Yahya Sinwar, terroriste ou résistant?

Yahya Sinwar, le chef du Hamas, est mort hier, jeudi 17 octobre 2024 à Rafah, à Gaza, les armes à la main, au cours d’un échange de tirs avec l’armée israélienne. C’est l’écroulement du bâtiment où il s’abritait après l’intervention d’un char qui semble l’avoir tué. Les photos opportunément publiées du leader palestinien le crâne ensanglanté et défoncé suggèrent une mort cruelle. Les commentaires sur la coïncidence de sa mort avec la fête du sukkot suggèrent une intrication entre le politique et le religieux. Mais la guerre au Moyen-Orient débute par celle des images et des symboles, ainsi que tout le monde le sait. 

Dr Mounir Hanablia *

Israël avait accusé Sinwar d’avoir orchestré l’attaque du 7 octobre 2023 et avait mis sa tête à prix. Le président Joe Biden a déclaré que c’était une «bonne journée pour le monde». La candidate Kamala Harris a affirmé que les services américains avaient apporté leur contribution à la localisation et la «neutralisation» de la direction du Hamas, et que tous ceux qui tuaient des Américains devaient savoir qu’ils en rendraient compte un jour ou l’autre. L’événement a immédiatement fait la une des médias télévisés du monde occidental qui ont  fait appel à leurs «experts» habituels pour commenter la situation. Et quelques-uns ont déclaré que la fin de la guerre en serait probablement désormais hâtée. Ils ont été rapidement contredits par Netanyahu, qui a précisé que si son pays avait définitivement réglé ses comptes avec le chef palestinien, les opérations n’en continuaient pas moins.

Confusion des esprits

A l’opposé, certains commentaires élogieux dans une radio locale présentaient Yahya Sinwar comme un héros qui était resté combattre à la tête de ses militants jusqu’à la fin, et dont la mort n’avait été due qu’au plus grand des hasards, consacrant ainsi pour une fois l’échec du renseignement israélien, qui avait été si déterminant dans d’autres assassinats ciblés.

D’aucuns avaient même comparé Sinwar à Che Guevara ou… Saddam Hussein, des propos particulièrement malvenus. Saddam fut, il ne faut pas l’oublier un dictateur sanguinaire, dont le clan détenait tous les privilèges du pouvoir.

Tout ceci démontre, outre la confusion des esprits, l’importance du Moyen-Orient dans la politique occidentale, ainsi que naturellement l’identification de sa classe dirigeante à la cause israélienne puisque les thèses sionistes y sont systématiquement privilégiées.

Un certain Khoury de l’université américaine de Beyrouth, parlant du génocide qui se déroulait à Gaza, s’était même fait rappeler à l’ordre par la speakrine de la BBC  qui contestait l’usage de ce terme, ce à quoi il avait répondu que la Cour pénale internationale elle même en avait accusé les dirigeants sionistes.

Otages d’Israël… et de l’Occident  

Tout est donc fait en Occident pour mobiliser l’opinion publique derrière l’un des belligérants sous couvert du «droit d’Israël de se défendre», un terme générique justifiant autant les assassinats ciblés que les bombardements systématiques des objectifs civils, la famine organisée de la population, et son expulsion ou la confiscation de ses terres par les colons. Et l’arrêt des opérations militaires qui ont fait deux millions de déplacés à Gaza est subordonné à la libération des otages, dont une bonne partie ont été déjà été tués par les bombardements ordonnés par leur propre gouvernement. Et les «souffrances des populations civiles» sont toujours immédiatement confondues avec celles des otages. Il y a là le caractère incongru d’un discours établissant l’équivalence entre le sort d’une centaine de personnes, et celui de plusieurs centaines de milliers d’autres. Son but est évidemment de faire oublier les autres otages, ceux que la puissance coloniale israélienne détient depuis 75 ans dans ses geôles, pour que la population palestinienne accepte de se voir spolier et de vivre dénuée de droits politiques.

La politique occidentale de parti-pris en faveur des thèses sionistes n’envisage les souffrances du peuple palestinien que sous l’angle humanitaire en subordonnant la satisfaction de ses revendications politiques à l’accord de la puissance occupante qui s’y oppose.

Une situation sans espoir

C’est évidemment cette situation sans espoir qui a poussé un homme comme Sinwar à exécuter l’attaque du 7 Octobre, afin d’attirer l’attention sur le sort du peuple palestinien et obtenir la libération de tous ceux parmi ses concitoyens croupissant dans les geôles israéliennes dans des conditions inhumaines. Il s’agissait d’obtenir un échange de prisonniers.

On ignore toujours ce qui s’est passé ce jour-là en l’absence d’une enquête internationale indépendante. Mais la politique du gouvernement israélien n’a jamais varié depuis la prise d’otages de Maalot en 1969 jusqu’à celle des jeux olympiques de Munich de 1972 : toujours sacrifier la vie de ses citoyens et provoquer un bain de sang afin d’en tirer un profit politique et empêcher ou retarder toute discussion sur le fond du dossier palestinien en diabolisant l’adversaire.

Le refus de Netanyahu de parvenir à tout accord sur le sujet de la libération des prisonniers a déclenché d’ailleurs l’opposition bruyante d’une partie de la rue israélienne à sa politique. Mais dans l’esprit des dirigeants sionistes, il valait mieux que Sinwar acquiert le label du terroriste que de voir leurs propres citoyens libérés.

Il reste que l’élimination des ses adversaires permettra aussi au gouvernement israélien de prétendre au succès de la guerre qu’il mène, chose que les événements n’ont pas encore confirmée, et d’obtenir le soutien de leur peuple.

Plus tard, ce même gouvernement sera en mesure d’affirmer ainsi qu’il n’y a pas d’interlocuteur valable chez ses adversaires, renvoyant ainsi ad eternum la recherche de toute paix durable.

Les points de vue diamétralement opposés de la classe politique occidentale, clairement exprimés par les propos scandaleux de la ministre allemande des Affaires étrangères **, et d’une large partie de la rue arabe, soulèvent d’un autre côté des perspectives inquiétantes que le durcissement des lois sur l’immigration ne saurait dissimuler.

L’occupation israélienne, outre la marginalisation des droits humains et la banalisation des horreurs qu’elle suscite, n’a pas fini de faire des victimes, en Palestine et ailleurs.

* Médecin de libre pratique.

** «Sinwar était un assassin cruel et un terroriste qui voulait détruire Israël et son peuple. En tant qu’instigateur de la terreur du 7 octobre, il a causé la mort de milliers de personnes et une souffrance incommensurable à toute une région», a déclaré la cheffe de la diplomatie allemande Annalena Baerbock dans un communiqué.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!