La France : en marche vers la récession (2-2) : Les technologies avancées seront-elles salutaires ?

Même si l’industrie du secteur des technologies avancées se développe de manière remarquable en Europe et notamment en France, son poids financier dans le PIB de l’UE et de la France reste relativement modeste par rapport à celui de l’industrie «traditionnelle» qui, elle, est en train de se désagréger.

Oleg Nesterenko *

Certains économistes préconisent que la fuite du secteur énergivore de l’industrie hors Union européenne (UE) n’est pas aussi grave qu’il paraît car, en ce qui concerne la part de l’industrie du secteur des technologies avancées, telles que technologies quantiques, de navigation, des biotechnologies et de la robotique, la position de l’UE et de la France est assez saine. Notamment, en 2022, 194 entreprises dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) ont été créés dans l’UE contre 160 en Chine et la part du secteur des technologies avancées de l’UE représente dans les 20% du volume mondial : 22% dans les technologies quantiques, 20% dans la navigation, 18% dans les biotechnologies et 18% dans la robotique (données 2022).

S’ils ont, d’une part, tout à fait raison de souligner le développement accru du secteur en question dans les pays de l’UE, ils négligent, toutefois, le facteur du poids financier actuel de ce dernier vis-à-vis de l’apport dans le PIB de l’UE et de la France en particulier. Et ce dernier reste relativement modeste par rapport à celui de l’industrie «traditionnelle» qui est en train de se désagréger sur le sol européen.

D’autre part, il n’est pas à négliger que le développement du secteur des technologies avancées en France et en Europe, en général, se heurtera davantage dans un avenir très proche non seulement à la très importante concurrence américaine et chinoise déjà omniprésente, mais également à la forte croissance exponentielle de cette dernière en Chine qui affiche un grand dynamisme dans le domaine. Notamment, concernant les dépôts de brevets, tous secteurs confondus, en 2023 l’EU accuse une croissance de 2,9% contre 8,8% en Chine pour la même période (source : l’OEB).

Le facteur de développement des hautes technologies à lui seul n’est guère salutaire : l’Allemagne qui a déposé en 2023 incomparablement plus de brevets que la France – 24 966 contre 10 814 – est un pays dont le marché est également en train d’entrer à grand pas dans une récession économique.

La force toute particulière de la France dans le domaine des technologies avancées se situe dans le secteur des transports et de l’aéronautique, et, comme indiqué auparavant, c’est bien la production du matériel de transport qui s’est littéralement effondrée dans l’Hexagone – et ceci malgré la continuation de l’innovation suivie par un important dépôt de brevets dans le domaine.

Le déficit commercial et les énergies

En ce qui concerne le déficit commercial français, ce dernier se maintient dans des sommets peu enviables : 85,9 milliards d’euros pour la période de mai 2023 à mai 2024, dont 8 milliards d’euros pour le seul mois de mai dernier (source : Insee).

Certes, le camp politique de Macron peut se vanter de n’avoir creusé que 85,9Mld de déficit contre le record absolu de 162Mld d’euros qu’il a réalisé en 2022 (source : Douanes Françaises), mais il n’y a pas de quoi se réjouir : le très grave déséquilibre du commerce extérieur ne va que s’accentuer car, à ce jour et dans les horizons du visible, il n’y a strictement aucun indice politico-économique sérieux permettant de supposer le contraire. 

Ce ne date pas d’hier, puisque depuis l’année 2006, la balance commerciale française est dans le rouge chaque année consécutive sans exception et le déficit cumulé des dix-huit dernières années a déjà dépassé les 650Mld d’euros.

Les principales raisons structurelles de ce grave déficit sont un important déséquilibre du solde des échanges des biens manufacturés, dont la compétitivité française est plombée par le très haut niveau des prix de l’énergie faisant exploser les coûts de production; la forte dépendance française aux énergies fossiles importées et, surtout, l’incapacité déconcertante du président Emmanuel Macron et des responsables de son appareil exécutif à mener une politique économique nationale et, surtout, une politique étrangère qui ne serait pas profondément irresponsable vis-à-vis des intérêts stratégiques de la France qui exigent l’atténuation des retombées désastreuses sur l’économie française par le maintien de relations politico-diplomatiques saines avec des pays-fournisseurs de l’énergie. 

En ce qui concerne les capacités de la production nationale d’électricité, les inquiétudes des Français à la suite de la privation de la France de sa première source d’uranium qui est le Niger ont été atténuées par la communication d’informations sur les stocks français d’uranium qui semblent être suffisants pour faire fonctionner les centrales électriques de l’Hexagone durant les 32-40 ans années à venir.

Le Texte n° 222 déposé au Sénat, le 19 décembre 2023, dévoile : «Si la France ne dispose pas directement d’uranium naturel sur son territoire, les opérations d’enrichissement ont, elles, lieu en France. Aujourd’hui, pour faire fonctionner nos 56 réacteurs nucléaires, EDF a besoin de 8 à 10 000 tonnes d’uranium naturel chaque année. Fin 2021, le stock d’uranium appauvri entreposé sur notre territoire national était de 324 000 tonnes».

Pourtant, l’apaisement des Français à ce sujet est bien hâtif.

Ce même texte stipule : «…en conservant ce rythme actuel [de l’accroissement des réserves de l’uranium], il devrait avoisiner 550 000 tonnes en 2050». Ce qui laisse sous-entendre, à juste titre, l’importance stratégique de la continuation de l’accumulation des stocks. Pourtant, les indications des rythmes de l’accumulation des réserves de l’uranium indiqués dans ce texte du Senat sont aujourd’hui totalement coupées de la réalité.

Non seulement ils ne sont plus réalisables, mais la probabilité est forte que les réserves stratégiques «intouchables» dont la France dispose commenceront à être consommées sous peu, faute de volumes d’importations suffisantes, et cela sera le signe du début du désastre énergétique à venir.  

Avant d’avoir retiré ce début juillet 2024 le permis d’exploitation d’un important gisement d’uranium à Madaouéla (Nord du Niger) au groupe canadien GoviEx, le 19 juin, le gouvernement nigérien a retiré le permis d’exploitation du gisement d’uranium d’Imouraren au groupe français Orano (ex-Areva). Imouraren qui est classé comme l’un des plus grands gisements d’uranium au monde, avec des réserves estimées à 200 000 tonnes.

La politique étrangère du gouvernement de Macron a fait perdre à la France son premier fournisseur d’uranium qui est le Niger. Et ceci d’une manière irrévocable : les puissances étrangères que la France a ouvertement inscrit sur la liste de ses ennemis feront et sont déjà en train de faire le nécessaire pour assurer cette irrévocabilité. La perte par la France de l’accès à ces gigantesques réserves de combustible pour ses centrales électriques est un échec stratégique qui réduit considérablement les alternatives d’approvisionnement et met Paris en position de dépendance accrue vis-à-vis d’autres fournisseurs actuels et potentiels restants.

En parlant du second fournisseur d’uranium pour la France – le Kazakhstan – qui, après la perte du Niger, devient, de facto, le tout premier fournisseur, les autorités françaises n’oublient pas de mentionner que l’exploitation et l’importation depuis ce pays de l’Asie centrale se déroulent via l’entreprise locale Katco qui assure 7% de la production mondiale d’uranium et dont le français Orano détient 51% du capital.

Néanmoins, ce que l’Elysée «oublie» de communiquer à ses citoyens, c’est que les 49% restants du capital de Katco sont détenus par l’entreprise Kazatomprom, laquelle, à son tour, appartient à 50% à l’entreprise Tsentr Obogosheniya Urana dont la Fédération de Russie est le copropriétaire. On ne peut que féliciter la présidence française d’être victime de tels trous de mémoire.

IDE : les illusions et la réalité

Si la France, dont les flux nets des investissements directs étrangers (IDE) ont atteint 72,7 milliards d’euros en 2022 et 39,1 milliards en 2023, reste depuis plusieurs années consécutives bien en tête des IDE sur le sol européen – ce résultat positif est à nuancer.

Les stocks d’investissements étrangers en France se concentrent à près de 70% sur trois secteurs : 35% pour l’industrie (à fin 2023), 14% pour les finances-assurance et 19% pour l’immobilier (source : Banque de France).

Malgré les investissements étrangers assez impressionnants, il est important de ne pas négliger les facteurs qui s’y attachent et qui sont d’une importance stratégique. Notamment, les IDE qui ont lieu en France visent non pas la création de nouveaux emplois, de nouveaux projets de développement et de nouveaux sites, mais principalement l’extension des sites déjà existants. En 2021, les projets visant la création de nouveaux sites ne représentaient que 31%, contre 69% pour des sites déjà existants. Le nombre moyen d’emplois créés par projet étaient de 38.

En même temps et à titre de comparaison, ces proportions sont tout à fait différentes dans d’autres pays européens et ceci en grande défaveur de la France. Notamment, selon les dernières données disponibles (année 2021), en Allemagne, les projets visant la création de nouveaux sites représentaient 81%, contre 19% pour des sites déjà existants. Le nombre moyen d’emplois créés en Allemagne par projet était de 45. Au Royaume-Uni, les projets visant la création de nouveaux sites représentaient 77%, contre 23% pour des sites déjà existants. Le nombre moyen d’emplois créés en Grande Bretagne par projet était de 68 (source : EY).

Ainsi, les résultats de l’attraction des IDE dans l’économie française qui sont présentés par l’actuel pouvoir en tant que succès de sa politique sont bien à nuancer : la monnaie étrangère investie en France génère de 30 à 50% d’emplois en moins qu’en Allemagne ou en Grande-Bretagne, ce qui reflète nettement la réalité désastreuse de la politique française d’emploi.

Les défaillances d’entreprises

Plus de secret pour personne que dans la période du 06/2023 au 06/2024, la quasi-intégralité des pays de l’UE ont enregistré un nombre de défaillances d’entreprises supérieur à celui d’avant la pandémie du Covid.

La France ne fait non seulement pas l’exception dans la tendance généralisée dans l’espace européen, mais en % détient même le «leadership» vis-à-vis de l’Allemagne et du Benelux au niveau des défaillances d’entreprises et ceci depuis le début de 2023. 

Pour les entreprises, les coûts dus à plusieurs éléments clés tels que le refinancement, les salaires et l’énergie sont nettement plus élevés qu’avant la période Covid – ce qui n’est guère le cas de la demande. Le grand manque de confiance des ménages dans l’avenir les fait privilégier l’épargne à la consommation, ce qui déclenche un cercle vicieux, dont la formule est simple : la baisse de la consommation augmente les faillites d’entreprises qui détruisent l’emploi et, de facto, baissent d’avantage la demande des ménages – ce qui, à son tour, impacte directement la croissance. 

Non seulement la France enregistre 60 210 entreprises de toutes tailles confondues qui sont entrées en procédure de défaillances ou de cessation de paiement sur un an (données de la Banque de France, fin mai 2024), ce chiffre inclue les 5 161 entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grosses PME – ce qui est supérieur même à celui du triste record de 4 825 défaillances qui ont été comptabilisées en septembre 2009, après la crise financière que le monde a connue. Les secteurs-clés, tels que l’industrie, l’information/communication et le transport sont grandement impactés et la tendance les concernant ne fait que s’aggraver. 

Post-scriptum

Contrairement aux Etats-Unis qui ont pu, jusqu’à présent, maintenir leur économie à un niveau tout à fait confortable via le déclenchement dans le monde de guerres de répression des menaces à leur hégémonie assurée par le statut de l’outil principal opérationnel qui est le dollar américain, en couvrant grossièrement les invasions par des slogans sur l’apport de la lumière de la démocratie dans des ténèbres dictatoriaux et en tuant au passage des millions de personnes dans ledit processus de «démocratisation» – la France n’est guère ni en position, ni en capacité d’appliquer ce modus operandi, même si ce dernier est considéré comme le plus efficace pour obtenir gain de cause avec l’engagement de la moindre contrepartie.

Les éléments énumérés dans ce dossier d’une manière non exhaustive et ne comprenant pas toute une série d’autres problèmes structurels graves de l’économie française, tels que le niveau des impôts et taxes le plus élevé au monde, le système fiscal le plus complexe au monde, la dette publique exorbitante qui connait la plus grande croissance au sein de l’UE et atteint 3 200 Mld €, le gigantesque déficit public qui se creuse davantage chaque année et atteint la hauteur de 154Mld € pour la seule année de 2023 après 124,9Mld € pour l’année de 2022 – ce sont de désastreuses conséquences structurelles produites par la politique nationale et étrangère néfaste menée par la gouvernance française et nécessitant un changement radical de son vecteur dans les plus brefs délais. Le cas échéant, la seule réalité que connaîtra la France sera celle de l’entrée inexorable de son économie dans une profonde récession.

* Ancien professeur auprès des masters des grandes écoles de commerce de Paris), président du CCIE

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