre autres!
Prenons des exemples: la ministre de l’Economie et de la Planification a fait chou blanc, la pauvre est licenciée sans management. C’est à peine si on ne l’a pas accusée de complicité avec les lobbyistes et l’establishment… les lobbyistes des banques et des rentiers. Elle est le 5e ministre de l’Economie depuis 2019. Elle a pris sa part dans l’accumulation de la dette, faute de mieux!
Les pays est en crise profonde! De grâce, Arrêtons ce cirque de fleurs et de sourires jaunes ! On a besoin de discours, de bilans, de signaux qui procurent de l’humanisme et de la confiance aux communs des mortels.
On a besoin de transparence, de bilan et de chiffres.
Les Tunisiens ne sont pas naïfs et sont encore moins imbéciles pour prendre argent comptant la rhétorique politique, et ces photos artificielles de passation de pouvoir, dans la joie et la bonne entente.
Des ministres qui se respectent doivent avoir le courage de dire quelques mots, expliquer leurs échecs, souligner leurs bons coups, avouer ce qui reste à faire.
Un ministre n’est pas une serviette jetable à gré. Il n’est pas un figurant qui joue le jeu de ses maîtres, sans bouger le petit doigt.
Un ministre ne doit pas fermer sa gueule; il est un haut responsable de l’Etat. Il n’est pas un clone copié collé. Il n’est pas un rien incolore et inodore. Il est redevable d’abord face aux citoyens payeurs de taxes.
Être ministre cela se mérite, et cela s’assume. Être ministre, c’est aussi avoir une colonne vertébrale qui tient les chocs. Pas de place pour les invertébrés, dans ces niveaux de responsabilité.
Les ministres méritent le respect. Ils ne sont pas des marionnettes, ou des enfants dans jeu de toboggan et où comme sur un carrousel de bagages dans un aéroport, on fait descendre certains et on les remplace par d’autres.
En Tunisie, tout indique que le métier de ministre n’est plus ce qu’il était. Pensez à Mansour Maâla, Ahmed Ben Salah, Mohamed Sayah, Ahmed Mestiri, tous des compétences, et ayant un franc parler, ayant marqué l’histoire.
En Tunisie et depuis 2011, presque un millier ministres ont été nommés (un millier de bouquets de fleurs), mais sans la carrure, ni l’étoffe de leader qui va avec. Sans résultats évidemment.
Pensez-y… les fleures ne changent rien au manque de personnalité, à l’absence de vision ou de compétences! Les fleurs ne changent rien aux perceptions que le citoyen a de ces élites qui ne font qu’endetter le pays, l’appauvrir, l’abaisser dans le concert des nations.
La Tunisie mérite mieux, des hommes et des femmes qui servent leur pays principalement, et pas ceux de leur mandant au sommet de l’Etat, ou dans les antichambres du pouvoir. Des hommes et des femmes qui disent les 4 vérités à leurs concitoyens…les yeux dans les yeux!
* Economiste universitaire, Canada.
Blog de l’auteur : Economics for Tunisia, E4T